A. La création du contexte colonial dans les romans

Descendantes d’esclaves, filles de colonisés, guadeloupéennes de naissance, Maryse Condé et Simone Schwarz-Bart se souviennent, dans leur écriture, de ce que fut leur passé : la colonisation et la condition servile apparaissent dans les romans, comme si elles caractérisaient l’un des « fantasmes » de l’écriture antillaise : la tentation du fait colonial. Cette attirance prend des chemins détournés dans la littérature, parce que les auteurs, en posant les problèmes du passé au cœur des romans, sont rebelles à toute recherche qui obsède, par ailleurs, l’historien ou le sociologue. Le personnage étant au centre des réflexions des auteurs, l’écriture s’impose comme la façon de dévoiler sa psychologie, ses angoisses, sa condition servile, son aliénation morale, mais encore l’exclusion sociale, ethnique, dont le personnage est victime dans la société coloniale, celle décrite par les auteurs. Ces derniers doivent renoncer à la rigueur sociologique, à l’analyse de l’historien, pour rendre délicate l’écriture de Traversée de la Mangrove, de Moi, Tituba sorcière… ou de Pluie et vent… : leur entreprise littéraire balaie sinon le fond colonial, du moins le mélange avec les descriptions, les séquences narratives, les scènes dramatiques.

Moi, Tituba sorcière… et Pluie et vent sur Télumée miracle, en dépit de leur titre, ne sont pas des autobiographies, bien que les romans s’inspirent de la vie de braves femmes sous l’époque coloniale. La transposition, qui s’ouvre sur le contexte colonial, l’emporte sur la confidence directe de Tituba et Télumée, sur leur reconnaissance intime. Les auteurs adoptent le même parti lorsqu’ils racontaient la désillusion des personnages, en approuvant le discours ethnique dans Traversée de la Mangrove, dans Un plat de porc…, Desirada ou Les derniers rois mages. Maryse Condé et Simone Schwarz-Bart remanient le matériau colonial, brouillent les frontières entre la réflexion théorique, critique sur le « colonialisme » et l’analyse littéraire. Pour le premier auteur, le remaniement tient à l’abandon du texte, livré au point de vue du personnage, ce qui permet paradoxalement à Maryse Condé de se livrer : propos contre le « colonialisme », critique de la colonisation, et même les conceptions politiques car, on le verra avec certains personnages de Desirada et Traversée de la Mangrove, Maryse Condé avait milité au Parti communiste de la Guadeloupe. L’impossibilité de l’indépendance, celle de la Guadeloupe, colonie française, amènera Maryse Condé à brosser, implicitement, ces années révolutionnaires, les émeutes populaires de 1967 à Basse-Terre et à Pointe-à-Pitre qui entraîneront le Procès des patriotes guadeloupéens, devant le tribunal de sûreté de l’Etat à Paris. L’indépendance et l’autonomie, deux moyens de défaire les liens coloniaux avec la Métropole, étaient les mots d’ordre, les sujets des conversations éternelles, qui passionnaient jusqu’à les diviser les Guadeloupéens. Mais il y a bien un moment que Maryse Condé a abandonné son discours militant, né des assujettissements de la colonisation ; la force du communisme lui avait ouvert les yeux, une prise de conscience révolutionnaire était alors en train de naître, de se propulser dans les propos et actes de l’auteur engagé. Traversée de la Mangrove, roman écrit en 1989, et Desirada en 1997, donnent quelques échos de ces années militantes, mais ces romans ne composent, en aucun cas, des affirmations militantes, au point d’inciter à la révolte, à la xénophobie. Pour Simone Schwarz-Bart, le travail de la mémoire était fondamental, les personnages mènent les récits, dirigent la narration, celles de Mariotte et de Télumée sont exemplaires. La mémoire est l’imaginaire qui suggère et souligne une vérité inaccessible : l’œuvre littéraire, aux Antilles, ne peut se passer, complètement, de la construction des thèmes coloniaux. La fiction, qui en découle, cherche à retrouver le sens du « colonialisme ». Les auteurs savent décrire l’histoire coloniale, dans une perspective littéraire qui la dépasse.