2. La préparation des peintures d’autel

Pour les peintures d’autel, le problème se présente différemment. Notre étude s’appuie essentiellement sur les écrits de Giorgio Vasari qui, seul, s’est intéressé à cette problématique. Contrairement aux peintures de chevalet, aucune source espagnole ou française ne fait référence aux peintures d’autel sur pierre. La raison en est tout simplement que les artistes de ces deux nationalités ne se sont jamais adonnés à ce type de production et qu’ils privilégiaient les petits formats.

Lorsque Giorgio Vasari rédige les Vite, il conserve vraisemblablement en mémoire les dernières expérimentations picturales de Sebastiano del Piombo, qu’il s’agisse de la Nativité - huile sur péperin - à Santa Maria del Popolo 329 (fig. 22) ou de la Flagellation - huile sur mur - à San Pietro in Montorio. Il mentionne différents types de supports, de l’ardoise au péperin et relate que :

« les pierres rugueuses et sèches, comme certains péperins tendres, sont plus poreuses et absorbent mieux le mélange d’huile bouillie et de pigments. Lorsqu’on travaille ces pierres avec un outil métallique au lieu de les polir avec du sable ou un bloc de tuf, on arrive à en lisser parfaitement la surface, à l’aide de la mixture posée à la truelle chauffée à blanc dont j’ai parlé à propose du crépi […] il suffit d’une légère impression de couleur à l’huile […] dès qu’elle est sèche, on peut commencer le travail à sa convenance. Ces plaques génoises servent à peindre des compositions entières. On les taille à angle droit et on les fixe au mur par des pivots sur un revêtement de stuc ; l’apprêt doit être soigneusement étendu sur les joints pour que la surface obtenue aux dimensions désirées soit lisse et d’un seul tenant » 330 .

La technique varie quelque peu de celle employée pour les tableaux de petits formats et se rapproche des procédés de la peinture à l’huile sur mur, qui réclame une préparation beaucoup plus conséquente, présentée par Giorgio Vasari dans le chapitre précédent.

Les informations divulguées par les documents d’archives - registres de paiements étudiés dans la partie consacrée aux peintures d’autel à Rome - corroborent les écrits de Giorgio Vasari. Les plaques d’ardoise ou de marbre devaient être apposées sur un mur qui réclamait, au préalable, une importante préparation.

La restauration des trois peintures sur ardoise de Pierre Paul Rubens à Santa Maria in Vallicella (fig. 47) a permis de suivre les diverses phases d’élaboration. Chacune des plaques d’ardoise, vraisemblablement polis, mesurent 75 cm de haut. Puis, un mastic de poix grec permettait de les relier les unes aux autres et de dissimuler les jonctions entre les différentes plaques 331 . Ce système était renforcé par l’insertion de barres de fer dans les plaques d’ardoise, qui, appuyées contre l’abside, se détériorèrent rapidement en raison de l’humidité. Pierre Paul Rubens emploie un mélange - mentionné par Giorgio Vasari pour d’autres compositions - d’enduit, de mastic et d’huile de noix qui était utilisé généralement pour les peintures à l’huile sur mur.

À Santa Maria del Popolo, la peinture est apposée non pas sur de l’ardoise mais sur du péperin et engendre une préparation différente. La surface est uniquement isolée par une couche d’huile 332 . Ce procédé atteste du fait que la pierre de péperin, de nature spongieuse, absorbe la préparation et qu’il faut remédier à ce problème en appliquant différentes couches d’huile bouillie jusqu’à ce que la surface n’absorbe plus la préparation.

Une fois le support préparé, il semblerait que la technique soit similaire à celle employée pour les peintures de chevalet. Une impression, composée de couleurs siccatives comme la céruse, recouvre la surface. Toutefois, les analyses de l’Adoration des bergers du Palais de la Chancellerie , exécutée sur trois morceaux de péperin d’une épaisseur de quinze centimètres par Francesco Salviati montrent que l’artiste emploie une autre méthode avec une composition de plâtre mélangée à de la colle animale, du litharge et de la terre 333 :

Quelque soit le procédé employé, les nombreuses étapes de préparation ne peuvent expliquer le choix de cette technique par commodité. Les nombreuses manipulations réclamées sont tout aussi contraignantes que celles nécessaires à la fresque, la tempera ou l’huile sur mur. Il faut donc chercher des raisons différentes à l’essor des peintures d’autel sur pierre à Rome entre 1530 et 1630 et inscrire sa diffusion dans un contexte historique bien particulier.

Notes
329.

Sebastiano del Piombo, Nativité, huile sur péperin, 560 cm x 350 cm, Rome, Santa

Maria del Popolo.Catalogue raisonné n° 1.

330.

« Ma nel vero quando la pietra sia ruvida, & arida, molto meglio inzuppa, & piglia l’olio bollito § il colore dentro, come alcuni piperni gentili i quali quando siano battuti col ferro, & non arrenati con rena, ò sasso di Tufi, si posso spianare con la medesima mistura, che dissi nello arricciato con quella cazzuola di ferro infocata. Percio che à tutte queste pietre non accade dar’ colla in principio ; ma solo una mano d’imprimatura di coloro à olio, cio é mestica, & secca che ella sia si puô cominciare il lavoro a suo piacimento. Et chi volesse fare una storia à olio su la pietra, può torre di quelle lastre Genovesi, & farle fare quadre e fermarle nel muro con perni sopra una incrostatura di stucco, distendendo bene la mestica in su le commettiture », Vasari, 1550, p. 87.

Dans le texte, traduction d’André Chastel : Vasari, 1550, (1989), p. 178.

331.

Castelfranco, Giorgio, « Il Restauro dei Rubens della Chiesa Nuova », Bollettino d’Arte, 1966, p. 83-85.

332.

Mora, Paolo et Laura, Philippot, Paul La Conservation des peintures murales, Bologne, Compositori, 1977, p. 163.

333.

Colalucci, Gianluigi, « Mostra dei restauri in Vaticano. Francesco Salviati, La Nativita », Bollettino. Documenti. Musei e gallerie pontificie, 1983, p. 165.