CHAPITRE II : Lescaractéristiquesdes pierres

Lorsqu’en 1597 Agostino del Riccio mentionne que « les pierres étant le matériau de la fabrication, la connaissance de celles-ci est non seulement utile mais nécessaire à l'architecture où chaque artisan doit bien connaître le matériau dont il se sert » 140 , il inscrit ses réflexions dans un contexte bien particulier, celui de l’intérêt porté aux marbres ou autres pierres colorées. En Italie, les prospections se multiplient et conduisent artistes et savants à reconsidérer les minéraux. On ne peut dans un même temps découvrir de nouveaux matériaux sans chercher à élargir ses propres connaissances : classification et identification sont dès lors indispensables.

Marbre de Carrare, albâtre de Florence ou de Toscane, jaspe de Sicile font l'objet d'attentions toutes particulières. Ces recherches répondent à la nécessité de pourvoir les villes d'une plus grande quantité de matériaux utilisés pour les constructions, les ornementations ou encore les techniques nouvellement mises en place, telle la marqueterie en pierres dures - ou commesso. Les marbres de provenance orientale, c'est à dire la Grèce ou l'Égypte, amenés par les anciens et fréquemment réutilisées dans les édifices ne suffisent plus à répondre aux besoins. On cherche désormais à privilégier la production locale 141 .

À Rome, les jubilés conduisent à l'embellissement de cette ville. Ils répondent, d'une part, à un besoin, face aux accusations soutenues par la réforme de redonner une image de Rome comme la capitale de la chrétienté et, d'autre part, à la nécessité d'aménager la ville afin de pouvoir accueillir les nombreux pèlerins. Les jubilés de 1585, 1590, 1600 et 1625 s’accompagnent de constructions diverses : églises, fontaines. Tous ces bâtiments se parent de peintures, d'ornementations architecturales et nécessitent des matériaux en abondance 142 . La restauration, sous le pontificat de Paul V Borghese (1605-1621), de Santa Maria Maggiore amène architectes et artistes à effectuer des recherches sur les marbres colorés et les pierres dures.

Florence, jusqu'à la mort de Cosme II de Médicis, apparaît comme un lieu d’échanges de pratiques artistiques et de discours savants. Cosme I de Médicis est l’instigateur du renouveau florentin. Non seulement mécène mais aussi « vrai observateur » 143 , comme le rappelle le savant Dainelli, il consacre un rôle important au développement des activités économiques qui lui permettent de restaurer le pouvoir des Médicis. Mise en valeur des terres désolées de la Maremme 144 et extraction des minéraux, notamment du marbre de Carrare et de l'albâtre de Volterra font partie de ces priorités. Florence devient progressivement le centre du travail des pierres dures et fait appel à un grand nombre d'artisans « étrangers » dont les Milanais. L’Opificio delle Pietre Dure, établit par Ferdinand I de Médicis, se spécialise dans le travail des pierres dures et conquiert rapidement une renommée internationale.

Tous ces ouvrages font appel à une grande quantité de matériaux et expliquent que les pierres « locales » sont mises à l'honneur. L'extraction et la recherche de celles-ci se diffusent dans l'ensemble de l'Italie. La lettre de Bartolomeo Ammanati, adressée à Cosme I le 5 décembre 1562, confirme cette importante activité puisque « Giovanni Caccini [ ] veut que je fasse conduire trois cents morceaux de pierres dures  des mines de Monteliveto à l'Arno» 145 . Ferdinand I de Médicis n'hésite pas à envoyer Orazio Cesi à Messine pour rapporter, selon le témoignage de l’écrivain Leonardo Orlandini, des « jaspes, porphyres, améthystes, calcédoines et autres pierres très belles et de couleurs diverses et de très grand prix » 146 .

Le marbre de Carrare, également très prisé, est envoyé, selon Vincenzo Scamozzi, à « Rome, Gênes, Naples, Venise, Florence, Milan et dans d'autres villes et beaucoup sont conduits en France et en Espagne et dans d'autres pays » 147 . Ainsi, en 1741, André Clapasson dresse une description précise de tous les matériaux employés dans le sanctuaire du collège de la Trinité à Lyon : « différens marbres d'Italie sur un fond veiné : les pilastres sont en marbre bardille, avec des ravalements de brèche violette, l'entablement est partie de brèche, partie de marbre blanc veiné […] Tout l'ouvrage du sanctuaire et de l'autel a été travaillé à Carrare » 148 .

