a. Le conte créole

Le conte est proféré durant la nuit aux Antilles, les veillées funèbres déclenchent leur audition par toute la communauté venue entendre les histoires du continent. Parmi les veilleurs, il y a des conteurs qui pleurent, en chantant et en mimant les gestes du défunt, des spectateurs qui manifestent leur satisfaction par des éclats de rire, des sanglots, de profonds gémissements. Ces circonstances sont particulières, et le déroulement du conte étant sacré, le défunt gît devant les voisins, venus pour une dernière communion. Voici un passage extrait de Contes de mort et de vie aux Antilles, les auteurs avaient réellement assisté à une veillée mortuaire, et c’était pour connaître amplement les détails de la cérémonie:

‘« Trois flambeaux éclaire le (sic) scène. Le mort repose à côté, dans la pièce principale dont les fenêtres ouvertes, donnent sur l’esplanade. En se levant, on peut le voir : la pièce où il repose est très éclairée. Il y a beaucoup de fleurs. Des tissus de couleur vive et des nappes fleuries ont été, pour l’occasion, tendus sur les murs. Le cercueil en bois clair, encore ouvert, est orné d’une croix dorée. » 786

A la nuit tombante, le silence est total, la veuve est isolée dans la chambre funèbre, et les conteurs peuvent vanter chacun leur talent, en se rivalisant de leur aptitude à attirer l’attention des veilleurs, à leur faire verser des larmes:

‘« Les femmes de la famille du défunt font le service. On sert du rhum, des vins cuits, du « chaudeau », du punch au lait, de la « soupe-pieds ». La veuve ne sert pas les veilleurs. Elle se tient, avec sa plus jeune fille, dans la pièce où se trouve le mort; là, accoudées à la fenêtre, l’une et l’autre écoutent les contes. » 787

La conteuse Simone Schwarz-Bart connaît parfaitement ces habitudes et coutumes qui précèdent et suivent la mort. Elle constate et enregistre dans Pluie et vent… ce que Joëlle Laurent et Ina Césaire découvrent dans les veillées funèbres. La plus bienheureuse de ces âmes désolées et attristées, c’était la défunte elle-même, prières, témoignages et hommages fusent de tous les côtés de la maison endeuillée. Et bientôt les gens « commençaient d’affluer pour rendre hommage à Reine Sans Nom. On apportait des tasses, des verres, des marmites, du café grillé, des légumes pour le bouillon de l’aube… » 788 Le lendemain, la maison de la reine exhalait une odeur des nourritures de la veille dans une atmosphère de deuil. Bien des habitants de Fond Zombi, tourmentés par la nouvelle, se demandaient inlassablement si la reine était réellement morte. Il régnait dans la maison de Reine Sans Nom une ambiance de mort, de fête et de réjouissance. Trois figures se dégagent de la veillée, les religieuses qui priaient dans la chambre de la défunte, les bénévoles de l’organisation et de l’accueil, qui aidaient soigneusement les femmes dans la cuisine, puis les conteurs et joueurs qui attendrissaient tous les éplorés : « Il y avait dés, il y avait dominos et y avait une roche qu’un groupe se faisait passer en martelant un chant âpre et monotone. » 789 La nuit, tous les conteurs se rencontraient dans la cour de la maison, racontaient des contes qui ramenaient les vivants sur terre, et qui banalisaient la mort en approuvant la joie de vivre :

« La reine est morte, messieurs, a-t-elle vécu ?

Nous ne savons pas

Et si demain c’est mon tour, est-ce que j’aurai vécu ?

