On ne saurait assez insister sur l’importance d’un centre comme Gênes puisque c’est à partir de cette ville qu’ont lieu toutes les transactions de lavagna. Que l’on se souvienne des peintures d’autel de Rome ou des tableaux florentins du Palazzo Vecchio, tous nécessitent l’emploi de plaques d’ardoise qui proviennent, bien souvent de Lavagna et transitent par Gênes.
Si le rôle de Gênes dans le commerce de l’ardoise a été largement souligné, sa place dans la diffusion de la peinture sur pierre demeure plus méconnue. On peut penser que les nombreuses carrières d’ardoise, qui offrent à l’artiste une certaine facilité d’approvisionnement, ont conduit les peintres à privilégier ce matériau. Mais qu’en est-il réellement ?
En 1992, Piero Boccardo montre que l’ardoise fait partie de la vie quotidienne de la Ligurie et que dès le Moyen-Âge, les sculpteurs se tournent vers ce matériau -généralement peu usité en sculpture - pour leurs créations 1204 . Parallèlement, les écrits, du XVIe jusqu’au XIXe siècles, vantent les avantages de l’ardoise en architecture. En revanche, son emploi en peinture est plus problématique et semble, tout comme en Lombardie, beaucoup plus tardif. Si l’on connaît quelques exemples de peintures sur pierre du XVIe siècle, l’application de cette technique ne semble commencer de manière plus systématique qu’à partir des années 1570-1580 1205 .
Après le Sac de Rome et jusqu’en 1537, de nombreux artistes romains se réfugient à Gênes 1206 . Des personnalités comme Perino del Vaga s’imposent et obtiennent la majorité des commandes, au détriment de la production locale. Il faut attendre la deuxième moitié du XVIe siècle pour voir l’essor d’une nouvelle génération de peintres - même s’il sied de rester prudent quant à cette information car la plupart des artistes qui émergent à ce moment là font partie des ateliers « familiaux » et héritent de leur tradition.
En fait, un événement bouleverse les habitudes sociales et culturelles des Génois : la visite pastorale en 1582 de Francesco Bossio, évêque de Novara et visiteur apostolique du diocèse, qui cherche à faire appliquer les décrets du Concile de Trente de manière rigoureuse. Francesco Bossio s’appuie sur les instructions de Charles Borromée pour rétablir une discipline post-tridentine 1207 . Il dénonce le luxe des palais par rapport à la pauvreté des églises et appelle à une plus grande générosité. L’ornementation et l’édification de lieux de culte deviennent l’élément central de son action. Dans un même temps, l’arrivée de nouveaux ordres, comme les théatins et les jésuites entraîne l’aménagement et l’embellissement des églises qui requièrent une adaptation des moyens artistiques. Les commandes se multiplient. À partir de 1575, les théatins réorganisent l’église de San Siro. En 1584, les carmélites commencent la construction du couvent de sainte Anne tandis qu’en 1591, les jésuites se consacrent à l’église de saint Ambroise. En 1596, les capucins achèvent l’édification de la Concezione alors qu’en 1597 les augustins s’installent à S. Nicola da Tolentino et les églises mineures connaissent aussi de nombreux bouleversements 1208 .
Dans un tel climat, deux types de commandes prévalent : les peintures d’autel sur ardoise, qui correspondent à la fois aux prédications de Charles Borromée et aux exemples romains et les peintures dévotionnelles de petits formats destinées à être apposées dans les édicules aux angles des rues 1209 . C’est là un des points forts de la production ligure que nous ne saurions négliger. À l’inverse des autres centres, l’ensemble de la population paraît être impliqué dans ce renouveau artistique : confraternités laïques et religieuses, ordres nouvellement établis, aristocratie génoise, se placent sous l’autorité espagnole et pontificale pour redonner une plus grande place aux réformes religieuses. La présence de hauts fonctionnaires espagnols à Gênes insuffle une dynamique économique et l’essor, par exemple, des peintures d’autel sur pierre, peut-être une conséquence indirecte de leur intervention dans la production artistique et dans celle du monde des affaires 1210 .