Parallèlement, Venise, soumise aux aléas géographiques, préfère à la grandeur des édifices, la préciosité des objets. Tandis que Florence est « la ville de pierre, Venise est celle du revêtement » 149 . De nombreux édifices, comme la basilique Saint Marc, sont dotés de placages en marbres ou autres pierres importés comme les marbres de Vérone, de Carrare, de Grèce, les pierres d'Istrie mais aussi les matériaux en provenance d’Orient. Très rapidement, les artisans, dans le travail de la pierre, acquièrent une grande habileté, bien qu'ils ne réussissent pas à rivaliser avec les artisans milanais, spécialisés dans les ouvrages de joaillerie. Cette spécialité particulièrement appréciée sous le règne de Ludovic le More qui possède un trésor composé d’ouvrages exécutés en pierre précieuses et en perles.

À partir de ces divers centres, il sied de constater que lieux d’extractions, qualité, quantité des matériaux et peinture sur pierre sont en corrélation. Tout, en effet, est inextricablement lié. La présentation du contexte est nécessaire à la compréhension d’un emploi plus systématique de la peinture sur pierre où pratique, esthétique et technique ne peuvent être disjoint.

Notes
140.

« Essendo le pietre la materia delle fabbriche, la cognizione d'esse è non solamente utile, ma necessaria all'architettura dov' ogni artifice deve cognoscer bene la materia della quale si serve », Del Riccio, 1597, (1996), p. 82.

141.

Les différents gisements italiens établis à partir des écrits des XVIe et XVIIe siècles sont

présentés en annexe 1.

142.

On peut se référer, entre autres, à l’ouvrage de : Labrot, Gérard, L'Image de Rome, une arme pour la Contre-Réforme 1534-1677, Seyssel, Champ Vallon, 1987.

143.

Rodolico, Francesco, L' Esplorazione naturalistica dell'Appennino, Florence, Le Monnier, 1963,

p. 42.

144.

La Maremme est un vaste territoire situé en Toscane, au bord de la mer Thyrrhénienne.

L’aménagement de la Maremme fut commencé par Cosme I de Médicis mais son assainissement est l’œuvre de Ferdinand III de Médicis.

145.

Giuseppe Campori, Lettere artistiche inedite, Bologne, A. Forni, 1975, tome III, p. 72.

146.

« Diaspri, porfidi, ametisti, calcedoni et altre bellissime pietre di vari e vaghissimi colori e di molto prezzo. Il granduca di Toscana per abbellire a Fiorenza la sua Real cappella ... », Orlandini, Leandro, Breve Discorso del castagno di Mongibello e delle Lodi della Sicilia, Palerme, 1614, publié par Concetta di Natale, (dir.), Maria, Splendori di Sicilia, arti decorative dal Rinascimento al Barocco, Milan, Charta, 2001, p. 194.

Voir également l’ouvrage de Montana, Giuseppe, Gagliardo Briuccia, Valentina, I Marmi ed i diaspri del Barocco Siciliano. Rassegna dei materiali lapidei di pregio utilizzato per la decorazione ad intarsio, Palerme, Flaccovio, 1988.

147.

Scamozzi, 1615, p. 187.

148.

La description d’André Clapasson, insérée dans les écrits de De Bombourg, Jean, Recherche curieuse de la vie de Raphaël d'Urbin [...] et un petit recueil des plus beaux tableaux tant antiques que modernes, architectures, sculptures & figures qui se voyent dans plusieurs églises, rues & places publiques de Lyon, le tout recueilly par I. de Bombourg, Lyonnois, Lyon, A. Olyer, 1675. Voir également, Clapasson, André, Description de la ville de Lyon, 1741, édition consultée, annotations et illustrations, Chomer, Gilles, Pérez, Marie-Félicie, Seyssel, Champ Vallon, 1982, p. 93-95.

149.

Hills, 1999, p. 4