2.1. Les peintures d’autel : d’Andrea Semino à Giulio Benso.

En 1862, les religieux de Santa Maria di Castello découvrent quatre peintures sur ardoise, la Visitation, l’Adoration des bergers, la Présentation au temple et la Dispute des docteurs (fig. 154 à 157), que Raimondo Amedeo Vigna, abbé de l’église, assigne à Andrea Semino 1211 . Depuis, cette attribution n’a jamais été remise en cause et la provenance exacte n’a pas été déterminée. Le même cas se présente pour une autre peinture, représentant la Vierge à l’enfant entourée de saint Jean évangéliste, saint Joseph, saintes Catherine d’Alexandrie et de Sienne, saint Dominique et saint Paul, également retrouvée dans cette église.

Andrea Semino se forme en compagnie de son frère, Ottavio, dans l’atelier de leur père, Antonio. Puis, il se rend à Rome, où il ne fait que peu de cas des exemples romains. De retour à Gênes, il collabore avec son frère et reçoit de nombreuses commandes. En 1567, il exécute pour la chapelle Pinelli, dans l’église de la Santissima Annunziata di Portoria, une Adoration des bergers. Cette composition est intéressante et les nombreuses versions peintes d’après ce modèle témoignent de son succès, qui est en partie lié au fait que l’artiste adopte les canons promulgués par le Concile. Une deuxième chapelle présente une Adoration des bergers, attribuée à Ottavio Semino qui rappelle, dans le schéma général, celle d’Andrea Semino. Toutefois, le tableau d’Andrea Semino présente une composition plus compliquée, comportant divers personnages. Un dessin du Louvre 1212 , copie d’après Andrea Semino, ainsi qu’une des quatre peintures sur ardoise, reprennent ces deux versions. L’œuvre sur pierre propose une adaptation du thème. Le traitement de la Vierge, de l’enfant ou de Joseph est quasiment identique tandis que le reste de la composition révèle un souci de simplification. Le modèle se réfère à l’un des artistes de prédilection d’Andrea Semino, soit Perino del Vaga. Il est intéressant de noter que si Andrea Semino s’inspire de cet artiste dans la composition ou dans le choix d’une gamme chromatique « transparente », il applique aussi ses principes pour la technique. En effet, Perino del Vaga fait partie de ces rares artistes qui employent la tempera sur mur – les peintres privilégiant en général la fresque ou la peinture à l’huile. Les restaurations apportées aux quatre peintures en 1983, ont permis à Giovanna Rotondi Terminiello de constater qu’Andrea Semino avait peint à tempera sur ardoise, mode quasiment inusité et qui atteste de l’influence de Perino del Vaga 1213 . À partir de ces exemples, il est possible qu’Andrea Semino ait poursuivi ses expérimentations. Il était habituel, pour les artistes Ligures, de s’adonner au travail de stuc et de peinture qui leur permettait d’apprendre à maîtriser divers matériaux et techniques.

Nous ne connaissons aucune autre œuvre sur ardoise d’Andrea Semino. Toutefois, d’autres travaux lui sont attribués mais sans aucune certitude, par exemple, l’Assomption sur ardoise de San Siro (fig. 158) 1214 .

En 1575, les théatins obtiennent leur transfert dans l’église de San Siro et font appel à divers artistes pour la décoration. Parmi tous les tableaux, Federico Alizeri signale une Assomption sur ardoise d’Andrea Semino et indique qu’elle doit être transférée dans la sacristie 1215 . Assertion reprise en 1900 par Cesare dal Prato puisqu’il souligne que cette Assomption, originellement placée dans la chapelle de Giacomo Serra - fondée en 1586 et achevée en 1600 - puis transférée dans la sacristie dans la deuxième moitié du XIXe siècle, est de la main d’Andrea Semino 1216 . Depuis, les études successives ont repris ces affirmations - localisation et attribution. Pourtant, l’observation de l’œuvre elle-même permet de comprendre qu’il s’agit d’une attribution erronée puisque le bord du tombeau comporte la signature « CAES ET / ALEX CEMI 1591 », qui correspond à la signature de ses fils, Cesare et Alessandro Semino. Formés auprès d’Andrea, ils collaborent avec lui à maintes reprises et l’accompagnent en Espagne, en 1572, à la cour de Philippe II. En 1579, Andrea Semino entre en contact avec les théatins et loue une chambre dans le cloître de San Siro, qui explique, peut-être, dans cette commande le choix de ses deux fils. Dans cette œuvre, les frères Semino s’inspirent également de l’Assomption de la paroisse de Vallecalda, exécutée par Luca Cambiaso, peintre qui, pour les peintures d’autel, s’impose rapidement comme une référence.

