3. Art et nature

‘« Celui-ci avait présenté des raisins si heureusement reproduits que les oiseaux vinrent voleter auprès d’eux sur la scène ; mais l’autre présenta un rideau peint avec une telle perfection que Zeuxis, tout gonflé d’orgueil à cause du jugement des oiseaux, demanda qu’on se décidât à enlever le Rideau pour montrer la peinture, puis, ayant compris son erreur, il céda la palme à son rival, car, s’il avait personnellement, disait-il, trompé les oiseaux, Parrhasius avait trompé lui, un artiste ». ’

Telle est l’anecdote racontée par Pline l’ancien, celle d’une compétition entre deux artistes Zeuxis et Parrhasius dont la victoire revient à celui qui a surpassé, par son imitation, la Nature 67 . C’est cette même conception, l’art comme imitation - sous toutes ses formes - que défend Aristote tandis que Platon condamne, à plusieurs reprises, un art qui ne reposerait que sur l’illusion ou le trompe-l’oeil. Si l’imitation est la condition universelle de toute production, elle doit être fidèle, non pas aux apparences, mais à l’essence même des choses 68 . Et, les réflexions sur les relations art-nature poursuivies à la Renaissance trouvent leur fondement dans les Idées platoniciennes.

Lorsque Léonard de Vinci souligne que la peinture doit être conforme à l'objet imité et recommande, afin d'atteindre ce but, de se servir d'un miroir, instrument permettant de mesurer l'exactitude de la représentation, il s’inscrit dans une pensée héritée de l’Antique. L’artiste n’est plus un simple copiste et s’affirme, bien au contraire, comme l’émule de la Nature. La peinture est le reflet de la Nature, certes, mais il l’est d‘une nature maîtrisée, connue, objet d’observations. L’œuvre d’art ne doit pas être une reproduction servile mais une création où l’intensité de l’âme de l’artiste baignerait l’entière composition.

Parallèlement, les références aux théologies chrétiennes - souvent médiévales - complètent les théories platoniciennes et enrichissent les discussions. À partir des réfléxions de saint Thomas d’Aquin, saint Augustin, Plotin ou Denys l’Aéropagite, la beauté est conçue comme un moyen d’accès majeur à Dieu. Une telle conception trouve une large diffusion auprès des milieux de la Contre-Réforme.

La peinture sur pierre imagée s'inscrit dans ces débats car elle offre un authentique exemple de connivence entre l'art et la nature. Les pierres, telles que l'agate ou le marbre proposent de multiples images et les peintres se servent de ces motifs afin de mêler création naturelle et artistique. Ces images font elles-mêmes l’objet d’interprétation : aux constatations « humanistes », dont l’intérêt portait à la fois sur la curiosité et sur le rapport entre art et nature, font place des réflexions religieuses où la Nature serait un objet d’émerveillement en tant que manifestation divine. Il est alors possible d’envisager la beauté des pierres dures - selon la pensée de Plotin - comme « l’expression d’une raison intelligible, comprise dans l’Ordre Universel, et rendant compte de l’activité productrice de la Nature » 69 .

À la fin du XVIe et au début du XVIIe siècles ces notions sont étroitement liées et révèlent une attention grandissante pour la nature. Des observations « savantes » d’érudits comme Cassiano dal Pozzo à celles, plus engagées, du jésuite, Athanasius Kircher, toutes s’intéressent aux images - signification, composition - qui se trouvent sur les pierres. Mais, les descriptions permettent aussi d’en confronter les différentes perceptions et d’envisager plus clairement la place de la peinture sur pierre dans le rapport art-nature.

Cette pratique accompagne l'émergence des Studioli et Wunderkammern 70 - cabinets de curiosité qui connaissent un important développement dès le début du XVIe siècle jusqu'à la fin du XVIIe siècle. Au sein de ces collections, la nature est au centre des préoccupations artistiques et scientifiques. Curiosités et merveilles naturelles viennent peupler ces cabinets. Les collectionneurs accumulent des objets dans le but de rassembler le « macrocosme » en un « microcosme » 71 : monstres, produits exotiques, objets minéraux, végétaux, animaux font l'objet d'attentions particulières. Une très large place est également consacrée aux pierres imagées 72 . Parmi celles-ci, l'agate, les marbres, la pietra paesina ou pietra del’ Arno provoquent une certaine admiration. La diversité de ces motifs - paysage, tourbillon, personnages - offre au peintre de multiples variations. Ces pierres imagées sont alors prisées tant des savants que des peintres, des sculpteurs, des architectes. Un tel engouement est démontré par les écrits scientifiques et artistiques qui abordent les rapports art-nature et illusion-imitation. Dès l'Antiquité, Pline l'ancien relate que « n'ayant pas de marbres prêts pour les utiliser pour les murs ou pour les diviser en morceaux, on se décida à les imiter avec de la peinture en reproduisant les taches des pierres les plus rares » 73 .

Les pierres imagées suscitent un vif intérêt : Pline raconte, d'une part, que « comme les coins des ouvriers qui dégageaient le marbre avaient isolé la masse d'un bloc, une image d'un Silène y apparut » 74 et que, d'autre part, « Pyrrhus eut dit on l'agate sur laquelle on voyait les neufs muses et Apollon citharède, ce n'était pas un artiste mais la nature qui avait spontanément distribué les taches de telle façon que chaque muse avait ses attributs représentés » 75 . À partir de son témoignage, nous percevons comment l'idée d'une proximité art-nature était déjà présente dans l'Antiquité puisque Pline l'ancien incluait dans ses études minéralogiques 76 des artifices 77 .

Leon Battista Alberti reprend dans le De Pictura (1435)l'anecdote de Pline l'ancien et ajoute «qu'il est d'ailleurs manifeste que la nature même prend plaisir à peindre. Nous la voyons souvent faire dans les marbres des hippocentaures et des visages de rois barbus » 78 .

Au XIIIe siècle, le savant Albert le Grand (entre 1200 et 1206-1280), classe dans son ouvrage, De Mineralibus, plus d'une centaine de pierres et montre que l'on peut trouver trois types de pierres qui comportent des figures, dont celles formées par la nature. Il raconte, qu'étant à Venise, « un marbre avait été coupé en deux pour décorer les murs de l'église [...] il apparut, dans les deux morceaux de marbre, placés l'un à côté de l'autre, une magnifique image d'une tête de roi qui avait une couronne et une longue tête [...] cette image avait été faite dans la pierre par la nature » 79 . Antonio di Pietro Averlino, dit le Filarete (1400-1469), écrit, après 1458, le Trattato di Architettura, dans lequel il consacre une partie importante aux matériaux et à leur travail et reprend certaines légendes se rattachant aux pierres imagées, dont celle d'Albert le Grand. Il indique toutefois que la figure du doge habillé d'une cape, semble, pour reprendre ces termes, « peinte » 80 .

