L’ardoise

« L'ardoise ressemble à une argile puisqu'elle correspond à la première étape de l'évolution de l'argile en mica. Des petits feuillets de mica apparaissent le long de nouvelles surfaces de clivages et donnent alors à l'argile durcie son éclat. Les feuillets de mica tendent à se placer de telle sorte que ses faces planes se trouvent disposées perpendiculairement à la direction de pression » 151 . Le clivage des ardoises suit alors celui des feuillets de mica.

L’ardoise est extraite dans de nombreux lieux, mais, nous n'étudierons que les ardoises d'origine italienne et notamment la lavagna, dont le nom est lié à la localité d'extraction, vers le château de Lavagna dans le Génois 152 . La lavagna est une variété de schiste argileux et de calcaire, de couleur grise sombre ou noirâtre, qui est similaire à l'ardoise mais moins compacte que cette dernière et d’une grande qualité. Elle se distingue de l’ardoise par sa tonalité plus obscure 153 . On la trouve, tout comme l'ardoise ou la pierre de touche - paragone en Italien -, dans la région de Gênes, origine attestée au XVIe siècle par Agostino del Riccio et Giorgio Vasari selon lesquels les plaques d’ardoise «  se constituent sur la côte de Gênes en un lieu nommé Lavagna » 154 . Au début du XVIIIe siècle, Antonio Vallisnieri souligne qu’il s’agit d’une « espèce de pierre divisible en plusieurs lamelles, desquelles sont de nombreuses espèces plus ou moins tendres et de variés coloris. Je visitais sur les monts de Gênes les mines dont ils extraient une quantité incroyable de pierres » 155 . Les montagnes qui se trouvent au-dessus de Lavagna, à environ trois kilomètres de Chiavari et cinquante kilomètres de Gênes, sont quasiment toutes formées d'argiles schisteuses. Les meilleures carrières dans la province de Chiavari sont celles de la Paroisse de Cogorno au dessus de Lavagna tels Breccanecca ou Chiappa 156 . De manière plus générale, quasiment toute la côte Ligure possède des carrières d’ardoise de bonnes qualités.

Au XVIIIe siècle, Jean Targioni Tozzetti signale que l'on en trouve également en Toscane et notamment dans la vallée de Cardoso 157 . Il souligne cependant « qu'elles ne sont pas aussi belles, ni si bonnes que dans le pays de Gênes, parce qu'elles ont des veines très minces de quartz le long desquelles elles se rompent facilement » 158 . Cette particularité pourrait expliquer que lors de commandes artistiques, les artistes florentins privilégient les matériaux en provenance de la Ligurie,dont les qualités esthétiques mais aussi pratiques sont décrites aussi bien dans les traités « scientifiques » que littéraires.

L’ardoise présente l'avantage de se découper en plaques de grandes dimensions 159 . Elle offre à l'artiste la possibilité de peindre sur grands formats et, selon Giorgio Vasari, « à peindre des compositions entières » 160 . En revanche, leur inconvénient est de se fissurer en fines plaques 161 . Toutefois, les artistes ne font que peu état d'un tel problème et fournissent une production sur ardoise très variée. Employée à Florence de manière sporadique, Agostino del Riccio note cependant que l'on peut « peindre des histoires, comme il en a été peint sur ardoise dans le salon du grand duc par le maître Jacopo Ligozzi » 162 . Giorgio Vasari mentionne que « les peintres s'en servent comme support pour la peinture à l'huile, qui se conserve mieux sur un tel support que sur tout autre » 163 . Raffaele Borghini conseille « à celui qui veut peindre sur les pierres, de prendre de bonnes plaques, qui se trouvent dans la rivière de Gênes » 164 . Le fait que l’on puisse extraire des plaques de plus d’un mètre de long explique que l’ardoise soit fréquemment employée pour les peintures d’autel. Qu’il s’agisse des peintures de Federico Zuccaro à San Lorenzo in Damaso ou celles de Rubens à Santa Maria in Vallicella, toutes ont été exécutées sur lavagna et de manière générale, les artistes génois tel Andrea Semino ou Luca Cambiaso emploient fréquemment les supports d’ardoise pour les peintures d’autel.

