En 1820, Giovambattista da Persico relate que le monastère de San Bernardino conservait trois « petits tableaux sur pierre de touche, parmi lesquels la Déposition du Christ de Felice Brusasorci» 708 et poursuit en décrivant des peintures sur pierre dans d’autres monastères de la ville de Vérone. Dans un même temps, Saverio della Rosa signale diverses œuvres peintes sur pierre dans les abbayes véronaises 709 . Ces indications attestent d’une production locale particulière, faite par des artistes véronais, puisque, sur tout le territoire vénitien, seules les localités de Vérone et de Padoue développent cette technique. L’analyse des œuvres déposées dans les musées de Padoue et Vérone dont la Déposition de Felice Brusasorci ou la Vierge et des saints d’Alessandro Turchi, mentionnées par Saverio della Rosa 710 et présentées au musée de Castelvecchio à Vérone, des inventaires ou des écrits des XVIIe et XVIIIe siècles, révèlent l’ampleur prise par ces commandes « ecclésiastiques » au cours du XVIIe siècle. En 1910, Giuseppe Treca mettait ainsi en rapport deux peintures de Marcantonio Bassetti et une de Pasquale Ottino avec celles décrites dans le couvent de Santa Croce dei Cappuccini 711 .
Parallèlement, Alessandro Turchi peint une œuvre pour le couvent de San Bernardino 712 , Marcantonio Bassetti exécute un Saint Pierre et un Saint André, destinés, peut-être, à être exposés dans l’église de San Zeno di Moruri 713 . Nous pourrions ainsi continuer l’énumération de toute une série de peintures sur pierre provenant des différents monastères de la région dont les plus intéressants, San Giovanni di Verdara et Santa Giustina à Padoue, présentaient une collection particulière, déconcertante pour des institutions religieuses.
À San Giovanni di Verdara, à partir du XVIIe siècles, les chanoines réguliers et notamment l’abbé Ascanio constituent une collection variée conçue selon le modèle des cabinets de curiosité 714 . Des ivoires aux antiquités en passant par la numismatique, tout est objet d’intérêt. La place consacrée aux peintures n’est pas négligeable et au moins quatre peintures sur pierre, dont deux d’Alessandro Turchi et deux d’un artiste anonyme - dont l’une citée dans les inventaires rédigés lors de la saisie napoléonienne, mais non localisée -, se trouvaient dans ce couvent.
Dans un même temps, l’abbaye bénédictine de Santa Giustina possède l’une des plus importantes collections de peintures sur pierre. À partir du XVIe siècle, le monastère entre dans une phase de prospérité et devient un haut lieu de connaissance et d’étude où se côtoient lettrés, patriciens véronais et historiens. Au total une cinquantaine d’érudits entrent dans le couvent et participent à son développement. Santa Giustina s’impose comme une référence dans tous les domaines artistiques.
En 1980, Giordana Mariani Canova étudie la collection de Santa Giustina et constate que sur l’ensemble de la collection de la Museo Civico de Padoue, au moins 126 peintures proviendraient de l’abbaye 715 . Parmi celles-ci, Giovambattista Rosetti signale, dans les appartements de l’abbé, une « Crucifixion avec les deux larrons peinte sur pierre de touche 716 », assignée à Paul Véronèse 717 . Dans les deux cas, la Crucifixion aurait été peinte vers 1580 et serait entrée au monastère au début du XVIIe siècle pour être exposée dans l’église jusqu’en 1642, date à laquelle elle est citée dans les appartements de l’abbé 718 . Ce changement de localisation est représentatif d’un nouveau type de collection. Les tableaux de petites dimensions comportant des scènes de la passion sont destinés à être mis dans les logements des ecclésiastiques de haut rang afin de les conduire à une méditation plus intense 719 .
