Comment expliquer que les artistes véronais privilégient la pierre de touche, extraite en Vénétie alors que les peintres florentins s’exercent sur les pierres paysagères trouvées dans l’Arno ou sur les albâtres toscans ? Quelles sont les conséquences des multiples carrières d’ardoise en Ligurie dans le domaine des arts ? Existe-t-il une interférence entre toutes ces données ?
L’ample littérature - du XVe siècle à nos jours - consacrée à l’étude des minéraux permet de mieux cerner les caractéristiques physiques et esthétiques de chaque pierre et d’en comprendre le bon usage. L’esthétique ne peut être dissociée des aspects technique et pécuniaire qui expliquent que certains matériaux soient privilégiés. Lors de notre étude - et notamment durant la constitution du catalogue - il apparaissait fondamental d’étudier chaque support. À partir de ces observations, deux catégories se dessinaient : les supports fréquemment employés, c'est-à-dire les pierres d’usage courant comme l’ardoise, le marbre, l’albâtre, la pierre de touche et les pierres « semi-précieuses » tels l’améthyste, le porphyre, dont le coût et les problèmes d’approvisionnement rendent l’emploi plus difficile.
Cependant, les facilités d’extraction et le prix des matériaux ne peuvent à eux seul en expliquer la diffusion. Par exemple, le lapis-lazuli semble particulièrement prisé tandis que l’améthyste n’est que rarement employée. Nous nous sommes alors demandé s’il pouvait exister un lien entre les croyances qui accompagnent chaque pierre et leur emploi en peinture 150 . Mais, ne pouvant apporter de réponse à ce problème, nous avons choisi d’accentuer nos recherches sur les aspects techniques et pratiques. Pour autant, le lecteur ne devra pas exclure l’hypothèse que, parfois, les symbols ou vertues accordés aux pierres ont pu parfois déterminer le choix du support.
On a très tôt accordé une vertu magique aux gemmes. La tradition des lapidaires, c’est-à-dire les traités consacrés aux propriétés et aux vertus des pierres précieuses, a connu un développement important en Occident. Théophraste (De Lapidibus, écrit vers 315 avant J-C.), Dioscoride (la Materia Medica, Ier Siècle), Pline l’ancien (l’Histoire Naturelle, Ier siècle) ou Marbode de Rennes (né vers 1035-1123 rédige le Lapidaire) ont tous présenté les différentes propriétés des pierres. Aussi peut-on lire que l’améthyste protège de l’ébriété et l’agate trompe la soif. Toutes ces croyances sont reprises et développées dans les traités des XVIe et XVIIe siècles.