Formé, lui aussi, dans l’atelier de son père Giovanni Cambiaso, il privilégie les compositions simples, claires et se tourne successivement vers les expériences de Beccafumi, Perino del Vaga puis vers Corrège. Luca Cambiaso montre une prédilection pour les monochromes, les couleurs nuancées qu’il emploie en clair-obscur afin de discerner les figures dans l’espace 1217 . Cette caractéristique s’accentue durant les années 1560-1570 où il produit de nombreuses peintures religieuses. Ces tableaux se caractérisent par une simplicité et une austérité qui rappellent, par ces composantes, les œuvres de Sebastiano del Piombo - mais restons prudents quant à cette assertion car le style, lui, diffère en tout point. Nous ne connaissons avec certitude qu’une seule œuvre de Luca Cambiaso sur pierre : une Vierge à l’Enfant entourés de sainte Claire et saint Bernard (fig. 159) 1218 . Néanmoins, en 1958 Bertina Suida Manning et William Suida mettent en rapport un Baptême du Christ peint sur ardoise dans l’église de San Giacomo Aspostolo (fig. 160) avec une autre peinture, attribuée alors à Luca Cambiaso, un Baptême du Christ pour l’église de Santa Chiara, peinte vers 1570 1219 . Depuis, cette attribution n’a pas été reprise et le tableau semble être l’œuvre d’un de ses élèves.

Pour la Vierge à l’Enfant entourés de sainte Claire et saint Bernard, les informations ne sont pas plus complètes que pour les deux œuvres citées auparavant. La datation ainsi que le commanditaire demeurent énigmatiques. Cependant, la représentation des deux saints titulaires montre nettement que l’œuvre était destinée aux Clarisses capucines. D’ailleurs, Bertina Suida émet l’idée que la peinture d’autel aurait pu être exécutée lorsque les Clarisses capucines obtiennent de vivre cloîtrées vers 1578 1220 .

Les divers guides et descriptions de Gênes ont permis de suivre les vicissitudes des clarisses dont les déménagements successifs ont contribué à compliquer les données. Ainsi, Federico Alizeri nous apprend qu’elles se transfèrent avec leur tableau dans l’église de San Antonio, qui change de nom au XVIIe siècle pour devenir Santa Maria degli Angeli 1221 . Depuis, les Clarisses se sont installées dans le monastère des Clarisses capucines du Saint Sacrement dont la chapelle contient le tableau de Luca Cambiaso. La peinture se compose de deux parties : la colombe, inscrite dans une lumière dorée, symbolise l’esprit saint. Puis, la composition principale présente la Vierge, assise sur un nuage, qui entoure l’enfant Jésus et tient un livre à la main. Un dessin du Louvre, une Vierge à l’Enfant, comporte de nombreuses affinités avec cette peinture 1222 . Tous deux sont entourés d’angelots dont le traitement des visages ou de la chevelure rappelle Corrège. Enfin, le tableau montre saint Bernard et sainte Claire, agenouillés en direction de l’enfant Jésus, qui, debout, bénit le spectateur. La composition offre une palette chromatique nuancée et le schéma - qui inclut un triangle isocèle et un cercle - reprend des principes géométriques classiques. Pour la Vierge et l’Enfant, Luca Cambiaso paraît puiser dans le registre pictural de Perino del Vaga - artiste qui sert de modèle jusqu’au début du XVIIe siècle - même si l’ensemble du tableau se rapproche plus des exemples « romains » de la Contre-Réforme qui privilégient la lisibilité 1223 . Cet aspect coincide avec le fait que Luca Cambiaso est souvent présenté comme un « assimilateur » qui s’approprie le style des autres. Ses capacités à s’adapter à des manières et techniques différentes expliquent sans doute son attrait pour la peinture sur pierre. De nombreux textes font référence à ses productions bien qu’aucune n’ait été retrouvée.