Je ne sais pas

Allez, buvons un peu » 790

Pourquoi le conte est-il psalmodié pendant la nuit, et habituellement durant des veillées mortuaires? Parce que leur romance la journée attire les Esprits, les Génies peuvent en être irrités. La veillée funéraire est une cérémonie triste, pathétique, le conte dit la misère de l’homme, la finitude de la vie, rappelle à l’individu qu’il n’est qu’un être périssable, une «pourriture». La société antillaise traditionnelle croit à des symboles de la vie: le conte est allusif, il raconte et reprend la vie; on comprend pourquoi il s’effectue la nuit, à la mort d’un individu. D’autres circonstances sont aussi l’occasion du récital des contes, les personnes âgées, pour amuser les enfants et les éduquer, leur racontent des histoires. Dany Bébel-Gisler, femme engagée dans un centre d’éducation populaire, pour enfants guadeloupéens en difficulté scolaire à Pointe-à-Pitre, raconte avec passion ce talent des vieilles femmes créoles qui amusaient les enfants, la nuit, en psalmodiant des contes :

‘« La nuit venue, quand grand-mère était d’attaque, debout sur ses deux pieds, la tête bien fraîche, elle s’asseyait dans sa berceuse et me lançait Yékrik ! Je répondais : Yékrak ! et allais m’installer sur ses genoux. Ma petite main dans la sienne, j’enfouissais ma tête entre ses deux seins. Alors grand-mère me faisait voyager dans un monde étrange, celui des contes. » 791

Voyage nocturne, livre d’or, façon de bercer l’enfant, le conte créole plonge la jeune fille d’alors dans un monde impossible, merveilleux, rêvé qui mêle univers humain et univers animal, et qui amène l’imagination dans ces contrées lointaines, obscures et mystiques :

‘« Là où les vieilles femmes posent leur tête sur leurs genoux pour se coiffer, où les chiens jappent par la queue, où Ti Sapoti devient si grand qu’il étouffe la personne qui avait pris en pitié un bébé sur la route. J’aimais beaucoup les contes où les enfants orphelins, pauvres, à force de lutter contre la misère, de marcher, d’employer la ruse comme Compère Lapin, finissaient, une fois grands, par devenir riches et respectés par tous. » 792

L’ensemble des romans forme une recherche de ce patrimoine culturel, récupéré par Maryse Condé et Simone Schwarz-Bart. On décèle dans les textes des différences attachantes concernant les techniques de réécriture du conte traditionnel créole. Traversée de la Mangrove, Pluie et vent…, Moi, Tituba sorcière… dévoilent des structures narratives, semblables à celles des contes. Mais peut-on identifier Traversée de la Mangrove à un conte, assimiler sa structure à un récit de mémoire ? La réponse semble a priori négative, car la structure ascendante ou descendante du conte, et les étapes de stabilité, de modification, de réalisation et d’échec, sont absentes. On ne déchiffre pas non plus la présence d’un conteur qui «dit» l’histoire ou «conte» les événements; mais celle des personnages qui «racontent» à tour de rôle des souvenirs familiers, courants et communs. L’intrigue est discontinue, éclatée, et les personnages sont mêlés à l’action, contrairement au conte qui enchâsse des événements mythiques, merveilleux, historiques, classés hors du monde, dans une temporalité imprécise qui précède l’existence humaine.

Le travestissement littéraire cache la structure du conte. Traversée de la Mangrove apparaît comme le viol du discours oral, celui du conte n’obéissant pas aux règles du genre. La parodie du conte est apparente et compréhensible: la distance vis-à-vis du conte créole permet de dire que l’auteur brouille les pistes de l’oralité qu’une lecture analytique peut déceler: le récit se déroule la nuit, sur la place du village et sous la pluie tombante, la période diurne attire les mauvais esprits indignés par l’arrogance des humains. Le conte est un récit oral destiné à un public, ou en tout cas à un auditoire. Dans Traversée de la Mangrove, chaque personnage qui prend la parole peut être considéré comme conteur, et les autres des auditeurs, témoins des événements racontés. La connivence est intégrale, et les personnages, des conteurs, font de la parole l’instrument de jeu, de dialogue, qui crée une osmose propre au conte:

