A. La constance des genres oraux dans la narration

Par genre oral, le conte, la légende, le mythe et les proverbes sont désignés. Leur réappropriation éclate les structures romanesques, le roman est l’écho de l’oralité. A l’exception de Ti Jean L’Horizon, roman dans lequel la structure traditionnelle du conte est apparente, les autres romans témoignent d’un recours maîtrisé aux genres oraux. Le vocable « imitation » convient bien à l’évanescence des formes orales dans les romans de Maryse Condé et Simone Schwarz-Bart. Entre le discours oral et le récit, l’écart est considérable, la conséquence réside au niveau de la beauté du texte. Cette distance est la preuve d’une imitation réussie, parfaite, d’une simulation qui est d’abord appropriation, puis abandon progressif du conte, de la légende et des mythes. Maryse Condé et Simone Schwarz-Bart ont compris l’ambiguïté des genres oraux, le sens opaque et caché du récit oral qui exige des compétences aux auditeurs et du talent aux auteurs. Leur compréhension le plus souvent symbolique et mythique mérite la connaissance du répertoire oral. L’écriture peut aider à déchiffrer le message codé des genres oraux, la stratégie valorise davantage l’oralité qu’elle embellit le roman. Maryse Condé essaye de relativiser le créole, mais ses romans reflètent l’univers merveilleux et mythique des contes créoles. Le discours oral est mis à distance, peut-être pour faciliter la communication avec le public. L’écrivain martiniquais, Raphaël Confiant, dans Contes créoles des Amériques, avait reconnu l’ambivalence des genres oraux et créoles, le public est étranger à son propre patrimoine:

‘« Force est de reconnaître que la transcription littérale, où à peine remaniée du corpus de l’oraliture n’attire pas le grand public pour la simple raison que l’oral obéit à une logique différente de l’écrit et que la lecture de transcriptions fidèles d’énoncés oraux est souvent pénibles. » 784

Maryse Condé et Simone Schwarz-Bart semblent ne pas transcrire des « énoncés oraux », elles transgressent les genres oraux, démolis dans leur forme « générique » et « génétique ». Cette création littéraire mêle les discours, mélange les répertoires, oral et écrit. L’intrigue de Traversée de la Mangrove, la légende de Ti Jean L’Horizon, le témoignage de Télumée dans Pluie et vent…, celui de Mariotte dans un Plat de porc…, le drame familial et identitaire dans Desirada, la quête mythique dans Les derniers rois mages, signalent différentes explorations de l’oralité. Chaque roman établit un réseau oral particulier, les genres oraux y résonnent comme les « voix multiples de la Caraïbe » 785 .

Notes
784.

Raphaël Confiant, Contes créoles des Amériques, Paris, Stock, 1995, 11-12.

785.

Priska Degras, « La littérature Caraïbe francophone : esthétiques créoles », Notre Librairie, Cinq ans de littératures, 1991-1995, Caraïbes, n° 126,1996, pp.6-16.