Au contraire, la génération de peintres dont fait partie Giulio Benso rompt avec la « tradition des ateliers» et se démarque des modèles romains pour rechercher auprès des œuvres lombardes ou nordiques de nouvelles solutions. Giulio Benso exécute de nombreuses peintures d’autel et s’essaie à différentes techniques dont la peinture sur ardoise. De toute sa production, nous ne connaissons que trois peintures sur ardoise qui proviennent de l’ancienne église des Santi Giacomo e Filippo : la Cène, le Lavement des pieds et l’Entrée dans Jérusalem (fig. 161 à 170). Les ardoises s’inscrivent dans la tribune comme élément ornemental 1224 à la différence de la production de la génération précédente.

En 1938, lorsque Antonio Costa entreprend son étude sur l’église des Santi Giacomo e Filippo, de nombreuses peintures sur pierre qui provenaient de cet édifice étaient déposées au palais Bianco 1225 . Aujourd’hui, seules quelques œuvres dont celles de Giulio Benso sont conservées et encore lisibles. Étrangement, aucune source - qu’il s’agisse de Rafaello Soprani, Carlo Giuseppe Ratti ou Federico Alizeri - ne fait état des tableaux peints sur ardoise par Giulio Benso. La raison en est peut-être que ces peintures, exécutées en 1622, ont été attribuées à Ansaldo depuis sa mort en 1636, comme l’indique Mary Newcome. 1226

Chacune des scènes, gravées par Gerolamo Imperiale 1227 , atteste de l’influence des cultures nordique et lombarde sur Giulio Benso. Dans la Cène, la partie de droite, en mauvais état de conservation, comporte une nature morte - représentation de plats sur une étagère - qui, par sa finesse d’exécution et son rendu réaliste, se réfère à la culture des Campi, du Caravage et d’autres artistes lombards ou nordiques, observateurs minutieux. En même temps, le traitement par coups de pinceau rapides rappelle l’approche de Giulio Cesare Procaccini, artiste lombard largement représenté dans les collections de Giovanni Carlo Doria, mécène qui protège également Giulio Benso. En revanche, l’étude des visages révèle une autre influence, celle du Cerano. Par ses œuvres, Giulio Benso se démarque de l’ancienne génération, qui reprenait bien souvent les modules mis en place par leurs aînés, et apparaît comme l’une des dernières personnalités à Gênes à peindre sur ardoise pour des décorations liturgiques.

En effet, la majeure partie des commandes est effectuée dans les années 1580-1640. Après cette date, les artistes renouvellent leur production et proposent, comme nous l’étudierons dans cette partie, de nouvelles possibilités.

Notes
1211.

Vigna, Raimondo Amedeo, Illustrazione storica, artistica ed epigrafica dell’antichissima chiesa di Santa Maria di Castello in Genova, Gênes, Luigi Nazario Lanata, 1864, p. 196.

1212.

Copie d’après Andrea Semino, Adoration des bergers, dessin, plume et encre brune, pierre noire, rehauts de blanc, 190 mm x 188 mm, Paris, Louvre, inventaire 9064 recto.

1213.

Rotondi Terminiello, Giovanna, « Andrea Semino », Galleria nazionale di Palazzo Spinola. Interventi di restauro, Quaderno, n° 6, 1983, p. 30-34.

La Visitation / L’Adoration des bergers / La Présentation au temple / Jésus parmi les docteurs, tempera sur ardoise, 123,5 cm x 74 cm, Gênes, Santa Maria di Castello. Catalogue raisonné n°534-537.

1214.

Alexandre et Cesare Semino, Assomption sur ardoise, huile sur ardoise, 373 cm x 161 cm, Gênes, église San Siro. Catalogue raisonné n° 538.

