B. Les figures du temps dans la narration

La disposition du temps obéit à des critères dans les romans de Maryse Condé et Simone Schwarz-Bart : l’histoire, l’espace et la fiction exposent les temps littéraires dans les œuvres du corpus. En révélant le passé, le révolu, le temps des romans suit l’étalage des espaces, chaque lieu décrit peut révéler une structure particulière du temps. Les auteurs mélange les modes de représentation. Pluie et vent… de Simone Schwarz-Bart retrouve le temps de l’esclavage dans la narration, Ti Jean L’horizon, du même auteur, donne à lire des temps multiples et différents concordant aux espaces traversés par Ti Jean. Traversée de la Mangrove de Maryse Condé, en superposant les temps, balaie l’histoire et les espaces dans la narration : le foisonnement des lieux, l’incertitude de l’histoire, avec l’arrière-fond sombre de l’esclavage, sont masqués et dévoilés à la fois dans le temps romanesque. La confrontation des temps de l’histoire et de la fiction détermine les structures temporelles. Des événements passés orientent les récits dans Moi, Tituba sorcière... Le temps dans la narration presque autobiographique de Tituba accompagne l’ordre des faits selon leurs enchaînements. Ce roman est proche de ce que Paul Ricœur appelle « la refiguration effective du temps, devenu ainsi temps humain, par l’entrecroisement de l’histoire et de la fiction. » 594 La narration de Tituba laisse apparaître la vie dans la fiction. La conjonction se lit dans Les derniers rois mages, Un plat de porc…, Desirada, Pluie et vent… et Moi, Tituba sorcière…Les romans présentent des caractéristiques du temps humain, qu’on peut dénommer temps du récit, c’est à dire le temps durant lequel les narrateurs racontent l’histoire. Les textes se rejoignent aux confins du temps vécu et du temps imaginaire. Traversée de la Mangrove de Maryse Condé, avec les nombreux narrateurs, révèle ce que Gérard Genette définit comme « l’ordre de disposition des événements ou segments temporels dans le discours narratif. » 595 Mira retrouve le temps passé dans le témoignage qu’elle offre aux habitants de Rivière au Sel : « A cinq ans je fis ma première fugue. Je ne pouvais pas comprendre que, pour moi, il n’y avait pas de maman quelque part sur cette terre. » 596 Mais elle n’est pas la seule à décrire le temps d’autrefois, Léocadie Timothée rend le deuil plus bouleversant, quand elle raconte la solitude de la famille, la sienne, qui lui privait naguère la liberté et la vie du dehors ; parce qu’elle était toujours enfermée dans la maison de jour comme de nuit, profondément plongée dans la solitude que rendait encore plus oppressante et ennuyeuse le bruit sauvage des animaux :

‘« J’habitais quatre pièces et comme avant ce temps, je n’avais jamais quitté la maison de ma maman et dormi seule dans un lit, loin de la chaleur du corps de ma sœur, les chevaux de la nuit galopant jusqu’au devant-jour me tenaient éveillée du bruit de leur hennissement et de leurs sabots ferrés. » 597

Forme remarquable, l’ordre du temps est coordonné de différentes façons dans les romans : ces derniers exposent des structures linéaires ou chronologiques, des retours en arrière et des anticipations. Un plat de porc… de Simone Schwarz-Bart ne considère pas « l’ordre de succession de ces mêmes événements ou segments temporels dans l’histoire. » 598 Le déroulement du temps historique peut être fragmenté, prolongé ou raccourci dans le récit. Dès lors, la structure temporelle est éclatée dans Un plat de porc… Elle est imprécise dans Les derniers rois mages de Maryse Condé et diverse dans Pluie et vent… de Simone Schwarz-Bart, du fait de l’importance des événements racontés, de la multiplication des voix narratives, et de la superposition des plans temporels. Les événements en se succédant créent l’affluence des temps. Les personnages et les narrateurs sont nombreux et leurs récits mêlent divers temps, avec des significations littéraires, esthétiques, symboliques différentes. Il s’agit de la narration à relais qui vulgarise les voix narratives dans Traversée de la Mangrove, et structure le temps entre le passé, le présent et le futur comme dans Un plat de porc...

Notes
594.

Paul Ricoeur, Temps et récit III, Le temps raconté, Paris, Seuil, 1972, p. 264.

595.

Gérard Genette, Figures III, Paris, Seuil, 1972, p. 78.

596.

Maryse Condé, Traversée de la Mangrove, p. 52.

597.

Ibid., p. 140.

598.

Gérard Genette, Figures III, op. cit., p. 79.