1. Aux Origines

En 1553, le portrait de Baccio Valori peint par Sebastiano del Piombo vers 1531, saisi lors de la défaite de Montemurlo et cité dans les collections de Cosme I de Médicis, est le point de départ de cette technique dans les collections des Médicis 809 . Il faut voir en la personne de Giorgio Vasari le principal instigateur de la peinture sur pierre à Florence 810 . Giorgio Vasari n’est pas insensible à la peinture de Sebastiano del Piombo et aux innovations insufflées par les artistes présents à Rome et à Venise, villes dans lesquelles il se rend une première fois en 1531 puis en 1541. À Rome, Giorgio Vasari participe à l’entreprise du Palais de la Chancellerie pour le cardinal Alexandre Farnese et travaille aux côtés de son ami, Francesco Salviati dont il apprécie particulièrement les capacités artistiques.

Giorgio Vasari s’adonne rapidement à la peinture sur pierre - technique qu’il célèbre à plusieurs reprises dans les Vite, sans toutefois mentionner aucune de ses productions - et pourrait même jouer un rôle de précurseur étant donné que dès le 20 mai 1544, il rappelle avoir peint des portraits sur pierre. Le 8 juin 1546, il relate toujours dans les Ricordanze avoir exécuté le Christ dans la maison de Marthe et Marie (fig. 98), tableau retrouvé et publié en 1970 par Edmund Pillsbury 811 . Mais c’est à son retour de Rome qu’il introduit cette technique en Toscane. Le 3 juillet 1552, il répond à la demande de l’archevêque de Pise, Onofrio Bartolini en exécutant une Tête de Christ 812 . Puis, en 1554, il se « rappelle comment j’ai peint un petit tableau sur pierre représentant la Nativité du Christ, que je donnais à Madame Costanze de Médicis, femme du comte Hugo et fille de monsieur Octave de Médicis » 813 . Cette description pourrait coïncider avec une Adoration des bergers (fig. 99) vendue par Sotheby’s New York le 22 janvier 2004 sous l’attribution à Giorgio Vasari. Elle reprend l’une de ses compositions, la fresque du couvent de Santa Margarita à Arezzo, exécutée vers 1542 814 . Excepté ces compositions, nous ne connaissons aucune autre œuvre sur pierre attribuée à Giorgio Vasari et seuls deux portraits, peints sur porphyre, l’un de Benvenuto Cellini et l’autre de Ferdinand de Médicis enfant, se rapportent à la mouvance de Giorgio Vasari 815 . Par l’emploi de cette pierre d’une grande rareté, l’artiste cherche peut-être à rendre hommage à Cosme I de Médicis et son goût pour le porphyre car nous retrouvons fréquemment la mention de ce matériau dans les inventaires des Médicis.

Cependant, l’introduction de la peinture sur pierre à Florence n’est pas uniquement liée aux peintures de chevalet et il convient de souligner un aspect totalement délaissé dans les différentes études consacrées à la peinture sur pierre, à savoir les commandes officielles de Cosme I et notamment la réalisation du Salone dei Cinquecento. Le 14 mai 1540, Cosme I de Médicis s’installe avec sa famille dans le palais de la Seigneurie, siège jusqu’alors des institutions républicaines et symbole, par conséquent, d’une liberté qui n’a plus lieu d’être sous Cosme I. Afin d’asseoir son pouvoir et d’affirmer son autorité, Cosme I s’appuie sur la propagande artistique. Pour la décoration du palais de la Seigneurie, il charge Giorgio Vasari de représenter les hauts faits de sa politique. De 1555 jusqu’à 1573, Giorgio Vasari travaille à la décoration du Salone dei Cinquecento. Dans cette réalisation, seul un aspect retient notre attention : l’adjonction de quatre peintures sur ardoise, peintes, comme nous le verrons ultérieurement, par Jacopo Ligozzi, Lodovico Cigoli et Domenico Passignano, aux quatre coins du Salone dei Cinquecento 816 . Certaines données de cette commande méritent une réflexion particulière.

En 1563, Giorgio Vasari soumet à Cosme I de Médicis le projet des peintures de cette pièce. Le plan (fig. 100) présente clairement les différentes scènes qu’il a élaborées avec l’aide de Vincenzo Borghini 817 . Pourtant, un élément est absent du dessin : les tableaux des angles de la salle ne sont pas représentés et attestent qu’aucun projet n’a été encore clairement établi pour ces parties. Le 13 mai 1564, Giorgio Vasari écrit à Giovanni Caccini, à Pise, pour le remercier d’avoir envoyé les deux morceaux d’ardoise ainsi que les vingt-quatre « plaques » - qui font référence à l’ardoise - et précise qu’il reste désormais à charger les autres plaques, malgré le coût excessif du chargement - problème qu’il devra aborder avec Cosme I 818 .