Léonard de Vinci prise également les pierres naturelles et indique que « si tu regardes des murs souillés de beaucoup de taches ou faits de pierres multicolores, avec l’idée d’imaginer quelque scène, tu y trouveras l’analogie de paysages au décor de montagnes, rivières, rochers, arbres, plaines, larges vallées et collines de toute sorte. Tu pourras y voir aussi des batailles et des figures aux multiples gestes vifs et d’étranges visages et costumes et une infinité de choses, que tu pourras ramener à une forme nette et complète » 81 .

Lodovico Dolce (1508-1568), humaniste vénitien, s'adonne à la littérature, aux arts et s'intéresse aux curiosités, notamment aux pierres imagées qui, telles les agates « forment diverses images : nombre d'animaux, de fleurs ou de bois, nombre d'oiseaux et de vraies effigies de Roi » 82 . Giovanni Armenini (1503-1609), ayant voyagé dans l'ensemble de l'Italie, consacre un ouvrage aux techniques artistiques, mettant à jour les « traditions » du XVIe siècle. Dans le chapitre dédié à l'étude des grotesques, il reprend certaines observations émises par Léonard de Vinci 83 ; il souligne en effet qu'il est possible de discerner sur les murs des taches « représent[ant] diverses fantaisies et des formes inattendues de figures extravagantes, qui ne sont pas vraiment comme cela mais se créent d’elles mêmes dans notre intellect » 84 . Ce sont ces dernières qui, faisant appel à l'imaginaire, ont, selon Giovanni Armenini, poussé les artistes à rechercher de nouvelles formes d'illusion et les ont amenés, par conséquent, à créer chimères et grotesques.

En Bohème, l'attrait pour les pierres rencontre le même enthousiasme. Anselme Boece de Boot ( ?-1634), médecin de l'empereur Rodolphe II reprend la légende de la pierre de Pyrrhus, énoncée par Pline l'Ancien et la complète de maints détails fantasques puisque « les couleurs y étant tellement arrangées non par artifice, mais par hasard, que chaque muse avait les marques pour se faire reconnaître et remarquer de même que si elles y avaient été peintes ». Parmi les agates possédant des artifices, il nomme celle que « Camille Leonard de Pesaro rapporte d'avoir vu, qui représente parfaitement cent arbres plantés dans une plaine » ou encore celle qu'il comportait « un cercle marqué d'une couleur assez sombre, si parfait qu'on n'en saurait faire un qui le fut plus avec le compas. Au milieu du cercle on y voit l'image d'un Evêque avec sa mitre. Après si on la tourne un peu, on y voit l'image d'un autre. Si on la tourne derechef deux images paraissent à la fois, l'une d'un homme, l'autre d'une femme... » 85 .

Tous ces récits montrent que croyances, légendes ancestrales et représentations imaginaires perdurent à la Renaissance et se poursuivent jusqu'à la fin du XVIIe siècle. Toutefois, certains savants tels Galileo Galilée (1564-1641) ou encore René Descartes (1596-1650) commencent à les remettre en cause et condamnent cette culture du merveilleux, de la curiosité 86 . Ces jugements restent encore marginaux et les savants, proches des conceptions aristotéliciennes, continuent à avoir le soutien des mécènes les plus importants. Tel est le cas d'Ulisse Aldrovandi (1522-1605) ou d'Athanasius Kircher (1602-1680). Le premier représente parfaitement cette dualité entre tradition et science moderne 87 . S'il tente de fonder ses réflexions à partir d'observations, il tend, en un même temps, à se reporter aux écrits traditionnels - Aristote, Dioscoride, Albert Le Grand - et aux histoires fabuleuses. Symbole de l'esprit « encyclopédique » ou plutôt de l'accumulation des collectionneurs du XVIe siècle, il cherche avant tout à posséder tous les objets que le monde contient ; ce qui lui permet d'étudier les divers processus de la nature par la nomenclature, l'identification et la classification. Ces observations se portent essentiellement sur les curiosités, alors considérées comme une vertu. Présenté comme un expert des dragons, Ulisse Aldrovandi participe, pour reprendre les termes de Paula Findlen, à « la normalisation du merveilleux » et à « la démystification des croyances ancestrales » 88 . Son cabinet de curiosité contient un grand nombre de monstruosités et d’étrangetés dont des pierres imagées. Il consacre treize volumes à l'étude de la nature, dont l'un, Geologia ovvero de Fossilus, publié seulement en 1648 sous le nom Musaeum Metallicum porte sur les minéraux. Dans cet ouvrage, Ulisse Aldrovandi montre un réel talent d'interprétateur, plutôt que d'observateur. Il reprend, en effet, de nombreuses anecdotes tirées de sources antiques ou de traités des XII-XIIIe siècles et porte une vive attention aux légendes des pierres imagées. Cette étude, loin d'être dénuée d'intérêt, offre l'avantage de présenter de multiples gravures 89 . Ulisse Aldrovandi répète les histoires de Pline l'ancien, dont celle du silène et réinterprète certaines de celles-ci dans le but de souligner les « jeux variés de la nature laissés dans le marbre ». Parmi ces pierres, on trouve « l'image d'un morceau de marbre tacheté ou entre autres taches et lignes qui représentent l'image d'une tête d'homme, il semblait qu'une de ces têtes était recouverte d'un bonnet turc mais ce qui est encore plus étonnant c'est que lorsque l'on retourne la pierre, elle représente d'autres images » 90 . Il raconte que « Scaliger 91 aussi affirme qu'un morceau de marbre avait été enlevé pour recouvrir d'un enduit le mur. Ce morceau portait la figure d'un homme barbu que tous les observateurs mettaient en rapport avec Paul le premier ermite qui était peint se tenant droit vêtu de nattes et de fleurs de palmier » 92 et illustre d'une gravure cette description(fig. A). Nombre de ces images dessinées dans les pierres se rattachent à des personnages religieux - phénomène qui est plus perceptible dans les écrits d'Athanasius Kircher - et sont à mettre en rapport avec les conceptions tridentines. Il conte également avoir vu « une autre image humaine dans le marbre qui a été observée dans le baptistère Saint Jean à Pise. Sur l'image de cet ermite, la tête est recouverte d'un capuchon à la façon des capucins, une veste longue et la main tendue avec quatre doigts (fig. B). Là aussi, on aperçoit d'autres images d'un homme qui ressemble à un turc, au dessus de la tête duquel apparaît une cloche avec un pilon dessinée par la nature » 93 .