Boccardo, Piero, « La sculpture décorative en ardoise et en pierre noire à Gênes », p. 7-10, dans catalogue d’exposition, Nice, 1992.
Pour cette étude, nous avons consulté les manuscrits de Giovanni Battista Viale – Notizia di pitture, statue et altro in diverse chiese e palazzi della città e contorni di Genova, 1741, Gênes, A.S.G., Ms B.I.23 – de Giacomo Giscardi – Origine delle chiese, monasteri e luoghi pii della città e riviera di Genova, Gênes, A.S.G., Ms. B.VIII.18 – de Lagomasino – Collezione di notizie intorno alle chiese di Genova, Gênes, A.S.G., Ms 555- en espérant trouver des informations sur les peintures sur pierre. Mais, ces recherches ne se sont pas avérées concluantes et aucun de ces manuscrits ne fait état de peintures sur ardoise.
Nous n’avons pas réussi à accéder à certaines archives et à consulter, par exemple, les manuscrits de Accinelli dont Scelta di notizie delle chiese di Genova – Archivio curiale arcivescovale.
Parma, Elena, La Pittura in Liguria. Il Cinquecento, Gênes, Banca Carrige, 1990.
Magnani, Lauro, « Commitenza e arte sacra a Genova dopo il Concilio di Trento : materiali di ricerca », Studi di Storia dell’Arte, 1983-1985, n° 5, p. 133-183.
Renzo Pesenti, Franco, La Pittura in Liguria. Artisti del primo Seicento, Gênes, Casa di Risparmio di Genova e Imperia, 1986, 525 p.
Nous laisserons de côté, dans cette partie, les peintures de chevalet à dévotion privée qui ne semblent pas avoir connu le succès rencontré dans les autres centres. La publication d’inventaires de grandes familles génoises, dans le catalogue d’exposition Boccardo, Pietro, L’Età di Rubens. Dimore, committenti e collezionisti genovesi, Gênes, 2004, a montré que les collections génoises ne comportaient que quelques peintures sur pierre. D’ailleurs, les collections de la famille Doria contiennent très peu de peintures sur pierre. Par exemple, en 1660 l’inventaire de Niccolo Doria fait état de deux peintures sur pierre sur un total de 431, celui d’Agostino Doria - réalisé entre 1617 et 1621 - mentionne trois tableaux sur pierre et celui de Giovan Carlo Doria ne comportent que deux tableaux peints sur pierre. Voir Farina, 2002.
Enfin, nous ne connaissons que peu de citations de peinture sur pierre même si, par exemple, Valerio Castello, s’est peut-être adonné à cette technique. Nous savons que la collection de Giuliano Agostino de Negro, le 16 juin 1676, renfermait « un quadro di Nostra Signora col nome di Castello in pietra » - dans Venanzio Belloni, Penne Pennelli Quadrerie cultura e pitture genovese del Seicento, Gênes, Enme Bi, 1973. Parallèlement, l’inventaire de Carlo Emmanuele I, Turin fait état en 1635 : « altro simile [Cristo che leva S ; Pietro dal mare e tre altri Apostoli in barca ] in pietra paragone. Di Andrea Castello genovese. Buono. AA. 0.9 ; L.P.0 » publié dans catalogue d’exposition, Milan, 2000-2001, p. 200.
Sur la présence de hauts diginitaires Espagnols à Gênes : Boccardo, Piero, « Viceré e
finanzieri : mercato artistico e collezioni tra Madrid e Genova », p. 220-239, dans Boccardo Piero, Colomer, José Luis, Di Fabio, Clario, Genova y la Spagna. Opere, artisti, committenti, collezionisti, Milan, SIlvana Editoriale, 2002.