Le 20 mai 1564, toujours selon une lettre publiée par Herman-Walther Frey, Giorgio Vasari s’adresse à ce même correspondant pour lui indiquer qu’il a « bien reçu les cent une plaques d’ardoise, à l’exception de celle qui a été cassée au cours du voyage 819 . Cette relation montre bien les difficultés posées par ces matériaux lors des transports. Dans un même temps, les archives de la Fabrique, jamais publiées dans leur intégralité, font état entre le 20 mai et le 17 juin 1564, de diverses dépenses pour les œuvres devant être peintes par Giorgio Vasari sur les parois du palais. Les paiements indiquent que ces ardoises proviennent de Gênes et que, de là, elles ont d’abord été envoyées à Pise puis à Sardegna 820 et enfin à Florence.

C’est alors que Vasari écrit, le 10 septembre 1565, à Don Vincenzo Borghini, afin de lui soumettre ses idées quant au sujet des deux peintures devant être peintes sur ardoise  : « je voudrais faire deux histoires en clair-obscur pour la grande salle, l’une au-dessus de l’œuvre de Bandinello représentant le pape Clément et l’autre au-dessus de la porte de la paroi de la garde-robe, qui feraient 13 brassées de largeur l’une et haute de XI : sur celles-ci, nous avons pensé faire, sur l’une, l’île d’Elbe et, sur l’autre Livourne, en face l’une de l’autre, mais parce qu’elles sont aussi hautes et qu’elles rompent l’ordre, j’ai résolu de les faire en clair-obscur parce que l’œuvre est toute de pierre et fera plus d’unité …» 821 . Mais en 1571, les peintures ne sont toujours pas commencées et Giorgio Vasari indique à François I de Médicis qu’il lui reste à peindre à la fresque les scènes de bataille et, surtout, que l’artisan Maiano doit, au-dessus de la statue du pape Clément VII 822 , fixer les plaques d’ardoise qui sont encadrées en 1571 par Nigi Nigetti 823 .

En fait, Francesco I de Médicis rompt, par certains aspects, avec la politique artistique de son père et délaisse totalement la réalisation du Salone dei Cinquecento. La priorité est désormais donnée à un autre projet, le Studiolo, entraînant l’inachèvement des deux peintures sur ardoises qui ne seront terminées que sous le règne de Ferdinand I de Médicis (1587-1609).

Notes
809.

Sebastiano del Piombo, Portrait de Baccio Valori, huile sur ardoise, 78 cm x 66 cm, Florence, Galleria Pitti, inventaire 409. Catalogue raisonné n° 2.

Pour plus d’informations sur l’entrée de ce portrait dans les collections Médicis, voir : Giglioli, Odoardo H., « Su un ritratto di Baccio Valori nella Galleria Pitti dipinto da Sebastiano del Piombo », Bollettino d’Arte, n° 9, 1909, p. 352-356 ; notice de Maria Grazia Vaccari, dans, Barocchi, Paola, (dir.), Firenze e la Toscana dei Medici nel Europa del Cinquecento, catalogue d’exposition, Florence, 1980, n° 495, p. 265 ; Costamagna, Philippe, « Portraits of florentine exils », p. 329-345, dans catalogue d’exposition, Boston, 2003-2004, Florence, 2004.

810.

Bibliographie pour Giorgio Vasari : Barocchi, Paola, Vasari pittore, Milan, edizioni per il club del libro, 1964 ; Monbeig Goguel, Catherine, Giorgio Vasari. Dessinateur et collectionneur, catalogue d’exposition, Paris, 1965 ; Pillsbury, Edmund, « Three unpublished Paintings by Giorgio Vasari », The Burlington Magazine, CXII, 1970, p. 94-100 ; Il Vasari Storiografico e artista, actes du congrès, Arezzo-Florence, 2-8 septembre 1974, Florence, Istituto nazionale di Studi sul Rinascimento, 1976 ; Corti, Laura, Vasari. Catalogue Complet, Florence, Cantini, 1990, éd. consultée, traduction Française Marc Baudoux, Florence, Paris, Bordas, 1991 ; Baldini, Umberto, Giorgio Vasari pittore, Florence, Il Fiorino, 1994.

811.

Giorgio Vasari, attribué à, Le Christ dans la maison de Marthe et Marie, huile sur ardoise, 27,6 cm x 35,3 cm, Ickworth, collection Bristol. Catalogue raisonné, n° 128.

Laura Corti met en doute cette attribution et pense qu’il s’agit d’un travail de l’atelier mais ses arguments par rapport à ceux de Edmund Pillsbury sont peu convaincants. La mise en parallèle d’Edmund Pillsbury de la description de Giorgio Vasari avec la peinture sur pierre et un dessin préparatoire conforterait cette attribution.

« Ricordo, come si mandò a di 9 gennaio a Napoli al Rosso, maestro di casa, di messer Tomaso Canbj, un quadro in pietra quando Christo amaestra Marta et Madalena », publié par Frey, 1930, vol. 2 note 9, p. 864 et publié par Pillsbury, 1970, p. 98.

Pour cette peinture se référer aussi à : Corti, 1990, n° 44, p. 62.

812.

Frey, 1930, p. 881.

813.

