B. De la transcription des métaphores créoles

L’art de bien nommer les choses, d’exprimer avec élégance des vérités, peut être considéré comme l’apanage des sociétés orales. Une communauté orale n’est pas absolument dénuée de tradition écrite, c’est une région humaine où subsistent encore des formes de pensée inhérentes à l’oralité : c’est l’exemple de la société antillaise qui a développé historiquement une langue, le créole ; dès l’origine cet idiome de confidence traduisait déjà le lyrisme des esclaves, les détours de la parole et les euphémismes pour faire passer des vérités en leur donnant de l’efficacité. Le langage des esclaves était une parole détournée, transformée, énigmatique qui déroutait le sens des mots, des expressions. Vraisemblablement ces êtres détenus étaient-ils ironiques et moqueurs dans leur parole teintée de métaphores ? C’est à croire que dans les Antilles la métaphore est résolument orale, elle s’accorde aux origines de la langue créole fondée sur l’énigme et le mystère. D’une île à l’autre, de la Martinique à la Guadeloupe, les images changent profondément de connotations. La vieille pensionnaire de l’hospice dégage dans un passage de Un plat de porc… toutes les significations du terme « coq », la métaphore désigne le sexe de l’homme, et Mariotte puise dans la langue créole les explications, métaphores et anecdotes tour à tour positives et péjoratives de cette puissance mâle :

‘« Il est vrai, nos braves nègres des Antilles ont choisi l’appellation modeste de « coq », pour désigner la splendeur du pénis. Ni charrue, ni épée, ni archet ténébreux et romantique mais une petite boule froufroutante et parfaitement domestiquée. Ni charrue, ni épée : mais une volaille qui se rengorge, qui se gonfle de toutes ses plumes, qui se dresse, de toute sa hauteur, comme le témoignage le plus ridicule de notre abaissement. Car, au-dessus de la basse-cour, où les volatiles poursuivent leurs ébats insignifiants, plane le regard souriant du Maître blanc. Et le coq peut donner du bec, éblouir ou meurtrir ses petites compagnes effarouchées, « piler » toutes ses poulettes qui ne sont pas restées « attachées au pied de la table » : reste qu’il n’est qu’un animal domestique. Il peut se déchirer le cœur ; mais, dans l’instant qu’il trône sur l’humble croupion d’une de ses concubines, il remplit une fonction de basse-cour.» 839

Maryse Condé et Simone Schwarz-Bart transcrivent l’éloquence traditionnelle des paysans, fermiers, agriculteurs, bûcherons, pêcheurs, conteurs, sorciers, esclaves, les couches humaines qui composent les Antilles. Elles mentionnent dans la structure des textes des images orales, sous forme d’associations inattendues, d’analogies surprenantes qui laissent entrevoir un sens mystérieux des expressions créoles. Une forme particulière se dégage des métaphores : les œuvres manifestent une diversité, selon le style des auteurs et la façon de reproduire les symboles dans les romans. Le créole, langue de départ et langue métaphorique, ne reflète pas incontestablement les moyens expressifs de la langue d’arrivée, le français.

Notes
839.

Simone Schwarz-Bart, Un plat de porc…, pp. 146-147.