Ulisse Aldrovandi entretient des relations avec maints savants avec lesquels échanges de savoir, d'une part, et d'objets, d'autre part, sont pratique courante : un grand nombre de ses considérations sur les pierres peut découler soit d'ouvrages antérieures, soit de légendes racontées par d'autres érudits contemporains. Il reprend ainsi l'histoire de Georgius Agricola 94 qui « raconte qu'à Constantinople, dans le temple de la sagesse, il y avait deux morceaux de marbre coupé dont les taches de chacun, de couleurs cendres étaient disposées de telle manière qu'elles représentaient l'image entière de saint Jean-Baptiste vêtu d'une peau de chameau sauf un pied que des lignes divergentes ne représentaient pas assez bien... » 95 .

Ces rapports avec les autres savants lui permettaient, de se faire reconnaître « socialement et d'obtenir de nouveaux objets, dont une pierre comportant l'image d'un « homme des bois en pied a été vu dans un marbre grec jadis en Vénétie dont Prosper Alpino 96 , homme très célèbre envoya au très savant Ulysse Aldrovandi une image naturelle » 97 .

Athanasius Kircher reprend, dans son ouvrage Mundus Subterraneus, publié en 1665, de nombreuses anecdotes évoquées par Ulisse Aldrovandi et répète, tout en le complétant, le schéma élaboré par ce dernier dans Musaeum Metallicum 98 . Les pierres imagées sont présentées selon un classement spécifique en fonction des images représentées dont il émerge diverses catégories : figures géométriques, stellaires, végétales, animales, humaines et divines.

Les considérations scientifiques d’Athanasius Kircher diffèrent quelque peu de celles d'Ulisse Aldrovandi dans le sens où il élargit son champ d'études à des sources écrites plus anciennes. Le contenu de ces recherches est fortement imprégné par un message politique et religieux : la nature transmet des messages, par exemple de rédemption, qu'il faut décrypter. Il ne s'agit plus de classifier la nature mais de comprendre son processus.

Malgré ces différentes opinions, les objets « merveilleux » jouissent toujours d'une vive attention et notamment les pierres donc l'aspect ambigu - jeux de la nature et intervention divine - est très largement souligné par Athanasius Kircher. Il raconte d'ailleurs que « en ce qui concerne les éléments, la nature les exprime avec une telle exactitude, qu'on les dirait fait par un peintre ; ainsi Carolus Magninus a une pierre d'hématite 99 dans laquelle quatre éléments de couleurs sont dessinés si artistiquement qu'aucun peintre n'aurait pu le faire mieux et plus exactement » 100 . Kircher s'intéresse à toutes les anecdotes sur les pierres imagées. D’ailleurs, lorsqu’il se trouve à Saint Pierre de Rome, dans la chapelle de la Sainte Croix, il remarque « un autel de marbre moucheté [...] sur lequel on découvre des monts et des fleuves, des lacs, des forêts, un ciel peint avec grand art par la nature... » 101 .

Toutefois, les anecdotes les plus intéressantes sont celles concernant le règne animal, humain et enfin divin 102 . Ces dernières méritent une plus grande attention 103 . Certaines de celles-ci sont accompagnées d'une illustration. Ainsi trouve t-on dans la sacristie du Collège romain « une colonne de marbre moucheté blanc et noir sur laquelle la nature a peint un pélican découvrant son poitrail en tournant le cou, sans les ongles des pattes cependant » 104 (fig. D et E). Il possède lui même dans son musée plus de trois cents objets regroupant instruments scientifique et astronomique, cartes géographiques, objets d'émerveillement et de curiosité, comme, par exemple, une queue de sirène ou des pierres comportant des représentations de figures humaine, telle « une agate sur laquelle la nature a peint une héroïne aux cheveux bouclés et à la poitrine marquée d'une ceinture » (fig. F) ou encore « des hommes vêtus du pallium » 105 , à Saint-Pierre, « un marbre sur lequel un homme chevauche un dragon » 106 . Parmi les représentations divines, nous trouvons celles racontées par Brocardus 107 ou par Ambrosinus 108 . Ce dernier se réfère, entre autres, aux observations émises par Ulisse Aldrovandi, et s'intéresse aux représentations de saints. On rencontre notamment « la figure de la maternité de la Vierge Marie et des Anges : en ce qui concerne la Vierge Marie, on la distingue imprimée par la nature sur des marbres, dans de nombreux endroits et région. Il y a ici à Rome, dans la chapelle de la sainte Vierge, à droite en entrant dans la Basilique de Saint-Pierre, à côté de l'orgue, une image remarquable sur laquelle la sainte Vierge Lauretana est peinte par la nature avec tant d'art qu'on la dirait tracée par la main d'un artiste ; elle est vêtue d'un habit avec une triple ceinture bien distincte, elle tient dans ses bras l'enfant dont la couronne est visible ainsi que celle de sa mère » 109 . Ces figures sont fournies par les motifs variés des agates, albâtres ou marbres [...] Kircher mentionne toutefois des silex et schistes 110 comportant diverses figures dont « une effigie du Pontife romain barbu portant la triple couronne en tête [...], et en outre la Vierge portant l'Enfant dans ses bras » (fig. G). Enfin, Athanasius Kircher arrête ses considérations par « le sommet de tout, la représentation du Christ [...] c'est selon Ambrosinus, observateur curieux de ces phénomènes, à Ticinus, Pavie pour le vulgaire, dans le couvent des Chartreux, situé à cinq miles de la ville qu'un jour, la nature a peint élégamment dans le marbre l'image du Christ notre sauveur, sur la croix, sans oublier la couronne d'épines. À Venise, une figure du Christ en croix apparaît aussi dans le marbre, selon le même témoin, dans l'église de Saint-Georges- Majeur » 111 (fig. H).

Si les artistes et savants sont épris par ces merveilles, les mécènes - princes, érudits et amateurs d'art - cherchent également à posséder pierres et peintures sur pierre.

Le studiolo de Lodovico Moscardo (1611-1681) noble véronais comportait une pierre de croix, c'est à dire une pierre de couleur cendre avec une grande croix noire, « générée par la nature, non sans grand mystère et signée de l’emblême miraculeux de la croix » 112 .

On sait également, d'après la description effectuée par Lorenzo Legati du musée du marquis Ferdinand Cospi (1606-1685) 113 , que celui-ci possédait « d'autres effigies de tête humaine dont celle d’un vieillard peint par la nature sur un morceau de marbre » 114 . Giulio Mancini déclare que l'on voit « des peintures faites par la nature sur les pierres d'albâtre ou dendritiques, et que l'on peut voir une chose similaire à San Marco à Venise et une autre à Jérusalem » 115 .