‘« Le conte, comme genre oral, dispose d’une énergie contagieuse, qui circule d’un auditeur à l’autre. Il permet l’expérience d’une parole partagée dans un espace-temps commun, il s’écoute et se recueille dans une co-présence et une connivence. » 793

Maryse Condé a construit dans ce roman un personnage nommé Cyrille le conteur, la distance avec le conte créole apparaît dans le témoignage de cet émetteur, qui ouvre son discours en ces termes: « Yé Krik, Yé Krak » 794 , des expressions créoles débutant le conte. Mais la phrase qui devrait suivre, « il était une fois… », proche de la structure du conte, est remplacée par cet énoncé qui déconstruit le conte créole: « Mesdames, messieurs, je vous dis bonsoir ! ». 795 Le mélange entre le conte et le récit romanesque apparaît dans Moi, Tituba sorcière…, mais là aussi il s’agit d’une déconstruction, car la narration s’arrête, et le conte se déploie comme une conversation que mène Tituba, contente de partager sa vie privée avec ses amis. Elle maîtrise la rhétorique fondamentale des contes créoles, la leçon de vie qu’il faut véhiculer pour toucher les auditeurs, les émouvoir en témoignant sa souffrance endurée depuis l’enfance. C’est Tituba qui parle et l’auditoire répond, sans confusion apparente entre les deux genres, oral et écrit:

« - Tim tim, bois sèche !

- La cour dort ?

- Non, la cour ne dort pas !

‘Si la cour ne dort pas, alors qu’elle écoute, qu’elle écoute cette histoire, mon histoire. Au temps longtemps, quand le diable avait encore ses culottes courtes, découvrant des genoux noueux et bosselés de cicatrices, vivait dans le village du Wagabaha, au sommet d’un morne pointu, une jeune fille qui n’avait ni père ni mère […] » 796

Simone Schwarz-Bart à son tour recommence le dialogue oral, que dirige Télumée, l’exemple du conteur traditionnel, en adoptant une double perspective: celle du conteur qui raconte une histoire ancienne, son histoire familiale, et celle de la narratrice qui conçoit un dialogue avec le lecteur, destinataire principal du récit. Télumée parvient à insérer de petits contes dans son récit. Mais Pluie et vent…, plus que Traversée de la Mangrove et Moi, Tituba sorcière…, fait apparaître davantage le conte créole du jeune chasseur au milieu des bois, raconté par Reine Sans Nom et dont Télumée se souviendra dans les périodes difficiles: «Un conte de Reine Sans Nom me traversait l’esprit, le conte du petit chasseur qui s’en va dans les bois […] il rencontra l’oiseau savant…» 797 Le conte, lorsqu’il rentre dans le texte, le scande, l’agrémente par la présence languissante du chant qui rompt la monotonie du texte narratif, le roman: « ‘ Petit chasseur ne me tue pas. Si tu me tues je te tuerai aussi ’». 798 Quel chasseur resterait indifférent à ce cri de désespoir perdu dans la forêt ? Ce chant de l’oiseau occupe une double fonction éthique et esthétique: l’éducation morale de Télumée fondée sur l’humanisme, et l’insertion du rythme de l’oralité dans le roman.

Le conte de l’araignée, appartenant au cycle créole, permet de soutenir l’argument de Reine Sans Nom sur les liens sociaux aux Antilles. Sous la forme anecdotique, «on eût dit le réseau d’une toile d’araignée, dont les fils se croisaient sur de minuscules et dérisoires petites cases.» 799 Le conte de l’araignée exprime les divers rapports entre les «arbres», le «village» et les «habitants» si bien qu’il symbolise et consolide les relations humaines. L’auteur fait éclater la structure du conte créole, réduit à une anecdote qui construit un texte empreint d’oralité. Nathalie Rogers, dans une étude consacrée à Pluie et vent…, décrit les fils de la toile d’araignée comme « un niveau de pré-écriture au sein de la tradition ». 800 Métaphore de l’écriture, mais aussi construction en labyrinthes, la toile d’araignée rend la vie des gens si belle de solidarité, tissée par les files qui signalent l’avènement du métissage:

