2. Du Studiolo à la salle du Cinquecento

2.1. Giorgio Vasari et son atelier

Les intérêts de Francois I de Médicis s’opposent, par de nombreux aspects, à ceux de son père Cosme I.  Cosme I souhaitait affirmer le pouvoir des Médicis dans la décoration de cette salle où avaient lieu réceptions et audiences - en montrant notamment la défaite des Siennois et des Pisans contre son armée. Au contraire, François I de Médicis conçoit le Studiolo (fig. 101) comme un lieu de refuge à destination privée 824 . Le  microcosme  répond au macrocosme du Salone dei Cinquecento. Dès les années 1569-1570, François I de Médicis commande ce cabinet et charge Vincenzo Borghini de concevoir le programme pictural qui doit correspondre aux passions de son commanditaire pour les disciplines scientifiques et esthétiques. Dans cette entreprise, Giorgio Vasari n’exécute qu’une seule peinture sur ardoise, Andromède délivrée par Persée. Il s’intéresse néanmoins, selon les lettres échangées avec Vincenzo Borghini, à l’organisation et à la gestion de l’équipe, formée de personnalités aussi diverses que Santi di Tito, Jan van der Straet ou Alessandro Allori. En 1570, Giorgio Vasari, Jacopo Zucchi et Alessandro Fei commencent les premières peintures et, d’après les correspondances de Vincenzo Borghini et de Giorgio Vasari, la plupart des œuvres sont consignées en 1571, dont celles de Jan van der Straet, Iacopo Zucchi, Giovan Battista Naldini, Maso da San Friano et Francesco Morandini ou Santi di Tito 825 . Mais, ce n’est qu’en 1573 que le cabinet est achevé et dès 1586, François I de Médicis décide de le faire démonter afin de disposer une partie de ces œuvres dans la Tribune.

En 1908, Giovanni Poppi, historien, reconstitue le Studiolo. Sa conception est contestée sur de nombreux points et est notamment remise en cause par Michael Rinehart qui démontre que la disposition asymétrique de la pièce est erronée et qu’elle répond en fait à des principes tout autres 826 . Cependant, ces considérations posent également des problèmes puisque tous les supports ne sont pas identifiés correctement.

Les différentes analyses présentent clairement que l’ensemble de la pièce reposait sur diverses conceptions dont celles d’Aristote et de Marcile Ficin 827 . Chaque paroi correspond à un élément et répond à un programme iconographique déterminé par Vincenzo Borghini mêlant art et nature : l’eau (au sud), le feu (au nord), la terre (à l’est) et l’air (à l’ouest) sur les parois ainsi que l’image de Prométhée sur la voûte, évoquant la nature, sont les clefs de lecture des diverses représentations. La pièce s’organise selon une alternance des peintures sur panneau et sur ardoise dont les thèmes coïncident avec les armoires « secrètes » qu’elles dissimulent, et des niches contenant des sculptures 828 . Chacun des tableaux, soit trente-quatre, organisés sur deux registres et selon une hiérarchie bien précise, se réfère aux goûts de François I de Médicis pour les disciplines scientifiques. Ainsi trouvons-nous la représentation de François I dans son laboratoire d’alchimie ou celle de l’industrie ancienne de laine de Florence. Toute la décoration serait disposée selon un rythme bien défini, les panneaux larges étant flanqués de peintures plus étroites, les motifs rectangulaires, intercalés avec des cercles 829 qui pourrait présenter une cadence établie selon la formule « aba/abcccba/aba/abccba » 830 . Dans ce schéma, l’emploi de matériaux comme l’ardoise n’est peut être pas totalement fortuit et pourrait aussi insuffler une rythmique où ardoise et panneau alterneraient 831 .

La disposition générale de la pièce répond aux goûts du commanditaire et s’inscrit dans le phénomène du « cabinet de curiosité ».

Les peintures exposées dans ce lieu explicitent parfaitement ces deux termes puisque la majeure partie des thèmes aborde la passion de François I de Médicis pour les matériaux ou pour les expériences alchimistes 832 . Marco Rezzi Badeschi voit dans le programme iconographique une invitation au rêve et au voyage dont l’objectif est « d’atteindre la révélation d’une vérité supérieure », la recherche de la connaissance des éléments secrets de la Nature 833 . Lieu de méditation et de contemplation, le Studiolo sert aussi, de manière moins explicite que le Salone dei Cinquecento, à célébrer le règne de François I de Médicis.

La scène de Moïse séparant les eaux, peinte par Santi di Tito, se trouve en position centrale et joue un rôle de premier ordre dans la propagande dynastique des Médicis car elle symbolise « une personne consacrée par Dieu et ayant su fonder un état pour un peuple » 834 . Dans un même temps, chacune des scènes se réfère aux expériences menées par François I de Médicis sous le regard bienveillant de Cosme I et d’Eleonore de Médicis - portraits exécutés par Alessandro Allori et anciennement attribuées à Bronzino.