On peut voir en Girolamo Spinelli et en Gervasi les principaux responsables de la formation de la collection monastique 720 . Tous deux jouent un rôle important au sein de l’abbaye puisque le premier, abbé entre 1627 et 1631, aménage l’appartement abbatial. Le second, abbé entre 1679 et 1684, rédige une description des lieux et des tableaux. Lors de ses acquisitions, l’abbé Gervasi se contente d’acheter des œuvres provenant d’autres monastères et ne prend pas part à la promotion d’artistes véronais contemporains. Au contraire, ces acquisitions dévoilent un goût prononcé pour les créations de la fin du XVIe siècle et l’inventaire de 1689 fait état d’une douzaine de productions sur pierre. S’il paraît étonnant de trouver au sein de ce lieu autant de peintures religieuses que de sujets profanes tels « une Cléopâtre », « un oiseau avec des fleurs en pierre de touche avec un cadre noir en poirier », des mosaïques de pierres dures - commessi - ou des pierres imagées 721 , on explique ce phénomène par le fait que les abbés, issus de l’aristocratie véronaise, commandaient des tableaux en adéquation avec les goûts de la société. Il est alors normal de constater des similitudes entre les collections dites laïques - comme celle par exemple des comtes Moscardi qui avaient un Christ aux Limbes et le Christ mort avec la Vierge et saint Jean 722 peints sur pierre de touche par Paolo Farinati - et les collections détenues par les ecclésiastiques. Ainsi le monastère de Santa Giustina possédait-il également un Christ aux Limbes de Paolo Farinati, actuellement à la Pinacoteca di Brera à Milan 723 . Cette production mérite un regard plus attentif car, de tous les artistes qui s’adonnent à la peinture sur pierre, de Felice Brusasorci, Enea Salmeggia à Alessandro Turchi en passant par Pasquale Ottino ou Marcantonio Bassetti, Paolo Farinati est l’un des acteurs principaux de sa diffusion.
Son livre de compte, faisant état des commandes reçues à partir de 1573, rend l’étude de ses peintures encore plus attrayante et permet de souligner les relations établies entre l’artiste et les religieux du monastère de Santi Nazaro e Celso à Vérone 724 .
« …E tre quadretti sul paragone, fra quali il cristo deposto di Felice Brusasorzi », da Persico, Giovambatista, Descrizione di Verona e della sua provincia, Vérone, Societa tipografica editrice, 1820, p. 56.
Della Rosa,Saverio, Catastico delle pitture esistenti nelle chiese e luoghi pubblici situati in Verona, Vérone, 1803, éd. consultée, Sergio Marinelli, Paolo Rigoli, Vérone, Istituto San Salesiano San Zeno, 1996.
«Maria Vergine col Bambino gesù, S. Gio. : Batta : e S. Francesco, ed Angeli in alto figure piccole sul palangone… dell’Orbetto », della Rosa, 1803, (1996) p. 26.
Marcantonio Bassetti, Christ ressuscité apparaît à la Vierge, huile sur pierre de touche, 42 cm x 31 cm, Vérone, Museo di Castelvecchio, inventaire 4310 ; Marcantonio Bassetti, Libération de saint Pierre de prison, huile sur pierre de touche, 32,3 cm x 27,5 cm, Vérone, Museo di Castelvecchio, inventaire 4308. Catalogue raisonné n° 354 et 355.
Treca, Giuseppe, Catalogo della Pinacoteca comunale di Verona, Vérone, Scuola Tipografica Nigrizia, 1910.
Sous l’épiscopat de Valier, les capucins obtiennent, en 1572 le couvent de Santa Croce. En 1600, il compte une soixantaine de frères.
Pour plus d’informations : Cervato, Dario, Diocesi di Verona, Padoue, Gregoriana libreria, 1999, 788 p.
De manière générale, pour des informations sur les monastères de Vérone : Borelli, Giorgio, (dir.), Chiese e Monasteri a Verona, Vérone, Banca Popolare di verona, 1981.
Alessandro Turchi, Vierge à l'enfant avec saint Jean et saint François, huile sur pierre de touche, 46 cm x 26 cm, Vérone, Museo di Castelvecchio, inventaire 4396. Catalogue raisonné n° 384.
Pour plus d’informations sur le couvent de San Bernardino : Amadio , Armanno, La Chiesa e il convento di S. Bernardino, Vérone, Vita Veronese, 1957.
Marcantonio Bassetti, Saint Pierre, Saint André, huiles sur ardoise, 80 cm x 30 cm, non inventoriées, Vérone, Museo di Castelvecchio. Catalogue raisonné n°356 et 357.
Casoria Salbego, Carla, «Per una storia delle collezioni di San Giovanni di Verdara in Padova : testimonianze documantarie», Bollettino del Museo civico di Padova, n ° 12, 1983, p. 219-257.
Mariani Canova, Giordana « Alle Origini della Pinacoteca Civica di Padova : i dipinti delle corporazioni religiose sopresse e la galleria abbaziale di S. Giustina », Bollettino del Museo civico di Padova, n° 69, 1980, p. 16.
Rossetti, Giovambatista, Descrizione delle pitture, sculture ed architetture di Padova con alcune osservazioni intorno ad esse, ed altre curiose notizie, Padoue, Stamperia del Seminario, 1765, p. 217.