Mais les collections les plus intéressantes relèvent des cabinets de curiosité où catégories naturelles, artificielles et merveilleuses sont largement représentées. Pour des érudits comme Ulisse Aldrovandi ou Athanasius Kircher, il n’a pas été possible de déterminer s’ils possédaient ou non des peintures et des objets d’art. En revanche, les collections de personnalités comme le cardinal Cassiano dal Pozzo ou Manfredo Settala (1600-1680) comportent aussi bien des pierres imagées que des peintures sur pierre. Dès 1621, Cassiano dal Pozzo, installé à Rome depuis 1612, accède à l’Accademia dei Lincei 116 et entre en contact avec de nombreux savants dont Ferrante Imperato. Entre 1630 et 1637, la correspondance de Cassiano dal Pozzo témoigne de son intérêt pour les minéraux. Dans son Museo cartaceo, dédié à l’observation et la représentation des arts et des sciences comme la botanie, la zoologie, la géologie ou l’archéologie, Cassiano dal Pozzo fait appel aux savants et artistes pour répertorier et illustrer - entre autre - les pierres dures 117 .

Parallèlement, l’érudit milanais Manfredo Settala joue un rôle tout aussi important dans la collection de minéraux ou autres objets naturels 118 . L’inventaire dressé par Paolo Maria Terzago en 1666 comporte une grande diversité de peintures sur pierre mais aussi de pierres – dont la prépondérance est accordée à la pierre paysagère. Aussi rencontrons nous autant de tableaux peints sur lapis-lazuli par Giovanni Battista del Sole que « des pierres peintes par le pinceau de la Nature » 119 ou une « pierre longue d’environ une brasse sur laquelle la nature démontre être une brillante architecte ayant admirablement peint une grande ville avec en son centre une haute tour » 120 .

La présence de tels tableaux dans les collections s’explique par le goût des collectionneurs pour la curiosité puisque les œuvres confondent peinture et supports - qu’il s’agisse d’agates, de lapis-lazuli ou de marbres. L'artiste complète ce qui a déjà été proposé par la pierre et l'on peut alors parler, pour reprendre les termes d'Adalgisa Lugli, d'œuvres « exécutées à deux mains » 121 .

Francisco Pacheco s'appuie à la fois sur le texte de Vasari et sur son expérience personnelle pour décrire, en se référant aux deux oeuvres qu'il a effectuées pour le collège de San Hermengildo à Séville, la manière de peindre et pour souligner la complémentarité technique-matériau. Il présente que « les Italiens ont nouvellement peint sur diverses pierres des histoires et des figures, gardant les taches naturelles, les unes qui semblent être des éclats et nuages, les autres des montagnes, des monts et de l’eau, adaptant l'histoire ou la figure pour profiter de la peinture naturelle des pierres 122  ». Il conseille également d'unir la scène « avec les taches et l'histoire et peinture de la pierre. Perds-la avec l'imitation des couleurs de la même pierre » 123 .

Tous ces témoignages révèlent une nouvelle sensibilité accordée au monde environnant et à sa lecture. L'approche de la réalité en est inévitablement transformée 124 . Avec la peinture sur pierre, où commence l'artifice, où s'arrête le merveilleux ? Cette technique est appréciée pour les possibilités de jeu entre matériau et virtuosité 125 . Si la pierre est manipulée par l'homme, elle l'oblige également à composer avec elle et par conséquent à s'adapter à ses motifs. Dans ce monde entremêlé, la peinture sur pierre trouve alors sa place dans les Wunderkammern, à proximité des règnes animal, végétal ou minéral. Émerveillement et imaginaire sont suscités par les pierres imagées : outre les récits sur les pierres comportant tel ou tel personnage, les artistes montrent une sensibilité identique. Le dessin attribué à l’entourage d'Annibale Carrache, Paysage avec une roche anthropomorphe 126 (fig. 2), présente une pierre qui évoque le Torse du Belvédère. Cette ambivalence matériau-objet est retrouvée dans de nombreuses productions et n'est pas seulement l'apanage des Italiens. Josse de Momper également peint des paysages anthropomorphes, dont certains (fig. 3 et 4) rappellent les caricatures de Léonard de Vinci et semblent répondre aux assemblages et imbrications des peintures d'Arcimboldo 127 . Les dessins de Jacques II de Gheyn, dont Roche couverte par des plantes formant des têtes grotesques (fig. 5) s'accordent avec les légendes et histoires portant sur les pierres imagées puisqu apparaîssent des têtes humaines et autres « bizarreries » par le biais des motifs végétaux et minéraux 128 .

À la fin du XVe siècle, les Vénitiens, passionnés par le marbre veiné, remettent en pratique une technique existant déjà dans l'Antiquité et permettant de l'imiter : le millefiori, qui consiste à introduire dans du verre transparent des fragments de filaments multicolores 129 . Ils inventent dans un même temps de nouvelles pâtes de verres, pouvant ainsi obtenir des vases, coupes, gobelets qui reprennent les motifs de certaines pierres telle la calcédoine. Marc Antonio Sabellico 130 constate d'ailleurs « qu'aucun type de pierre précieuse n'existe qui n'ait été imitée par l'art du verre, en compétition aimable entre homme et nature » 131 . Nous retrouvons cette même compétition, cette dualité art-nature dans les oeuvres des Carrache. En effet, la peinture sur albâtre représentant la Vierge et l'enfant avec Saint François (fig. 8), attribuée à Antonio Carrache, joue pleinement avec les veines fournies par la pierre 132 . La Vierge, tenant sur ses genoux l'enfant Jésus, est assise sur une sorte de nuage, représentation proposée par la pierre. L'ensemble de la scène s'inscrit parfaitement dans les motifs créés par le naturel.

On trouve à la Pinacoteca Capitolina une variation exécutée d’après l’œuvre d’Antonio Carrache qui est peinte non plus sur albâtre mais sur cuivre (fig. 9) 133 . Elle retranscrit avec une grande exactitude les mouvements, les ondulations proposées par l'albâtre : quelles étaient les intentions de l'artiste? S’agissait-il d’une simple copie ? Cherchait-il à souligner son habileté en imitant avec finesse la nature? Voulait-il au contraire montrer l'artifice des pierres imagées ? L'usage de tels supports ne semble pas anodin et il paraît plausible que ces œuvres avaient pour but de montrer tant le génie du peintre que la beauté du support. Ces tableaux correspondent à une approche du vrai, une retranscription fidèle, voire même à une peinture en trompe l'œil.

Les pierres comportant de nombreux dessins et motifs permettaient à l'artiste de mêler artifice et réalité et devenaient même, dans certain cas, une œuvre d'art à part entière. Pour reprendre les propos de Mancini « cette sorte de peinture [la pierre imagée] n'a rien d’autre de particulier que le jeu de la nature démontrant qu’étant elle- même un exemplaire des arts, elle s’est faite imitatrice » 134 .

Science et art sont donc inextricablement liés et expliquent que l'on puisse trouver des études « minéralogiques » 135 tant dans les ouvrages artistiques que savants.

L’intêret porté aux pierres ne relève pas exclusivement de la curiosité et les observations d’ordre technique sont aussi importantes pour pouvoir employer les pierres en architecture ou en sculpture.

