On appelle marbre une roche métamorphique calcique. On inclut, au sens large, les roches calcaires ou dolomitiques - cependant des roches non calcaires, telle la serpentinite, sont désignées sous le nom de marbre. Il se forme « lors d'un métamorphisme régional à partir d'une autre roche sédimentaire à un seul constituant » 193 . Par conséquent, issu de calcaire, il est formé d'un seul minéral, la calcite mais peut comporter des minéraux accessoires comme le mica, l'hématite, la chlorite, la pyrite, le quartz ou la serpentine. D'un aspect compact, il présente aussi bien une diversité de nuances qu’un aspect veiné, tacheté ou marbré.
Pline l'ancien relate que « maintenant [...] on les fend pour en tirer mille espèces de marbre. On ouvre, des promontoires au passage de la mer [...] l'on construit des vaisseaux pour aller chercher des marbres » 194 . Il poursuit sa narration en décrivant tous les marbres utilisés à Rome qui proviennent pour la majorité de Grèce et d'Égypte, à l'exception du marbre de Carrare. À partir du XVIIe siècle, les marbres antiques sont de moins en moins réutilisés et l'on tend à se servir de matériaux moins onéreux 195 . Par conséquent, l'extraction se développe en Italie. La Toscane, le Piémont, la Vénétie, la Ligurie ou encore la Sicile deviennent des centres d'approvisionnement.
Parmi ceux-ci, les carrières de Carrare, situées dans les Alpes Apuanes, entre Pise et La Spezia offrent une production de qualité. Pline l'ancien indique que l'on « découvrit des marbres de blancheur des carrières de Luni » 196 . Exploité depuis l'Antiquité, ce marbre blanc, de grain fin, offre de nombreuses possibilités aux sculpteurs. Entre le XVe siècle et le début du XVIe siècle, l’extraction du marbre de Carrare connaît une véritable explosion et, au XVIe siècle, on ne compte pas moins de vingt carrières sur le territoire. Outre le site de Luni, se trouvant entre Arezza-Carrara et Sazana 197 , les Alpes Alpuanes comportent de nombreux gisements. Les principaux, cités par Giorgio Vasari et Vincenzo Scamozzi, ceux de Pianello, se situent dans la vallée de Serchio, entre les Appenins et les Alpes Apuanes, et ceux de Polvazzo se trouvent dans la vallée de Ravaccione. Tous ces centres d'extraction proposent une multiplicité de marbre dont le marbre statuaire blanc de Carrare. Il est, pour sa grande perfection, très apprécié des sculpteurs. Giorgio Vasari signale ainsi la présence de Michel-Ange à Carrare qui vient choisir lui-même les meilleurs matériaux 198 .
Les carrières de Pianello et de Polvazzo offrent des marbres blancs, de grains fins également utilisés en sculpture, qui peuvent être découpés en blocs de grandes dimensions. Ceux de Polvazzo sont, d'après Giorgio Vasari « sans défaut ni veine » 199 .
Les gisements de Carrare présentent une multiplicité de marbres, fort appréciés, extraits en grande quantité. Ceux-ci sont alors exportés dans l'ensemble de l'Italie et Léandro Alberti indique que « de ces marbres on en conduit aujourd'hui à Pise, Gênes, Florence, Rome, Bologne et en France » 200 .
Massa joue aussi un rôle important et propose du marbre blanc, du marbre veiné ainsi que du marbre Bardille - Bardiglio -, qui selon Vasari « tire sur le gris » 201 . La plupart des marbres se situent dans une vallée latérale entre Massa et Carrare, proche du canal Fico 202 , mais Paolo Jervis établit d'autres lieux d'extractions de marbres blancs statuaires, dont ceux de Campiglia à Monte Rombolo 203 . Il fait également état de gisements sur l'île d'Elbe dont Filarete souligne qu'il s'agit de marbres « salins » 204 - nommés ainsi pour leur couleur blanche - d'une qualité médiocre, tandis que le sculpteur Baccio Bandinelli écrit à Cosme I de Médicis en 1550 qu’ils « ont travaillé sur l’île d’Elbe où il y a des marbres cipolins qui sont très beaux » 205 .
Toutefois, face à ces diverses carrières, Carrare, érigée en principauté en 1568, ne cesse de s'affirmer. Le marbre de Carrare est célébré un peu partout et ainsi Filarete mentionne t-il que « les principaux et ceux qui sont les plus beaux et les plus coûteux, comme je te l'ai dit, naissent en génois, c'est à dire à Carrare » 206 .
Cosme I de Médicis cherche à rivaliser avec Carrara et veut faire de Seravezza le centre principal d'extraction du marbre, ce qui explique la présence, dans un premier temps, de Michel-Ange à Carrare puis, dans un deuxième temps, à Pietrasanta, l’artiste étant commandité par Cosme I 207 . Pour mener à bien ce projet, Cosme I améliore les voies de communication, condition sine qua non à l'extraction, et fait par exemple, achever en 1567 la route de Stazzema qui relie les carrières aux voies d'eau. De nombreuses recherches sont conduites afin de trouver de nouveaux sites. En 1518 des carrières, situées à Costa de Cani sur le Mont Capella sont mises à jour. Agostino del Riccio écrit également « qu'au temps où régnait le grand Duc Cosme, on découvre de nouvelles carrières de pierres mixtes» 208 et Giorgio Vasari relate qu'en 1562 « son excellence a trouvé des monts de Pietrasanta, près de la ville de Stazzema un « marbre mixte rouge, jaune » 209 . Même si le marbre statuaire de Seravezza 210 évoqué par Agostino del Riccio, est d'une grande qualité, une forte préférence est accordée à celui de Carrare.