‘« Le choix de la toile d’araignée comme forme de représentation privilégiée pour signifier le nombre et la diversité des liens intrinsèques à la communauté peut se concevoir comme un acte subversif. L’image de la toile évoque délibérément celle de son créateur, que les légendes populaires nomment Ananse L’araignée. » 801

Le récit de Télumée symbolise le conte de la femme créole, et celui de Tituba, le conte de la sorcière noire au temps de l’esclavage. Maryse Condé donne la parole à Tituba qui raconte son histoire, examinée comme modèle historique et colonial, mais non traditionnel et culturel. L’anecdote est tirée de la colonisation ; il s’agit d’un conte colonial, car Maryse Condé ne semble pas fonder dans Moi, Tituba sorcière… le texte dans l’oralité, mais à partir d’un fait colonial, historique, susceptible de composer le prototype du conte. A la tombée de la nuit, les femmes créoles au tour du feu avaient l’habitude de raconter à leurs enfants et petits-enfants des histoires d’esclaves révoltés, exécutés. Maryse Condé reprend cette tradition culturelle et sociale pour en faire une matière romanesque, et c’est pour parvenir à la vérité d’une œuvre qui crée le métissage en modifiant les sujets, les objets et les thèmes. Qui aurait deviné que Moi, Tituba sorcière…s’achèverait sur une note orale, et que la fin du roman prendrait les apparences du conte ? Il n’est pas étonnant que l’Epilogue qui boucle le roman soit une adresse au lecteur, prenant les caractéristiques de la fin d’un conte. Le conteur, au terme de son récit, résume les situations, dresse un bilan, discute avec les auditeurs, Tituba a emprunté cet art aux orateurs de son village. Aux Antilles, les écrivains ont usurpé la place des conteurs traditionnels, c’est exactement l’analyse de Nathalie Schon dans L’auto-exotisme dans les littératures des Antilles françaises: l’auteur relativise le rôle du conteur dans la société, les écrivains antillais ont pour vocation de mettre à distance l’oralité au privilège du roman. Pour appuyer son argumentation, Nathalie Schon cite Patrick Chamoiseau, l’auteur qui a inauguré le roman oral et créole, le récit conté par un griot ou un professionnel de la parole:

‘« Le conteur n’a plus sa place dans le monde moderne. Sa profession n’est pas reconnue. L’écrivain Patrick Chamoiseau tente de le maintenir au cœur de la société antillaise, au risque d’enfermer la littérature dans le moule de l’oralité. » 802

L’intertextualité, autre caractéristique de l’écriture du conte créole, présence d’un texte antérieur dans un autre, détermine le métissage littéraire dans Ti Jean L’horizon et Les derniers rois mages. Les contes créoles apparaissent dans les structures narratives de ces romans qui s’appuient sur la tradition créole, leur écriture est grosse des coutumes. La notion d’ « intertextualité » permet de concevoir Ti Jean L’horizon de Simone Schwarz-Bart et Les derniers rois mages de Maryse Condé, comme des carrefours de paroles exprimées dans un contexte unique, celui du roman. Pour Julia Kristeva « tout texte se construit comme une mosaïque de citations, tout texte est absorption et transformation d’un autre texte. » 803 Les derniers rois mages offrent la lecture de deux récits parallèles, qui s’entrecroisent et se chevauchent dans la trame du roman donnant chacun l’écho des voix proférées: l’intrigue familiale laisse entrevoir l’oralité, que justifient les chroniques décrites par Djeré dans ses Cahiers. La vie familiale est rythmée par le conte créole, comme celui du chasseur orgueilleux, Tadjo, le guerrier tenace et téméraire qui défia les Esprits. Ces derniers sommeillaient dans le corps des animaux, la gazelle et la panthère, selon la mythologie animale dans le royaume de l’Ancêtre Roi Mage. Le chasseur eut l’audace de tuer la bête sauvage, incarnation d’un Esprit maléfique invisible. Djeré raconte comment ce guerrier obstiné partit en chasse, seul, dans la forêt, et comment il tua « la gazelle dorças », qui « se tourna pour le regarder avant de tomber sur le flanc. » 804 Djeré, le double du conteur traditionnel, observe les frontières de l’oral et de l’écrit. Maryse Condé abandonne de temps à autre les événements de la société antillaise, pour célébrer le conte tragique du chasseur orgueilleux :

