Pierre de touche : « fragment de jaspe 167 utilisé pour essayer l'or et l'argent », rappelle Petit Robert. À la définition « parangon » - de l'espagnol Parangon et de l'italien paragone, c'est à dire pierre de touche - il est présenté comme un marbre noir d'Egypte et de Grèce. Ces deux définitions montrent l'ambivalence posée par cette pierre : à quel groupe de roches appartient-elle? Quelle est sa composition? Peut-on la classer dans les roches métamorphiques, si sa composition se rapproche des marbres ou des roches volcaniques, si sa structure paraît plus similaire au basalte? Nous essayerons, à travers les sources anciennes et les parutions plus récentes, d'esquisser ses caractéristiques.
Théophraste consacre une grande partie de son traité à la pierre de touche qui, rapporte-t-il, est trouvée en Lydie, dans la "région de Tmolus", c'est à dire dans le sud du massif montagneux de Turquie de l'Ancienne Lydie - Asie mineure - se trouve la ville de Tholus 168 . Au XVIIe siècle, Ferrante Imperato confirme cette localisation et note que l'on peut également en trouver en Arménie. Toutes les définitions s'accordent à dire que la pierre de touche sert à éprouver les métaux dont l'or, l'argent et le cuivre mais les caractéristiques de cette pierre varient considérablement selon les auteurs.
Théophraste emploie deux termes différents pour mentionner la pierre de touche. Le premier, pietra lidia, se réfère à un jaspe qui servait de pierre de touche. Le second, pietra heraclia désignant l'aimant, pouvait avoir, selon les anciens la même fonction que la pietra lidia 169 .
Agostino del Riccio présente divers types de paragone : le paragone dell'Antella, utilisé pour le pavement de Santa Maria del Fiore, le paragone de sant'Anna di Prato, « sorte de pierre de touche noire » qui « est aujourd'hui très appréciée" », et le Paragone delle sacca di Prato, qui se trouve « sur les monts près de Sacca, monastère de moines » ou encore sur les monts voisins de Palco, monastère des pères de saint François près de Prato, San Francesco in Palco. Tous deux, correspondent à un calcaire noir grisâtre, ponctué de veines blanches 170 , également signalé par Giorgio Vasari.
Le paragone de Saló, cité ultérieurement par Vincenzo Scamozzi correspond à un marbre noir comportant des veines blanches, se trouvant en Val Camonica (Brescia). Il signale que l'on peut le trouver dans le territoire compris entre Vérone, Vicenza et Garda et rapporte que « dans la rivière de Salo, dans la juridiction de l'état de Venise [...] s'extraient des marbres très noirs, et, qui reçoivent un lustrage admirable [...] et pourtant sont dits paragoni... la carrière utilisée depuis 30 ans est située à moitié du mont Gironda », les pierres sont alors sont transportées « à Vérone où elles sont embarquées sur l'Adige pour Venise : on fait de ces jaspes des autels, dépôts, tombeaux, inscriptions et autres ornements » 171 . Vincenzo Scamozzi fait état d'autres pierres de touche, se trouvant aux bains de Mascairetto, près de Sienne ou ceux de Mandello 172 , terre du lac de Côme, dont le prix n'est que peu important et entraîne son utilisation pour le pavement de Milan. Il indique des carrières se trouvant dans la province de Bergame, dans la vallée de Seriana, à Cene 173 . Paolo Morigia précise d’ailleurs que l’on extrait des monts du Milanais « une superbe pierre noire, dite chez nous, pierre de touche» 174 . Généralement, le témoignage de Vincenzo Scamozzi fait office de référence et nous associons immédiatement le paragone à la pierre extraite dans les environs de Vérone, même s’il existe, en fait, une grande variété de pierres de touche.
Les observations de Giorgio Vasari ne sont pas exemptes d’ambiguité puisqu’il associe différents types de roche au terme paragone 175 : le premier, mentionné par Théophraste, c'est à dire la pierre de touche, est une pierre argilo-silicieuse sédimentaire composée de silicate, à grain fin, d'un noir intense - couleur due à la présence d'éléments de carbonate. Le deuxième est le basalte, de grain fin, utilisé dans la fabrication des sphinx égyptiens. Or il apparaît dans diverses études 176 que le basalte ne peut pas correspondre aux matériaux employés aux XVIe et XVIIe siècles pour les décorations architecturales ou pour les objets en pierres dures. Le troisième type correspondrait à un granit trouvé près de Prato. Le quatrième, espèce de serpentin noir, ne serait toutefois pas assez dur pour éprouver les métaux et enfin le dernier coïnciderait avec un marbre rouge. Dans une étude postérieure, Annapaula Pampaloni Mortelli classe le paragone parmi les variétés de marbre noir 177 . Enfin, André Chastel, dans l'édition critique de Giorgio Vasari, décrit comme pierre de touche une « roche sédimentaire noire au grain très fin qu'on trouve en petits nodules » 178 . Les livres de minéralogie contemporains ne donnant aucune indication concernant ce minéral, il est difficile, à l'heure actuelle, de déterminer quelle pierre correspond véritablement au paragone. On peut la classifier, par commodité, comme une variété de jaspe noire, et par extension comme un type de marbre noir.