Les monts de Seravezza 211 comportent également du marbre tacheté - mischio - et du vert de Prato, trouvé à Monte Ferrato, à cinq kilomètre de Prato ainsi qu'un marbre noir de Prato qui est comme le vert de Prato, c'est à dire tacheté de vert, mais un peu plus sombre que le premier 212 .
Filarete 213 et Vincenzo Scamozzi 214 évoquent d'autres gisements qui se trouvent en Piémont, en Vénétie ou encore en Sicile - marbres omis par Giorgio Vasari puisqu’il cherche avant tout à "célébrer" les marbres toscans.
Filarete cite trois types de marbres que l'on peut trouver aux alentours de Milan. Le premier est blanc, le second est tacheté de blanc et de noir et enfin le dernier est appelé marbre bâtard ; celui-ci a servi, selon Vincenzo Scamozzi à la construction du temple de San Celso de Milan. Il est extrait d'Ornavasso et de couleur grise, quelquefois verdâtre. Vincenzo Scamozzi souligne qu'en 1596 les carrières de marbres blancs et mixtes sont découvertes près de la ville de Montereale dans le Piémont. D'autres « variétés », le blanc, utilisé pour le Duomo ou le noir, sont également trouvées le long de l'Adda ainsi que dans la vallée de Strona.
Le territoire de Côme présente des marbres extraits dans les carrières de Musso et d’Olgiasca qui sont selon Vincenzo Scamozzi « bien meilleurs » même s’ils ne sont «ni faciles ni commodes à conduire » 215 . Enfin, il est possible de trouver près de Bergame des marbres blancs à Zandobbio et des noirs provenant de Ponte Giurino, Cene et le lac d'Iseo.
Les artistes ont fréquemment privilégié les marbres tachetés qui comportent des veines ou autres jeux de la nature tel le marbre mixte nommé breccia medicea, extrait dans les carrières de Versilia, qui sert de support pour la représentation d’un Déluge (fig. 12) 216 . Toutefois, nous trouvons aussi des oeuvres exécutées sur marbre noir ou blanc. Il semble cependant qu'un légère préférence était accordée aux albâtres, ceux -ci offrant des motifs d’une plus grande diversité.
Pough, 1979, p. 32.
Pline l'ancien, Ier siècle, (1981), livre XXXVI, p. 47.
Lié à l’interdit du pape Sixte IV.
Pline l'ancien, Ier siècle, (1981), livre XXXVI, p. 56.
Brown, 1960, p. 45-48.
Vasari, 1550, (1989), vol. 1, p. 81.
Vasari, 1550, (1989), vol. 1, p. 82.
« Di questi marmi oggidi se ne conducono in Pisa, a Genova, a Fiorenza, a Roma, a Bologna e in Francia », Alberti, 1561, p. 37.
Vasari, 1550, (1989), vol. 1, p. 80.
Selon Paolo Jervis, les principales carrières sont celles de Guglielmo, Ciufi et Cava Grande.
Jervis, Paolo 1862, p. 23. Il mentionne notamment les carrières de Grechetto, Giove, Pario et Médici, peu employées car difficiles d'accès.
Egalement mentionné par Giorgio Vasari et extrait, selon lui à Carrare ; il doit son nom au fait qu'il « tien[t] des stalactites par les reflets brillants propres au sel, et une légère transparence », Vasari, 1550, (1989), vol. 1, p. 83.
Lettre publiée par Bottari, Giovanni Gaetano Raccolta di lettere sulla pittura, scultura ed architettura, Rome, Barbiellini, 1754, vol. 1, p. 58.
« Principali e quelli che sono i più belli e più gentili, come t'ho detto, si nascono in Genovese, cioè a Carrara », averlino, après 1458, (1972), p. 73
Klapisch-Zuber, Christiane, Les Maîtres du marbre, Carrare 1300-1600, Paris, SEVPEN, 1969, p. 223.
« Al tempo che regnava il Gran Duca Cosimo, si scoperse la bella cava de’mistii detti per il più di Seravezza », Riccio, 1597, (1996), p. 101.
Vasari, 1550, (1989), vol.1, p. 82.
Marbre blanc dont les principaux gisements sont ceux de Falcovaja sur le Mont Altissimo.
Paolo Jervis fait état d'un grand nombre de lieux d'extraction dont ceux de Pisciarotti, Ruosina, d'où l'on obtient du marbre Bardiglio, ceux de Capella, Solajo et Ceragiola, donnant du marbre blanc et enfin ceux de Gioardino et de Levigliani. Jervis, 1862, p. 12-13.
Del Riccio, 1597, (1996), p. 200. Voir les commentaires de Raniero Gnoli.
averlino, après 1483, édition consultée, 1972, p. 71-75.
Scamozzi, 1615, p. 188-189.
« Migliore, al mio parere [...] non è cosi abile al condurre né cosi comodo », Scamozzi, 1615, p. 188-189.
Anonyme, Rome ou Venise ?, Déluge, huile sur marbre mixte, 71,5 cm x 53 cm, Florence, Istituto di Studi Etruschi. Catalogue raisonné n° 295.