Au XVIe siècle, les traités qui abordent la « minéralogie » abondent : Agostino del Riccio moine dominicain, rédige vers 1597, un ouvrage, Istoria delle Pietre, sur les différents minéraux extraits en Italie. Il s’intéresse autant à leur forme, à leur couleur qu’à leur dureté ou à leur localisation 136 . Toutefois, dans son étude, les descriptions des pierres ne sont pas exemptes de références aux traités médiévaux 137 et aux croyances ancestrales qui confèrent à chaque pierre une vertu. Giorgio Vasari s’appuie également sur ces divers registres pour présenter les pierres utilisées en sculpture ou en architecture, en Toscane, du marbre à l’albâtre en passant par le travertin. Mais, les observations se font de plus en plus pragmatiques et les écrits successifs comme ceux de Vincenzo Scamozzi 138 , en 1615, ou de Filippo Baldinucci (1625-1697) en 1681, ne retiennent des écrits précédents que les caractères « savant » et technique 139 . Ces ouvrages offrent au lecteur la possibilité de comprendre quelles carrières étaient exploitées, quelles pierres étaient prisées et employées. Il importe alors de confronter nos connaissances scientifiques avec les témoignages des XVIe et XVIIe siècles pour comprendre non seulement l’aspect technique des pierres mais aussi la diffusion de certaines d’entre elles en architecture, en sculpture et en peinture.

Notes
67.

Pline l’ancien, (1985), livre XXXV, p. 65.

68.

Sur le thème de la mimésis, du rapport Art et nature - en prenant en compte les livres cités lors du chapitre précédent - voir : Lamblin, Bernard, Art et Nature, Vrin, 1979 et éventuellement Farago, France, L’Art, Paris, Armand Colin, 1998.

69.

Propos repris de Farago, 1998, p. 38.

70.

Sur le sujet des cabinets de curiosité on pourra se référer aux ouvrages de : Schlosser, Julius, Kunst-und-Wunderkammern, Leipzig, Kinhardt und Biermann, 1908 ; Liebenwein, Wolfgang, Studiolo : die entstehung eines Raumptypes und seine entwicklung bis um 1600, Berlin, Mann, 1977 ; Lugli, Adagilsa, Naturalia et mirabilia : il collezionismo enciclopedico nelle Wunderkammern d’Europa, Milan, G. Mazzotta, 1983 ; Schnapper, Antoine, Le Géant, la licorne et la tulipe : histoire et histoire naturelle, Paris, Flammarion, 1988 ; Kaufmann DA CostaThomas, The Mystery of nature : aspects of art, scinece and humanism in the Renaissance, Princeton, N. J. Princeton university Press, 1993 ; Bredekam, Horst, La Nostalgie de l’Antique. Statues, machines et cabinets de curiosité, Berlin, Klaus Wagenbach, 1993, édition consultée, Paris, Diderot, 1996 ; Schnapper Antoine, Curieux du grand siècle, Paris, Flammarion, 1994 ; Findlen, Paula, Possessing Nature. Museums, Collecting and Scientific Culture in early modern Italy, Berkeley-Los Angeles-London, 1994 ; Lugli, Adalgisa, introduction Pomian, Krysztof, Wunderkammer, Milan, Umberto Allemandi & C., 1997 ; Vanaetgarden, Alexandre, (dir.), Érasme ou l'éloge de la curiosité à la Renaissance. Cabinets de curiosité et jardins de simples, Musée Saint-Antoine l'Abbaye, Bruxelles, Edition Lettre volée à la maison d'Erasme, 1997.

Les termes Studiolo ou Wunderkammer désignent les cabinets de curiosité, lieux qui proposaient une accumulation d'objets naturels et artificiels : artificilia, meraviglia et bizzaria – catégories définies dans les ouvrages de Julius Schlosser ou d’Adalgisa Lugli - font partie intégrante des éléments déposés dans ceux-ci. On date à la seconde moitié du XVIe siècle l'essor de ces cabinets, même si l'on trouve quelques exemples à des dates antérieures, tel le Studiolo d'Isabelle d'Este - celui-ci ne peut pas être considéré comme un Wunderkammer.

71.

On peut définir la volonté de vouloir rassembler le monde environnant, le « macrocosme », dans un univers intime comme les cabinets de curiosité qui symbolisent par conséquent le « microcosme ».

72.

De manière plus générale, pour l’intérêt porté à la géologie, voir : Accordi, Bruno, « Contributions to the History of the geological sciences. The Musaeum Calceolarium (XVI century) of Verona illustred in 1622 by Ceruti e Chiocco », Geologica Romana, n° 16, 1977, p. 21-54 ; Accordi, Bruno, « Michele Mercati (1541-1593 e la Metallotheca », Geologica Romana, n° 19, 1980, p. 1-50 ; Accordi, Bruno « Ferrante Imperato (Napoli, 1550-1625) e il suo contributo alla storia della geologia », Geologica Romana, n° 20, 1981, p. 43-56 ; Wilson, Wendel E., The History of mineral collecting 1530-1799, Arizona, The mineralogical record, 1994.

73.

Pline l'ancien, (1981), livre XXXVI, p. 53.

74.

Pline l’ancien, (1981), livre XXXVI, p. 53.

75.

Pline l’ancien, (1981), livre XXXVI, p. 35-36.

76.

Livres XXXVI et XXXVVII.

77.

Le contraire est également vrai puisque le livre XXXV portant sur les Arts contient également des réflexions sur les matériaux employés, dont les marbres.

78.

Alberti, Leon Battista, De Pictura, 1435, d’après Jean-Louis Schefer, (dir.), introduction de Sylvie Deswarte-Rosa, Paris, Macula, 1992, p. 143.

79.

le Grand, Albert, De Mineralibus et rebus Metalicus, XIIIe siècle, traduction D. Wyckoff, Book of minerals, Oxford, Clarendon Press, 1967, p. 127-128.

80.

« E li vedrai proprio una figura che dirai : ell'è dipinta ! Ed è in forma di romito colla barba e col ciliccio, e sta colle mani che pare che adori », Averlino, Antonio dit le Filarete, Trattato di architettura, après 1450, édition consultée Anna Maria Finoli, Liliana Grassi, Milan, Il Polifilo, 1972, p. 74.

81.

Extrait de Léonard de Vinci, édition consultée, 1960, p. 332.

82.

« Formano diverse imagini : quando diverse ferie, fiori, o boschi, quando ucelli, e vere effigie di Re », Dolce, Lodovico, Libri tre nei quali si tratta delle diverse sorte delle gemme che produce la natura, della qualità, grandezza, bellezza e virtù loro, Venise, Giovanni Battista, Marchio Sessa e Fratelli, 1615,p. 29. Il cite aussi l'anecdote de l'agate de Pyrrhus racontée par Pline l'Ancien et mentionnée dans de nombreux écrits, dont ceux d'Alberti.

