b. La métaphore de l’animal

La présence des animaux dans les œuvres du corpus leur donne une couleur locale, rappelant le contexte de la société antillaise. L’animal sauvage, qui fait partie le plus souvent du décor créole, est le chien. On parle d’ailleurs aux Antilles du « chien créole », animal rachitique au pelage déchiqueté, souillé de boue des ravines, la bête domestique et sauvage rôde à tout moment dans le village, devant les cases, dans les plantations comme compagnon des chasseurs et paysans; le chien terrorise les bêtes domestiques, mais reste très familier aux enfants, abandonnés dans les cases par des parents partis travaillés dans les Cannes. Mariotte, dans Un plat de porc…, se souvient des éternelles promenades, avec ses amies :

‘« Nous avions des branches à la main et des cailloux pour chasser les chiens fous des mornes, qui rôdaient, autour du foyer en plein air, dans l’espoir de glaner l’un de ces éclats d’os qui voltigeaient à chaque retombée de coutelas. » 856

Rivière au Sel, village créole de Traversée de la Mangrove, n’est pas seulement habité par des hommes, les chiens font partie du théâtre quotidien. Maryse Condé, afin de structurer la métaphore animale typiquement créole, décrit le vacarme des chiens de Francis Sancher, « quand ils parcouraient la nuit en enfonçant leurs crocs dans de douces chairs sans défense. » 857 Ces bêtes sont indifférentes à la mort de leur maître, Francis Sancher, leur aboiement infernal interrompt le silence de la veillée. La communauté créole de Rivière au Sel célèbre les funérailles, mais dans la cour du village les « dobermans féroces, le museau rouge, se disputaient une carcasse. » 858 Desirada dépeint une atmosphère sociale où les chiens se familiarisent avec les hommes, cloués du matin au soir devant les cases. Les molosses, personnages muets prenant figures de marionnettes, décalquent la société antillaise dans le roman. Nina franchissait tous les matins « la porte en travers de laquelle le chien créole s’était endormi. » 859 La lecture de Desirada offre des impressions confuses de la nature, du bruit des animaux et de l’agitation de la mer : c’est le décor naturel de l’univers créole exprimé par des métaphores animales, visuelles et sonores :

‘« Coassements des crapauds adressant leur prière au ciel toujours sec, crissement des insectes cachés dans les touffes d’herbes, aboiement des chiens errants et, par-dessus tout cela, grondements de la mer en colère. » 860

Ce bourdonnement s’oppose au calme qui règne dans la forêt, à la naissance de Posu Adewene, dans Les derniers rois mages de Maryse Condé toute la nature est morte. Le silence des animaux démontre la nature morte, qui accueille solennellement l’arrivée du nouveau-né, durant une nuit différente des autres. Les animaux se sont tus, une quiétude de respect à l’égard de la princesse, elle-même moitié homme, moitié animal :

‘« Ce soir-là, pas un vroum-vroum de moustiques ou de chauves-souris, vampires qui cherchent le sang pour le boire. Pas un fuit-fuit d’oiseau fou pillant le suc de pollen, pas un craak-raak de toucan enroué par son bec. Pas un pas furtif d’antilope royale foulant le tapis végétal. » 861

La métaphore de l’animal caractérise l’écriture métissée, elle juxtapose graphisme et oralité, dans les romans que nous étudions. L’image symbolique de l’animal, d’abord dans les sociétés animistes, puis antillaises, est très caractéristique dans le roman de Maryse Condé, Desirada, et celui de Simone Schwarz-Bart, Ti Jean L’horizon. Cette valeur mystique de l’animal situe le roman aux confins de la tradition orale et des techniques narratives du roman. Dans Desirada, les animaux sont associés à la fête du mardi gras, que célèbre toute la communauté. Tous les gens du village se promenaient dans les rues remplies de monde portant des masques « têtes de buffles ou de taureaux. » 862 C’est la réincarnation et la métamorphose, car les morts participent à la fête des vivants, les animaux tués symbolisent les Revenants. Porter des masques, revient à communier avec les animaux et le morts, et le roman nous livre cette communion sacrée. On trouve des similitudes dans Ti Jean L’horizon, par l’évocation mystique des animaux : « Les grosses bêtes s’étaient réfugiées sur les crêtes », et elles « étaient sous la protection des esprits de la montagne. » 863 Les phases du récit dévoilent le merveilleux, dans la peinture des animaux, ces créatures surnaturelles comme les « vaches bleues qui paissaient à l’entrée du village. » 864 , et qui font partie du spectacle social en conséquence du décor romanesque. « L’oiseau qui niche dans l’oreille de la Bête » 865 , prouve les métaphores orales et créoles, et l’enchevêtrement de tous les registres dans le roman.

Notes
856.

André et Simone Schwarz-Bart, Un plat de porc…, p. 98.

857.

Maryse Condé, Traversée de la Mangrove, p. 83.

858.

Ibid., p. 191.

859.

Ibid., p. 209.

860.

Maryse Condé, Desirada, p. 211.

861.

Ibid., Les derniers rois mages, p. 91.

862.

Desirada, p.13.

863.

Simone Schwarz-Bart, Ti Jean L’horizon, p. 67.

864.

Ibid., p. 192.

865.

Ibid., p. 248.