Attribution à Véronèse : Caliari, Pietro, Paolo Veronese. Sua vita e sue opere, Rome, Forzani, 1888, p. 363. Voir également Pignatti, 1976, n° A 231, p. 199 ainsi que la notice de Giovanna Baldissin Molli, dans, Ballarin, Alessandro, Banzato, Davide (dir.), Da Bellini a Tintoretto. Dipinti dei Musei Civici di Padova, dalla metà del Quattrocento ai primi del Seicento, catalogue d'exposition, Padoue, 1991-92, n° 118, p. 198-199.
Paul Véronèse, attribué à, Crucifixion avec les deux larrons, huile sur pierre de touche, 64 cm x 38 cm, Padoue, Museo Civico, inventaire 447.
A.S.P., Corporazioni soppresse, Santa Giustina, B. 311, sacrestia. 7, c. 2, Inventario di tutte le robbe che si trovano nella sagrestia di Padova, 1642 ; A.S.P., Corporazioni soppresse, S. Giustina, B. 311, sacrestia 7, Adi 26 Ottobre 1644, Inventario delle robbe delle camere del Reverendissimo padre abbate.
Ce n’est qu’en 1689 que la peinture est attribuée à Paul Véronèse : « Un crocifisso in pietra di paragone con due ladroni et con la madalena, S. Giovani et Madona a piedi della croce, si crede di Paulo Veronese », A.S.P., S. Giustina, 311, sacrestia 8, c. 31. Tous ces inventaires ont été publiés par : Canova, 1980, p. 36-115.
Pratique peu singulière puisque Fra Angelico (actif dès 1417-1455) peint entre 1440 et 1453 pour le couvent de San Marco des scènes de la Passion dans chacune des cellules des moines, devant amener les religieux à une plus grande méditation. L’originalité de ce procédé résulte donc plus dans l’emploi d’un support comme la pierre de touche, qui se généralise à Vérone et Padoue au XVIIe siècle, que dans la localisation des peintures.
Canova, 1980, p. 35-37.
Si ces deux abbés jouent un rôle important dans la formation de la collection de peintures, l’auteur insiste sur le fait que l’abbé Gervasi achète l’essentiel des œuvres.
« Ecce Homo in pietra di paragone con soazza di pero negra, d’ncerto / Un Cristo sopra la Corce, con li due ladroni e le Marie a’piedi in pietra di paragone con soazza di pero negra, si crede d Paolo veronese / Un Cristo al Limbo in parangone con soazze di pero negre, d’incerto /», Inventaire 1689, A.S.P., Corporazioni soppresse, S. Giustina, B. 311, sacrestia 8, publié par Canova, 1980, p. 105-108. Parmi toutes ces peintures, huit d’entre elles, mentionnées dans l’inventaire de 1810, recensant les peintures les plus importantes du monastère, sont localisées au musée de Padoue.
L’inventaire de 1810 mentionne : « In pietra di paragone, Flagellazione di Cristo di Enea Salmeggia, Il Signore nell’orto di Carlo Dolci, Giuditta con la testa di Oloferne mezza figura dell’orbetto, il redentore al Limbo di Paolo Farinato ; Gesù Cristo fra i ladroni con appiedi la beata vergine, S. Giovanni ; dicesi dipinto da Paolo Veronese, una Giovane Martire in atto di essere uccisa da un manigoldo ed un angielo che discende dal cielo ad incornorla di Felice Brusasorci, Lucrezia romana mezza figura, scuola di Paolo Veronese, La Vergine, il Bambino Gesù e S. Giuseppe al quale dall’angelo viene annunziata la fuga di Felice Brusasorci, la Maddalena orante davanti al Crocifisso, scuola veneta », A.S. Venezia., Direzione Demanio, buste Edwards, Quadri-inventari, également publié par Canova, 1980, p. 72.
Parmi ces tableaux, un certain nombre a changé d’attribution et par exemple Le Christ dans le jardin des oliviers, assigné à Carlo Dolci est désormais attribué à Alessandro Tiarini. Pour les nouvelles attributions voir : catalogue d’exposition, Padoue, 1991 ; Banzato, Davide, Mariuz, Adriano, Pavanello,Giuseppe, Da Padovanino a Tiepolo. Dipinti dei Musei Civici di Padova del Seicento al Settecento, catalogue d’exposition, Padoue, 1997.
La description pourrait-elle correspondre à une des deux Déposition que nous avons retrouvées. Voir le catalogue raisonné.
Paolo Farinati, Christ aux Limbes, huile sur ardoise, 39 cm x 31 cm, Milan, Brera, inventaire 184. Catalogue raisonné n° 300.
Paolo Farinati, préface de Lionello Puppi, Giornale (1573-1606) Florence, Olschki, 1968.