Mais, la pierre de touche était également estimée pour ses qualités esthétiques. Le paragone, très prisé des artistes, notamment en Vénétie, est, à partir des XVIe et XVIIe siècles, commandé de toute part 179 . Les nombreux gisements dans cette région expliquent sans nul doute que l’on associe fréquemment paragone et Vérone. Localisation et production sont étroitement liées. En peinture, les écoles vénitiennes et véronaises exécutent, à partir des années 1580, de nombreuses oeuvres sur pierre de touche comme la Crucifixion attribuée à Jacopo Bassano (fig.11) 180 . Les écrits témoignent de l’engouement porté à ce type de support et, Giovanni Battista Marino compose un poème sur une Pietà exécutée sur paragone, aujourd'hui disparue, par Jacopo Negretti dit Palma le Jeune et appartenant, à l'époque, à Bartolomeo della Nave. Dans cette poésie, Marino met en parallèle les qualités de la pierre de touche avec la scène représentée, le sacrifice du Christ. Par son dévouement, le Christ, tout comme la pierre de touche découvre, avec « innocence », les imperfections humaines. Ainsi écrit-il :
‘« Oh paragone émouvantVariété micro cristalline, une calcédoine.
Théophraste, De Lapidibus, vers 315 avant J-C, Traité des pierres de Théophraste, édition consultée, traduction française Paris, Jean Thomas Herissant, 1754, p. 160-162.
Théophraste, vers 315 avant J-C, (1754) p. 160. Il précise qu’en Italie, on se sert du marbre vert, appelé Verdello, comme pierre de touche.
Del Riccio, 1597, (1996), p. 199.
« Nella riviera di Salo della giuriditione dello stato veneto [...] si cavano i marmi nerissimi e che ricevono ben pulimento e lustro mirabile, e pero sono detti paragono [...] la cava usata da 30 anni in qua è posta à mezo il monte gironda [...] a Verona, ove s'imbarcano sul Adige per Venetia : de'quali paragoni se fanno Altari, Depositi, Avelli, Iscrittioni, e altri ornamenti... », Scamozzi, 1615, p. 189.
Se trouve à quarante kilomètres de Côme.
Scamozzi, 1615, p. 190. Cene se situe à dix-sept kilomètres de Bergame.
« Si cava ancora quella superba pietra nera da noi detta il paragone », Morigia, Paolo, La Nobilta di Milano divisi in sei libri, Milan, R. Pontio, 1595, publié par Maria Amelia Zilocchi, « La scultura e l’arredo », p. 170-183, dans [collectif], Santa Maria della Passione e il Conservatorio Giuseppe Verdi, Milan, Silvana 1981, p. 175.
Brown, 1960, p. 117.
Schumann, Walter, Guide des pierres et minéraux, traduction Thérèse Dorsaz-Montredon, Paris, Delachaux & Niestlé, 1989, p. 246.
Annapaula Pampaloni Martelli, dans Giusti, Anna Maria, (dir.), Splendori di Pietre Dure. L'Arte di Corte nella Firenze dei Granduchi, catalogue d’exposition, Florence, 1988-1989, p. 270
Vasari, 1550, (1989), vol. 1, p. 112.
On note, par exemple, la mention en 1605 d'un navigateur qui rapporte "deux morceaux de marbre noir sur le bateau de Jona cap. Ro venu d'Amsterdam" publié par Giusti, (dir.), catalogue d’exposition, Florence, 1988-1989, p. 171.
Jacopo Bassano, attribué à, Crucifixion, huile sur pierre de touche, 49,4 cm x 29,8 cm, Barcelone, Museu Nacional d’Art de Cataluña, inventaire 108 373. Catalogue raisonné, n° 258.
« O Paragon pietoso /che senza paragon dimostri altrui / essangue, e sanguinoso/ nel colmo del dolore / l'eccesso de l'amore / saggio sa ben colui / che'n tal pietra distese il bel disegno / che mentre à te ne vegno / si come accusa il fasso, e'l fin metallo / con l'innocenza tua scopre il mio fallo», Marino, Giovanni Battista, La Galeria del cavalier Marino distinta in Pitture e Sculture, Venise, Dal Ciotti, 1620, éd. consultée, Venise, Gio. Pietro Brigonci, 1664, p. 51.