« Ricordo, come si fecie un quadretto piccolo in pietra, drentovi la natività di Cristo, qual donai a Madonna Gostanza de Medici, moglie del conte Ugo et figliola de messer Ottaviano de Medici . Valeva [ducati] 10 », publié par Frey, 1930, vol. 2, p. 871, n° 218.

814.

Giorgio Vasari, attribué à, La Nativité avec l’Adoration des bergers, huile sur ardoise, 51 cm x 44 cm, vente Sotheby’s New-York, 22 janvier 2004, n° 18. Catalogue raisonné, n° 129.

La peinture du monastère de Santa Margarita d’Arezzo - mentionnée par Giorgio Vasari dans les Vite -, reproduite par Laura Corti en 1990, a été détruite pendant la guerre. Dans la peinture sur ardoise, Giorgio Vasari reprend la Vierge et Joseph.

Barocchi, 1964, p. 23 ; Corti, 1990, n° 27, p. 46.

815.

Butters, Suzanne B., The Triumph of Vulcan, Florence, Leo S. Olschki, 1996, vol.1, n° XXX et n° XXXII.

Entourage de Giorgio Vasari, Portrait de Benvenuto Cellini, huile sur porphyre, 81 cm x 83 cm, Ecouen, Musée de la Renaissance ; Portrait de Ferdinand de médicis enfant, huile sur porphyre, localisation inconnue.

Pour les portraits sur porphyre se reporter à la première partie de notre travail ainsi qu’au catalogue raisonné, n° 131 et 205.

816.

Allegri, Ettore, Cecchi,Alessandro, Palazzo Vecchio e i Medici, guida storica, Florence, Scelte, 1980, 417 p.

De manière plus générale pour une bibliographie sur le palais de la Seigneurie, voir : Gotti, Aurelio, Storia del Palazzo Vecchio in Firenze, Florence, G. Civelli, 1889 ; Lensi, Alfredo, Palazzo Vecchio, Milan-Rome, Bestetti e Tumminelli, 1929 ; [Baldini, Umberto], Palazzo Vecchio e i quartieri monumentali, Florence, Tip. Giuntina, 1950 ; Carrera, Mercedes, « Vasari e il suo messaggio politico nel salone del Cinquecento », Antichità Viva, n° 2, 1979, p. 3-9 ; Muccini, Ugo, préface Paolucci, Antonio Il Salone del Cinquecento in Palazzo Vecchio, Florence, Le Lettere, 1990.

817.

Rubinstein, Nicolai, « Vasari’s Painting of the Foundation of Florence in the Palazzo Vecchio », p. 62-73, dans Essays in the History of Architecture presented to Rudolf Wittkower, Londres, Phaidon Press, 1967.

Vincenzo Borghini (1512-1580), historien et philologue, nommé lieutenant de l’Académie du Dessin en 1563, joue un rôle important dans la vie artistique florentine. Conseiller de Cosme I et de Giorgio Vasari, il est l’auteur des sujets des cycles décoratifs du Salone dei Cinquecento et du Studiolo.

818.

Lettre de Giorgio Vasari à Giovanni Caccini, publiée par Herman Walter Frey, Neue Briefe von Giorgio Vasari, Hopfer, Verlag Burg b. M., 1940, p. 81.

Les lettres et documents archives ayant trait aux projets et préparatifs pour les peintures de la salle du Cinquecento sont reproduits, en partie, en annexe 2 et 3 et sont inédits. Nous rappelons également que certains paiements, non retranscrits ici, se trouvent dans le fond : A.S.F., Scrittoio delle forterezze e fabbriche, Fabbriche medicee, 10, libro debitori e Creditori… , 20 Mars 1562 - 28 février 1565, c. 61, c. 62 v, c. 64.

819.

Lettre de Giorgio Vasari à Giovannni Caccini, publiée par Frey, 1940, p. 83.

820.

Petit port en Toscane.

821.

« …Vorej far due storie dj chiaro fcuro per la fala grande nell opera del Bandinello sopra papa Clemente, una et laltra dirinpetto sopra la porta nella facjata della guardaroba, che vengono . 13. Bracciata luna largha et XI . alte : Queste ci avevamo difegniato in una far l’Elba et laltra Ljvorno, in foggia dell altre ; ma perche vano tanto alte et ronpono quell ordine, o (ho) rifoluto farle dj chiaro ofcuro, perche lopera e (è) tutta dl pietra et fara piu unjone », lettre du 10 septembre 1565, de Giorgio Vasari à Vincenzo Borghini, Frey, 1940, vol. 2, p. 218.

Nous avons choisi de présenter avec fidélité la transcription de Frey.

822.

« Pero quella comandj a Maiano che finisca d’incrostar dj mezzane dove ella ua, et che metta l’altre lastre di lavagnia a quella storia che manca sopra la statua di Clemente VII », Frey, 1940, vol. 2, p. 565-566.

Ces renseignements indiquent que les plaques d’ardoise ont déjà été posées pour la peinture de la paroi opposée.

823.

Lenzi, 1929, p. 217.