Les agates ou albâtres ont suscité de nombreux commentaires. Vincenzo Scamozzi reprend les constatations de Lodovico Dolce puisque « Si discernono per scherzo della natura, fiumi, laghi, mari ondeggianti e scogli e talhor con molte sorti di pesci, e navili, prati verdeggianti, arbori con foglie, fiori e frutti e monti sassossi... », Scamozzi, Vincenzo, L'idea dell'Architettura universale, Venise, Expensis auctoris, 1615, p. 196.

83.

Il n'est toutefois pas certain qu'il ait lu Le Traité de la peinture de Léonard de Vinci qui n’était que peu diffusé à cette époque.

84.

« Nelle quale macchie [...] vi si rappresentano diverse fantasie e nuove forme di cose stravaganti, le quali non è che siano cosi in quelle, ma si creano da sè nell'intelletto nostro », Armenini, Giovanni, De Veri precetti della pittura, Ravenne, Francesco Tebaldini, 1586, édition consultée, Mariana Gorreri, (dir.), Turin, Giulio Einaudi, 1988, chap. 11, p. 219-220.

85.

Boece de Boot, Anselme, Gemmarum et lapidum historia, Hanovre, typis Wechelianis apud Claudium Marnium & heredes Ioannis Aubrii, 1609, édition consultée, Le Parfait joaillier ou histoire des pierreries ou sont amplement décrites leur naissance, juste prix, moyen de la connaître..., traduction André Toll, Lyon, Antoine Huguetan, 1644, p. 313-314.

86.

Le passage publié par Erwin Panofsky est représentatif de la condamnation par Galilée du goût pour la curiosité. Il écrit ainsi : « pénétrer dans le cabinet de quelque petit amateur de curiosités qui se serait plu à l’emplir d’objets, qui, par leur âge ou leur rareté ou pour toute autre raison, auraient bien quelque bizarrerie, mais qui ne seraient en fait que de petites choses avec, par exemple, disons un crabe fossilisé, un caméléon desséché, une mouche et une araignée gélatinées dans un morceau d’ambre...», dans, Panofsky, 1954, (2001), p. 51.

87.

Bibliographie - non exhaustive - sur Ulisse Aldrovandi : Legati, Lorenzo, Museo Cospiano annesso a quello del famoso Ulisse Aldrovandi e donato alla sua patria dall illustrissimo Signor Ferdinando Cospi, Bologne, Monti, 1677 ; Baldacci, Antonio, Intorno alla vita e alle opere di Ulisse Aldrovandi : studi, Bologne, Treves, 1907 ; Olmi, Giuseppe, Ulisse Aldrovandi. Scienza e natura nel secondo Cinquecento, Trento, Libera università degli studi di Trento, 1965 ; Simili, Rafaella, Beretta, (dir.), Marco, Il Teatro della natura di Ulisse Aldrovandi, catalogue d’exposition, Bologne, 2001.

88.

Findlen, Paula, Possessing Nature. Museums, Collecting and Scientific Culture in early modern Italy, Berkeley-Los Angeles-Londres, 1994, p. 21

89.

Pour les reproductions de pierres imagées, voir l’ouvrage : Baltrusaïtis, Jurgis, 1957.

90.

« Nos hoc in loco damus iconem fragmenti Marmoris maculosi, ubi interalias maculas, & lineamenta, quaedam iconem humani capitis exprimebant, & caput pileo turcico tectum esse videbatur, sed quod magis admirandum est, quando haec effigies invertitur, aliam faciem, vertice complanato repraesentat », Ulisse Aldrovandi, Musaeum Metallicum..., Bologne, N. Tebaldini, 1648, p. 754.

91.

Il pourrait s'agir du témoignage de Julius Caesar Scaliger (1484-1558), médecin d'Antonio della Rovere qui s'installa en France et devint, de 1548 à 1549, savant du roi Henri II de Navarre (1516-1555).

92.

« Scaliger quod. affirmat frustum marmoris fuisse diffectum, ad parietem incrustandum, quod figuram barbati senis obtulit, quem omnes spectatores ad Paulum primum Eremitam referebant, qui erectus & storea palmacea indutus pingitur», Aldrovandi, 1648, p. 755.

93.

« Nos quoque hic damus figuram Eremitae, cum alia effigie humana in Marmore, quod Pisis in Templo Sancti Ioannis observatur. Habet haec Eremitae icon caput cucullo tectum, more Capuccinorum, longam vestem & manum extensam, cum quatuor digitis. Ibidem alia effigies hominis conspicitur turcam referentis, supra cuius caput campana cum pistillo eleganter, & ad vivum a Natura delineata apparet », Aldrovandi, 1648, p. 755.

94.

Georgius Agricola (1494-1555) est considéré comme le fondateur de la géologie. En 1522, il commence des études de médecine à Leipzig, puis à Bologne et Padoue et devient docteur en 1526. Il mène de nombreuses études sur les minéraux et fossiles et publie De Natura Fossilium. L'ouvrage De Re Metallicum, oeuvre posthume, comporte des études sur les rochers, minéraux et fossiles.

95.

Il n'est certes pas possible de relater l'ensemble de ces considérations sur les pierres imagées, c'est pourquoi nous ne citerons, qu'en dernier exemple, cette description, illustrée par une gravure dans l'ouvrage d'Ulisse Aldrovandi et reproduite en annexe (fig.C) : « A Ravenne, dans la basilique de Saint-Vitale, à côté du premier autel, il est possible de contempler dans le marbre l'image d'un pèlerin, dans la même ville autrefois on a coupé un marbre, qui montrait en mettant côte à côte les deux parties l'image d'un moine avec d'autres formes à la hauteur du ventre et conduit par l'image d'anges disposés autour de lui...». Cette anecdote n'est pas sans nous rappeler celles évoquées par Albert le Grand, ce qui montre la capacité d'interprétation d'Ulisse Aldrovandi.

« Georgius Agricola recitat Constantinopoli, in templo Sapientiae, duas esse Marmoris diffecti crustas, quarum utriusque maculae cinerei coloris ita erant dispositae, ut totam Divi Ioannis Bapistae vestiti tergore Cameli imaginem repraesentarent, praeter alterum pedem, quem discurrentes linae non fatis benè exprimebant...», Aldrovandi, 1648, p. 758-759.

96.

Prosper Alpino (1553-1617), savant et botaniste à Padoue. Il effectue de nombreux voyages et se rend en Egypte et sur les îles grecques, où il se livre à la description des plantes trouvées dans ces pays. À partir de 1553, il devient professeur à l'Université et « directeur » du jardin de Padoue.

97.

« Pariter integra hominis sylvestris figura olim in Marmore graeco visa fuit apud venetos, cuius genuinam iconem clarissimus vir Prosper Alpinus ad doctissimum Ulyssem Aldrovandium misit », Aldrovandi, 1648, p. 756.