‘« Comme il revenait chez lui, sa gibecière pleine, les Génies manifestent leur colère en faisant tomber la pluie et gronder le tonnerre en plein milieu du mois de février, mais Tadjo ne sentit même pas l’eau qui ruisselait et arriva dans son village en chantant. Il ne s’aperçut pas que, tenace, une mouche le suivait en bourdonnant derrière son oreille gauche. » 805

La mouche, réincarnation des Esprits, est la cause de sa mort. On rappelle que dans Pluie et vent…, le conte valorisait le refus du guerrier de tuer l’oiseau, par crainte de la riposte des Génies. Le cycle de la chasse est fréquent dans les contes créoles: Ti Jean L’horizon, roman enraciné dans l’oralité, se fonde sur la chasse et l’aventure. La geste du chasseur traverse les textes littéraires antillais, les différences sont relatives à la destinée du héros, à l’objet de sa quête, à ses rapports avec les autres. Tous les contes présentent cependant Ti Jean comme un jeune chasseur, leur structures dévoilent un être malheureux, destiné à l’aventure, au combat, pour outrepasser sa condition humaine :

‘« Ti-Jean symbolise la lutte pour la réussite. Par la ruse et la débrouillardise, il fait face à un milieu social hostile. Toujours né dans la pauvreté, il parvient aux plus grands honneurs de ce monde, au terme de véritables quêtes du bonheur. Son ingratitude foncière peut surprendre, mais elle ne constitue, en fait, qu’une auto défense contre ce qu’il considère comme une agression du destin : la misère. » 806

Simone Schwarz-Bart ne transcrit pas seulement la littérature orale, elle entreprend aussi l’écriture de l’oralité dans le domaine de la création, le mélange de plusieurs modes littéraires détermine cette invention, l’œuvre en sort plus belle. Patrick Chamoiseau a écrit des romans qui offrent le même métissage littéraire, notamment Manman Dlo contre la fée Carabosse et Antan d’enfance: le conte est la structure du roman, les personnages des conteurs, et l’auteur n’intervient que pour faire valoir sa fonction de «régie», il organise le récit. De ce métissage, naît une tragique déconstruction de l’oralité, une fin de l’esthétique orale: « L’écriture est le destin tragique de l’oral » 807 , écrit Daniel-Henri Pageaux. La continuité de la culture orale s’assure par l’écriture, elle absorbe l’oral, décompose ses formes, et annonce sa fin en tant que genre. Patrick Chamoiseau semble souligner dans Solibo Magnifique la tentative périlleuse qui consiste à réécrire l’oralité:

‘« En relisant mes premières notes du temps où je le suivais au marché, je compris qu’écrire l’oral n’était que trahison, on y perdait les intonations, les mimiques, la gestuelle du conteur., et cela me paraissait d’autant plus impensable que Solibo, je le savais, y était hostile. Mais je me disais marqueur de paroles, dérisoire cueilleur de choses fuyantes insaisissables comme le coulis dans les cathédrales de vent. » 808