1215.

« Più raro ornamento era certo un’ancona all’altare con N.D. elevata dagli angeli alla gloria celeste, dipinta su pesantissima ardesia da Andrea Semino. Cedette il luogo a devoto quadretto di N.S. Provvidenza che da tempo si venera nella cappella nè per questo gli convenne perire o andarne in esiglio dalla basilica per la quale fu lavorata dal magistrale pennello d’Andrea. Dirò anzi che il noto zelo de’Fabbricieri m’affida del rivederla quandochessia collocata in migliore aspetto che prima non fosse ; nè a ciò sarebbe forse più acconcio luogo dell’ampia Sacristia, dove pendono per lor benemerito eletti quadri, o testimoni (dirò meglio) dei loro onesti propositi », Alizeri, Federico, Guida illustrativa del cittadino e del Forastiero per la città di Genova e sue adiacenze, Gènes, Luigi Sambolino, 1875, p. 143-144.

1216.

Da Prato, Cesare, Genova. Chiesa di San Siro. Storia e descrizione, Gênes, Tipografia della Gioventù, 1990, p. 237.

1217.

Magnani, Lauro, Luca Cambiaso. Da Genova all Escorial, Gênes, Sagep, 1995.

1218.

Luca Cambiaso, Assomption avec saint Bernard et sainte Claire, huile sur ardoise, 240 cm x 170 cm, Gênes, monastère des Clarisses capucines du saint Sacrement. Catalogue raisonné n° 531.

1219.

Suida Manning, Bertina, Suida, William, Luca Cambiaso. La vita e le opere, Milan, Casa editrice Ceschina, 1958, p. 51.

D’après Luca Cambiaso, Baptême du Christ, 2ème quart du XVIe siècle, huile sur ardoise,158 cm x 96 cm, Gênes, San Giacomo Apostolo. Catalogue raisonné n° 532.

1220.

Suida Manning, Suida, 1958, p. 53.

1221.

« Le cappucine trasferendosi in questa chiesa vi recarono quanto possedean di pregevole cioè il quadro del’laltar maggior co’lor titolari (malamente ritocco) del Cambiaso », Alizeri, Federico, Guida artistica per la citta di Genova, Gênes, Grondona, 1846-1847, vol. 1, p. 249-250.

1222.

Luca Cambiaso, Vierge à l’enfant entourés de saints, plume, encre brune, lavis brun, 341 mm x 238 mm, Paris, Musée du Louvre, Département des arts graphiques, inventaire n° 259 recto.

Toutefois, il sied de modérer ce jugement car si le schéma de la composition rappelle celui du tableau sur ardoise, le traitement diffère totalement. Le dessin par conséquent ne peut pas être une étude préparatoire au tableau mais peut en être contemporain.

1223.
1224.

Nous retrouvons une telle utilisation dans un seul cas : la peinture de Giovanni de Vecchi pour la tribune de l’église de Santa Maria in Aracoeli, Rome.

1225.

Costa, Antonio, « Il monastero e la chiesa dei Santi Giacomo e Filippo », Genova, mai, 1938, p. 15-32 ; Costa, Antonio, « Il monastero e la chiesa dei Santi Giacomo e Filippo », Genova, septembre, 1938, p. 16-28.

Excepté les œuvres de Giulio Benso, Antonio Costa recensait diverses œuvres dont : « stipi in lavagna dipinta rappresentante Mosé / Altro rappresentante Aronne […] / Due altre lavagne dipinte in cui rappresentante la fede, l’altra la Preghiera / Due altre lavagne dipinte du cui una rappresentante la Madonna con S. Domenico e l’altra S. Francesco/ un altra ardesia dipinta con Gesù e la Samaritana di ignoto in tre pezzi », Costa, septembre 1938, p. 21-22.

1226.

Newcome-schleier, Mary, « Genoese baroque decoration in Santi Giacomo e Filippo », Arte Cristiana, n° 71, 1983, p. 317-326.

1227.

Selon les assertions de Newcome-schleier, Mary, « Giulio Benso », Paragone, n° 355, 1979, p . 27-40.