98.

Pour plus d’informations sur Athanasius Kircher, voir : Godwin, Joscelyn, Athanasius Kircher : a renaissance man and the quest for lost knowledge, Londres, Thames and Hudson, 1979 ; Casciati, Maristella, Ianniello, Maria Grazia, Vitale, Maria, Enciclopedismo in Roma Barocca. Athanasius Kircher e il museo del Collegio romano, tra Wunderkammer e museo scientifico, Venise, Marsilio, 1986 ; Findlen, Paula, « Scientific spectacle in Baroque Rome : Athanasius Kircher and the roman college Museum », Roma Moderna e Contemporanea, 3, 1995, (1996), p. 625-665 ; Lo Sardo, Eugenio, Iconismi et Mirabilia da Athanasius Kircher, Rome, edizioni dell’Elefante, 1999 ; Magie des Wissens : Athanasius Kircher 1602-1680. Universalgelehrter, Sammler, Visionär, catalogue d’exposition, Würzburg, 2002.

99.

Pierre noire, d’éclat métallique, formée d’oxyde de fer.

100.

« Ad Elementa quod attinet, illa quoque Natura exprimit ita exactè, ut a pictore expressa videantur, cujsmodi ex Haematite unam habet Gemmam Carolus Magninus, in qua quatuor elementa naturali colorum ductu ita affabre exhibentur, ut a nullo pictore, medius exactiusq depingi poffint... », Kircher, Athanasius, Mundus Subterraneus in XII libros.... Amsterdam, Joannem Sanssonium & Elizum Weyershale, 1665, p. 29.

101.

« Altare ex flavo marmore & vario mixto constat, in quo & montes & flumina, lacus, sylvas, aerem, affabrè a Natura depicta», Kircher, 1665, p. 29.

102.

Les anecdotes semblent être présentées selon un crescendo, puisque l'on commence par les éléments végétaux pour terminer avec les éléments divins. Le point d'orgue en est la dernière explication : celle de la représentation du Christ.

103.

Les descriptions de pierres imagées qui comportaient des messages divins ont été citées brièvement par Jurgis Baltrusaïtis,

104.

« Est in Sacristia collegii Romani columna marmorea ex nigro & albo mixta, in qua Natura pelicanum pinxit, contorto collo pectus sibi aperientem, mutilis tamen unguibus pedum... », Kircher, 1665, p. 30.

105.

« Achates, in quo Natura Heroinam depinxit capillis crispatam & pectore balteo instructam […] hominis palliati... », Kircher, 1665, p. 30.

106.

« ... in S. Petro marmor, ubi homo draconem inequitat... », Kircher, 1665, p. 30.

107.

Athanasius Kircher pourrait faire référence à Brocard, qui, lorsqu’il rentre de Sion se fait surnommer Brocardus. Présent en Terre Sainte vers 1232, il entreprend la description de tous les objets trouvés dans ce pays. Ces récits sont publiés à Venise dès 1519 et connaissent une importante diffusion. On peut, par conséquent, penser qu’Athanasius Kircher connaissait ces ouvrages.

108.

Il doit vraisemblablement s'agir de Bartolomeo Ambrosini (1588-1657), médecin et naturaliste, chargé du jardin de l'Université de Bologne. En 1632, il s'occupe du musée fondé par Ulisse Aldrovandi et décide de publier certains ouvrages d’Ulisse Aldrovandi dont Museum metallicum en 1648.

109.

« Beatissimae Virginis Matris figuris, Angelorumque auspicemur narrationem : & quod ad B. Virginem attinet, illa primo variis in locis & regionibus, marmoribus à natura impressa cernitur […] Est hic Romae in Sacello Divae Virginis, templum S. Petri ingredientibus ad dextram, juxta organum spectatibilis imago in qua Beatissima Virgo Lauretana ita affabrè à Natura depicta spectatur, ut artificis manu delineata videatur ; veste induitur triplici zona distincta, filiolum brachiis tenet, corona, quemadmodum & mater, conspicuum : Spectantur & circumcirca Angelorum figurae ... », Kircher, 1665, p. 30.

110.

Ces deux pierres ne sont que rarement citées car les dessins des marbres et agates semblent plus propices que le silex ou le schiste pour "dessiner" des formes qui évoquent des personnages ou des animaux.

111.

« Est Ambrosino teste curioso harum rerum exploratore, Ticini, vulgo Pavia, in Coenobio Carthusianorum ad quintum lapidem extra civitatem fito, in quo quodam in marmore Natura Christi Servatoris nostri in cruce pendentis nec non spinea corona redimiti imaginem eleganter depinxit. Venetiis quoque figura Christi crucifixi apparet in marmore, codem teste, in templo S. Georgii majoris eodem modo effigiata... », Kircher, 1665, p. 31.

112.

« Non senza gran misterio la Natura l'habbia generata e segnata appunto con quel carattere miracoloso della croce », Moscardo, Lodovico, Note ovvero memorie del museo del conte Lodovico Moscardo..., Padoue, P. Frambotto, 1656, édition consultée, Vérone, Andrea Rosci, 1672, p. 134.

113.

Ce musée, donné par le marquis Ferdinando Cospi au sénat de Bologne, en 1675, est caractéristique des Wunderkammern. Il renferme objets d’art, curiosités et produits naturels.

114.

« D'altra Effigie di Testa umana, cioè d'un vecchio dalla natura dipinta in un pezzo di marmo », Legati, 1672, p. 141.

115.

« Le pitture fatte dalla natura nelle pietre d'Alabastro, o arboree, e simili cose se ne vede una in Venezia a San Marco, et in altra in Gerusalem... », Mancini, 1614-1620, (1956), p. 22.

Durant tout le XVIIe siècle, les légendes antiques continuent à être relatées et semblent toujours susciter la même admiration. En 1640, Abaro Alonfo Barba, rédige un traité sur les métaux, dans lequel il explique que l'on « trouve dans les pierres des figures variées qui causent une des plus grande admiration... ». Il reprend également l'anecdote de Pyrrhus et rajoute que Cardanus « en avait une de cette sorte qui était une vraie réplique de l'empereur galba » et cite de nombreuses légendes, dont celle d'Aldrovandi : « dans l'église de Constantinople, il y a un marbre qui, par ses veines, représente l'image de Saint Jean Baptiste avec ses habits de chameau » ou encore qu’il y a « une pierre noire cassée à un endroit, où est peint l'image d'un serpent », Barba, Abaro Alonfo, The Art of Metal..., 1640, édition consultée, R. H. Edward comte de Sandwich, Londres, Mearne, 1674, p. 64-65.

116.