La subversion, conséquence de la transcription de l’oral dans l’écriture, installe la déformation romanesque. Cette opposition, en bouleversant les genres, aboutit à l’écriture métissée qui enveloppe les séquences de phrases. Tous les genres relevant de « l’oralité circonstancielle », 809 la poésie héroïque, le conte populaire, peuvent composer littéralement le roman en perdant leur « horizon générique originaire. » 810 Mais la décomposition est créatrice: l’écriture est une récupération de l’oral, qui ne s’impose que dans la perte de ses racines. Le conte, tel qu’il apparaît dans Traversée de la Mangrove, Pluie et vent…, Ti Jean L’Horizon, est distant du répertoire traditionnel, les auteurs retravaillent le topique oral, à l’aide de l’histoire antillaise, des faits sociaux et des circonstances de la littérature antillaise. L’analyse de Vladimir Propp dans Morphologie du conte énumère toutes les influences susceptibles de scander le texte oral, elle peut éclairer la portée du conte créole dans les textes du corpus:

‘« Le conte subit l’influence de la réalité historique contemporaine, de la poésie épique des peuples voisins, de la littérature aussi, et de la religion, qu’il s’agisse des dogmes chrétiens ou des croyances populaires locales. » 811

Les mythes créoles, sous la plume de Maryse Condé et Simone Schwarz-Bart, perdent leur structurent originelle, leur dimension sacrée; ils se dégénèrent en mythes littéraires. Leur genèse populaire était leur apparence sacrée, l’imagination depuis des temps anciens avait créé des histoires fabuleuses. La différence réside de la création individuelle, l’écrivain obéit au-delà des influences culturelles à son imaginaire: le sacré se dégrade en littérature.

Notes
786.

Joëlle Laurent et Ina Césaire, Contes de mort et de vie aux Antilles, recueil de contes, Bilingue français-créole, Paris, Editions Nubia, 1976, p. 10.

787.

Ibid.

788.

Simone Schwarz-Bart, Pluie et vent…, p. 181.

789.

Ibid., p. 182.

790.

Ibid.

791.

Dany Bébel-Gisler, A la recherche d’une odeur de grand’mère ; D’en Guadeloupe une « enfant de la Dass » raconte…, Guadeloupe, Editions, Jasor, 2000, pp.47-48.

792.

Ibid.

793.

Joseph de Maistre, Les soirées de Saint-Pétersbourg, Paris, Editions Colombe, 1960, p. 239.

794.

Maryse Condé, Traversée de la Mangrove, p. 153.

795.

Ibid.

796.

Maryse Condé, Moi, Tituba sorcière…, p. 156.

797.

Simone Schwarz-Bart, Pluie et vent…, p. 77-78.

798.

Ibid., p.78.

799.

Ibid., p.131.

800.

Nathalie Buchet Rogers, « Oralité et écriture dans Pluie et vent sur Télumée Miracle », The French Review, vol. 65, n°3, feb.1992, p.138.

801.

Ibid.

802.

Nathalie Schon, L’auto-exotisme dans les littératures des Antilles françaises, Paris, Editions Karthala, 2003, p. 201.

803.

Julia Kristeva, Séméiotiké, Recherche pour une sémanalyse, Paris, Seuil, 1969, [Coll. « points », 1978].

804.

Maryse Condé, Les derniers rois mages, p. 157.

805.

Idem.

806.

Joëlle Laurent et Ina Césaire, Contes de mort et de vie aux Antilles, op. cit., p. 15.

807.

Daniel-Henri Pageaux, « La créolité antillaise entre postcolonialisme et néo-baroque », in Littératures Postcoloniales et Francophonie, op.cit., pp. 83-115.

808.

Patrick Chamoiseau, Solibo Magnifique, op.cit., p. 210.

809.

Jean-Marie Schaeffer, Qu’est-ce qu’un genre littéraire ? , Paris, Seuil, 1989, p. 87.

810.

Ibid., p. 88.

811.

Vladimir Propp, Morphologie du conte, Paris, Editions Seuil, 1970, p. 106.