Ce cabinet devient rapidement une référence artistique et scientifique et fait l’objet de multiples commentaires qui louent l’intérêt de François I de Médicis pour les sciences. Ainsi l’ambassadeur vénitien Andrea Gussoni écrit-il en 1576 que « Francesco a choisi de se divertir dans certains arts, dans lesquels il se targue de retrouver et d’ajouter de nouvelles choses […] de ce fait, il a retrouvé le moyen de fondre le cristal de montagne et il le fond pour faire des verres ou autres objets d’art […]  il a de plus retrouvé le mode de faire la porcelaine d’Inde […] il fait ordinairement travailler et graver les bijoux […] il fait sertir certains vases de morceaux de lapis-lazuli » 835 .

Nous ne saurions assez insister sur les passions de François I de Médicis et sur l’impact du Studiolo dans les milieux artistiques, idée qui a été amplement développée dans les études consacrées au studiolo. Seul un aspect nourrit notre réflexion : l’emploi quasiment novateur de la peinture sur pierre. Nous pourrions le faire coïncider avec les recherches conduites dans l’officine de François I de Médicis qui ont aboutis à la création de techniques ou de produits manufacturés nouveaux 836 . Mis à part cette première commande officielle, il faut attendre le règne de Ferdinand I de Médicis pour que soit entreprise, dans le domaine de la peinture sur pierre, une réalisation de même envergure : c’est l’achèvement du Salone dei Cinquecento.

Notes
824.

Hormis les ouvrages cités au préalable, pour une bibliographie du Studiolo, voir : Berti , Luciano, Il Principe dello Studiolo : Francesco I de Medici e la fine del Rinascimento, Florence, Edam, 1967 ; Dezzi Bardeschi, Marco, Lo Stanzino del Principe in Palazzo Vecchio. I Concetti, le immagini, il desiderio, Florence, Le lettere, 1980. ; Rinehart, Michael, « A Document for the Studiolo of Francesco I », p. 275-289, dans, The Art the Ape and Nature. Studies in honor of H.W. Janson, New-York, Harry N. Abrams, 1981 ; Schaeffer, Scott « The Studiolo of Francesco I de Medici : a check list of the known drawings », Master Drawings, vol. XX, 1982, p. 125-130 ; Feinberg, Larry J., « Nuove reflessioni sullo Studiolo di Francesco I », p. 57-75, dans, Chiarini, Marco, Darr, Alan Phipps, Giannini, Cristina, L’Ombra del genio. Michelangelo e l’arte a Firenze 1537-1631, catalogue d’exposition, Florence/Chicago/Detroit, 2002.

825.

L’ensemble de cette correspondance a été publiée par Ettore Allegri et Alessandro Cecchi. On se réfère notamment à la lettre du 12 janvier 1571 indiquant que « Vi havevo a dire, un pezzo fa, che il Principe, quando hebbe la lastra di Sandro, ne hebbe gran piacere […] dipoi maestro Giovannj, gli ha portato il suo [.. .] di Jacopo et di Batista lo dissi che pensavo vi mancassi no so che favoluzza … », Allegri, Cecchi, 1980, p. 345.

826.

Rinehart, 1981, p. 275-278.

827.

Catalogue d’exposition, Florence, 2003-2004, p. 57-75.

Pour Marcile Ficin, on se réfère à la thèse d’André Chastel, 1954, (1996).

828.

Chacune de ces armoires contient les objets manufacturés sous François I de Médicis et mêle productions naturelle et artistique.

829.

Feinberg, dans, catalogue d’exposition Florence, 2003-2004, p. 60-64.

830.

Rinehart, 1981, p. 282.

831.

Seule la disposition de la peinture de Coppi vient déranger cette symétrie.

832.

Berti, 1967, p. 111.

833.

Rezzi Badeschi, 1980, p. 10-16.

834.

Feinberg, dans, catalogue d’exposition, Florence, 2003-2004, p. 64.

835.

« Ha posti tutti i suoi diletti in alcune arti, nelle quali fa professione di ritrovarvi e aggiungervi molte cose nuove [ ...] imperoché ha ritrovato il modo di fondere il cristallo di montagna e lo fonde in vasi da bevere e altre arti [ ...] ha di più ritrovato il modo di far la porcellana d’India […] fa ordinariamente lavorare ad intagliar gioie [ ...] fa cavare alcuni vasi in alcuni pezzi di lapislazzuli », lettre retranscrite par Barocchi, Bertelà, 2002, p. 45-46.

836.

L’agencement, dans ce cabinet, de peintures sur ardoise, participe pleinement à la promotion de cette technique à Florence et entraîne un regain d’intérêt des artistes.