L’Accademia dei Lincei, fondée par Federico Cesi (1585-1639), en 1603, avait pour ambition d’éditer une encyclopédie de la philosophie naturelle de l’époque. Dès 1604, de nombreux membres sont surveillés par le Saint-Office. En 1611, Galilée adhère à cette académie. La mort de Federico Cesi en 1630 met un terme à ces activités.

117.

Voir Napoleone, Caterina, « Appunti sul “natural History of Fossils V” della Royal Library di Windsor », p. 187-199, dans, Solinas, Francesco, (dir.), Cassiano dal Pozzo. Atti del Seminario internazional di Studi, Rome, De luca, 1989.

118.

Aimi, Antonio, Michele, (de), Vincenzo, Morandotti, Alessandro, Musaeum Septalianum. Una collezione scientifica nella Milano del Seicento, catalogue d’exposition, Milan, 1984.

119.

« Delle Pietre dal Pennello della Natura dipinte », Terzago, Paolo Maria, Museo o Galeria adunata dal sapere e dallo studio del Sig. Canonico Manfredo Settala Nobile Milanese, descritta in latino dal Sig. Dott. Paolo Maria Terzago..., Tortona, Nicolo e fratelli Viola, 1666, p. 253.

Giovanni Battista del Sole, Tempête de mer avec des barques, huile sur lapis lazuli,

10,7 cm x 4,7 cm ; Tempête de mer avec des barques, huile sur lapis lazuli, 11,3 cm x 6,5 cm, Milan, Pinacoteca Ambrosiana. Catalogue raisonné n°507 et 508.

120.

« Pietra in quadro lunga un braccio, in cui la Natura ha fatto l’ultimo sforzo di peritissima architetta, havendovi mirabilmente dipinta una grande Città, con in mezzo un’altissima Torre », Terzago, 1666, p. 254.

La Pinacoteca Ambrosiana, à Milan, possède trois œuvres exécutées sur lapis-lazuli par Giovanni del Sole qui proviennent de la collection Settala.

Voir catalogue d’exposition, Milan, 1984.

121.

Lugli, Adalgisa, Wunderkammer, Turin, Umberto Allemandi, 1997, p. 194.

Dans l’ouvrage de 1957, Jurgis Baltrusaïtis répertorie un grand nombre de pierres imagées dans les collections.

122.

« Han usado, nuevamente, los italianos pintar en varios jaspes historias y figuras, reservando las manchas naturales ; unas que parecen resplandores y nubes y otras que parecen sierras, montes y aguas ; acomodando la historia o figura en que se puede aprovechar la pintura natural de las piedras », Pacheco , 1638, (1990), p. 490.

123.

« Con las manchas y pintura de piedra, perdiéndolo con la imitación de los colores de la mesma piedra »,  Pacheco , 1638, (1990), p. 490.

124.

Nous pourrions également illustrer nos propos par l’émergence au XVIIe siècle du goût pour l’anamorphose qui s’inscrit dans des recherches similaires à la peinture sur pierre.

Sur ce sujet, voir Baltrusaitis, Jurgis, Anamorphoses ou perspectives curieuses, Paris, Perrin, 1969.

125.

La Vierge de Lorette, peinte sur pierre paysagère -, anonyme, école romaine, XVIIe siècle ?, 22 cm  x 38 cm, La Rochelle, Musée des Beaux-Arts. Voir catalogue raisonné, n° 125 - illustre parfaitement les possibilités offertes par le support naturel. Dans ce cas, l’artiste a coupé une pierre paysagère en deux et a joint ses deux morceaux ensemble. Ce procédé lui permet d’obtenir une parfaite symétrie et de créer un dessin - dans ce cas la maison de Lorette - prêt à l’emploi (fig. 6).

De même Johann König emploi deux pierres différentes, la pierre paysagère et le marbre, pour créer un fond adéquat à la représentation du Repos pendant la fuite en Egypte (fig. 7).

Johann König, Repos pendant la fuite en Egypte, huile sur pierre paysagère et marbre, 17,5 cm x 35 cm, Esztergom, Christliches Museum, inventaire 55.406. Catalogue raisonné n° 640.

126.

Cercle d’Annibale Carrache, Paysage avec une roche anthropomorhpe plume, encre brune, papier jauni, 195 mm x 270 mm, Turin, Biblioteca Reale, inventaire 16096.

Ce dessin a été publié par Lugli, 1997, n° 77.

127.

Josse de Momper, Paysages anthropomorphes, huile sur toile, 52,5 cm x 39,6 cm, chacune, Paris, Collection Jacques Lebel.

128.

Jacques II de Gheyn, Roches et plantes formant des têtes grotesques, encre sur papier, 266 mm x 175 mm, Paris, Fondation Custodia, Institut néerlandais.

129.

Selon la définition de Hills, Paul, La Couleur à Venise, marbre mosaïque, peinture et verrerie. 1250-1550, Londres, Yale University Press, 1999, édition consultée, traduction Paul Alexandre, Paris, Citadelles & Mazenod, 1999, p. 129.

130.

Marc Antonio Cocchio, dit Sabellicus (1436-1506), est l'auteur d'ouvrages sur l'histoire de Venise - Rerum venetarum historiae - ainsi que sur l'histoire générale depuis la création du monde, publié en 1503 - Rhapsodiae historiarum.

131.

Cité dans Tait, Hugh, The Golden age of Venetian glass, Londres, British Museum Publications limited, 1979, p. 94.

132.

Antonio Carrache, Vierge à l’enfant avec saint François (verso), huile sur albâtre, 22 cm x 18 cm, Naples, Capodimonte, inventaire Q. 930. Catalogue raisonnén°453.

133.

Entourage des Carrache, Vierge à l’enfant avec saint François, huile sur cuivre, 22 cm x 18 cm, Rome, Pinacoteca Capitolina, inventaire 201.

134.

« Dico che questa simil sorta di pittura non ha altro di singolare, che lo scherzo della natura che demostra che essendo essa esemplare delle arti, ha voluto di esse deventar scholar et imitatrice », Mancini, 1614-1620, (1956), p. 22.

135.

Il convient toutefois de rester prudent quant à l'emploi de ce terme puisque l'on ne peut, jusqu'au XVIIIe siècle, parler au sens strict de minéralogie. Les critères de classement s'effectuant encore sur la beauté, la rareté ou les croyances.

136.

Del Riccio, Agostino, Istoria delle Pietre, Florence, 1597, transcription du manuscrit cod. 230, Florence, Biblioteca Riccardiana, par Raniero Gnoli, Attilia Sironi, (dir.), Turin, Umberto Allemandi, 1996, 253 p.

137.

Il se réfère en particulier aux traités de Théophraste et Albert Le Grand.

138.

Scamozzi, Vincenzo, Dell' Idea della architettura universale, Venise, Expensis auctoris, 1615.

139.

Baldinucci, Filippo, Vocabolario toscano dell'arte del designo, Florence, S. Franchi, 1681, édition consultée, Florence, SPES, 1985.