Les commandes à destination privée pouvaient également comprendre des oeuvres de grandes dimensions comme le Christ mort soutenu par les Anges et saint François de Cosimo Piazza (Fig. 10) 165 ou du David et Goliath de Daniele da Volterra (fig.1) 166 .

Notes
151.

Pough, Frédéric Harvey, Guide des roches et minéraux, Paris, Delachaux et Niestlé, 1979, p .31.

152.

Alberti, Leandro, Descrittione di tutta Italia di F. Leandro Alberti bolognese, Venise, Ludovico de gli Avanzi, 1561, p. 20 : le nom de Lavagna a été donné au fleuve descendant de l'Appenin par Tolomeo Entella.

Lavagna est un bourg côtier proche d’Entella.

153.

Raniero Gnoli, dans Borghini, Gabriele, (dir.) Marmi antichi, Rome, Leonardo-De Luca, 1992, p.  238.

154.

Dans cette partie, nous nous sommes référés à différentes éditions critiques des Vite de Giorgio Vasari et avons choisi de présenter la traduction d’André Chastel - Giorgio Vasari, 1550, (1989), vol. 1 p. 86.

Se référer également à l’ouvrage : Brown, G. Baldwin, Vasari on technique, New-York, J.M. Dent & company, 1907, éd. consultée, New York, Dover publications, 1960.

155.

« Spezie di pietra in più lamine divisible, di cui ve ne sono molte spezie piu o meno tenere e di vari colori. Visitai ne' monti di Genova dagli strati de'quali ne cavano un incredebile quantità », Battaglia, Grande dizionnario della lingua italiana, p. 845, vol. III, § 417.

156.

Breccanecca se situe à trois kilomètres de Cogorno et Chiappa à cinq kilomètres.

157.

Cardoso se trouve à huit kilomètres de Stazzema. Les carrières sont situées dans les

communautés de Minventre et de Stazzemma à Muscoso, Prato, Metatello, Ceragioli.

158.

Targioni Tozzetti, Jean, Voyage minéralogique, philosophique et historique en Toscane, Paris, Lavilette, 1792, p. 322-324. Ce témoignage est d'une très grande importance car Jean Targioni Tozzetti indique qu'il possède des peintures sur ardoise de Pietro Dandini: « j’en possède une très longue, d’un quarré allongé, large de trois coudées, haute d’une coudée et demie, épaisse de deux doigts, sur laquelle le fameux peintre Pietro Dandini a peint l’Adoration des Mages […] j’ai encore du même auteur, l’Enlèvement de Proserpine et la Délivrance d’Eurydice».

Faustino Corsi mentionne aussi une ardoise tigrée présentant un fond noir mélangé à des points jaunes, extraite à Rome. Voir Faustino Corsi, Delle Pietre antiche trattato di Faustino Corsi Romano, Rome, Puccinelli, 1845, p. 165.

159.

Vasari indique d'ailleurs que l'on « peut en extraire des morceaux de dix brasses de long », vasari, 1550, (1989), vol. 1, p. 86.

160.

Vasari, édition consultée, 1989, vol. 1, p. 178.

161.

Rotondi Terminiello, Giovanna, Semino, Mario, Ardesia. Tecnica e cultura del dipingere e scolpire in pietra, Gênes, SIAG, 1984, p. 45.

162.

« Si può dipingere su istorie, come è stato dipinto su dette lavagne nel salon grande ducale da maestro Iacopo Ligozzi», Del Riccio,1597, (1996), p. 109.

163.

Vasari, 1550, (1989), vol. 1, p. 86.

164.

Borghini, 1584, (1967), p. 176.

165.

Cosimo Piazza, Christ mort soutenu par deux anges et saint François, huile sur ardoise, 115 cm x 255 cm, Rome, Pinacoteca Capitolana, Palazzo dei Conservatori. Catalogue raisonné n° 429.

166.

Catalogue raisonné, n°31.