2.2. Confraternités, compagnies et peintures sur pierre : les édicules

Tandis que la plupart des peintures d’autel sur pierre s’inscrivent dans une tradition mise en place à Rome dès la première moitié du XVIe siècle, Gênes, ou plutôt la Ligurie, offre d’autres solutions et connaît une production atypique : les peintures sur ardoise apposées dans des édicules extérieurs.

À Gênes, chaque compagnie, confraternité ou quartier devait mettre dans la rue une image de son saint patron afin d’obtenir la protection de leur négoce. À partir du XVIe siècle, ce phénomène connaît une importante diffusion. Mais, c’est surtout au cours des XVII et XVIIIe siècles que se développe cette pratique. Si le choix d’un matériau comme l’ardoise doit, vraisemblablement, répondre aux problèmes de conservation, ce n’est pas là l’unique explication. Nous avons vu comment la tradition ligure intégrait fréquemment l’ardoise en architecture ou en sculpture 1228 . Il n’est donc pas extraordinaire qu’elle soit employée à la fois pour l’édicule et pour la peinture.

Depuis 1865, tous les édicules qui se trouvent dans les rues de Gênes ont été recensés 1229 . Parmi ceux-ci, plus d’une quinzaine comportent, non pas des sculptures, mais des peintures sur ardoise dont une partie a aujourd’hui disparu. En effet, ce type de production pose un problème de conservation car si la peinture d’autel est généralement protégée, ces tableaux d’extérieur subissent les intempéries.

D’autres raisons sont également à l’origine de ces dégradations ou disparitions. Par exemple, la peinture, la Madonna della Tosse, se trouvant dans la cour de l’église Santi Giacomo e Filippo, fut vendue en 1860 à Camilla Gropallino née Durazzo ou encore celle de la porte du pont Spinola fut cédée en 1842 1230 . Nous pourrions ainsi poursuivre cette énumération. La prise de conscience de ces peintures en tant qu’œuvres d’art n’advient que tardivement et la peinture de Pellegro Piola illustre parfaitement cette ambivalence. Vers 1640, la Confraternité des orfèvres commande à Pellegro Piola un tableau dans lequel doit figurer leur saint patron, l’évêque Eligio, pour le placer à l’angle de la rue des Orfèvres (fig. 171). Rafaello Soprani relate « qu’il composa l’ultime et la plus insigne œuvre de sa carrière qui fut l’image de la Vierge tenant l’enfant Jésus sur ses genoux et à leurs pieds est représenté saint Jean en observation et de l’autre il y a l’évêque saint Eligio, qu’il devait représenter afin de satisfaire le Conseil des orfèvres qui lui avait commandé cette œuvre. Lorsqu’elle fut achevée, elle fut destinée à être exposée près de la rue principale dont elle prit le nom » 1231 . Federico Alizeri confirme le fait que la peinture jouit, auprès de la population, d’une grande estime 1232 . Mais, malgré de multiples polémiques autour de la situation du tableau - dès le XVIIIe siècle - il faut attendre 1983 pour que la peinture soit extraite de l’édicule et confiée à l’Accademia lingustica.

Peu auparavant, Pellegro Piola s’était illustré en peignant une Vierge du rosaire sur soie 1233 , peinture, qui révèle les capacités de l’artiste à s’adapter aux différents supports et à profiter des effets qui lui sont proposés. Cette dextérité lui vaut sans doute la commande d’une Crucifixion, décrite par Filippo Baldinucci comme « la crucifixion avec des saints sur pierre d’ardoise, près de la place de notre Seigneur de la Vigne, derrière la maison de Semini » 1234 . C’est à cette même œuvre que Rafaelle Soprani fait certainement référence lorsqu’il relate que : « un de ses amis citadin lui demanda de restaurer une certaine Image d’un crucifix où à ses pieds se tenaient sainte Barbara et d’autres saints. C’était une peinture assez belle, exécutée sur une plaque d’ardoise : mais parce qu’elle fut exposée à l’air et qu’elle avait subi l’humidité, et c’était à peine si on voyait l’ombre du pinceau. […] non seulement il ne devait pas varier les figures antiques mais aussi les contours de celles-ci» 1235 . Cette description illustre parfaitement les problèmes posés par la peinture sur pierre : la difficulté de conservation des œuvres peintes sur ardoise exposées à l’extérieur et la restauration de ces œuvres 1236 .

Parallèlement, de nombreux artistes génois créent des tableaux sur ardoise destinés aux édicules. Cette spécificité n’est pas propre à Gênes puisque l’on trouve des tableaux similaires sur toute la côte ligure. L’exposition de 1992 a permis de présenter des œuvres sur ardoise qui se trouvent dans le pays niçois et en particulier à Brigue 1237 . Cette production est le résultat de l’emploi combiné d’ardoise en sculpture, peinture et architecture.

Ainsi, Gênes propose quelques réalisations insolites : en 1668, Domenico Piola, exécute dans le bâtiment qui fut autrefois l’église des saints Jérôme et Francesco Saverio une décoration qui associe fresques et plaques d’ardoise peintes employées comme élément architectural 1238 . On retrouve une combinaison similaire à l’église du Gesù : les parties saillantes en ardoise peintes font corps avec les fresques de Giovan Battista Carlone (fig. 172 à 173).

Au milieu du XVIIe siècle, les décors baroques en trompe-l’œil gagnent l’ensemble des surfaces : les artistes ne privilégient pas le stuc mais l’ardoise, au contraire des peintres romains tel Pierre de Cortone. Par une telle utilisation, l’œuvre gagne en artifice et démontre que les artistes génois promouvaient une technique inusitée dans les autres régions italiennes.

Notes
1228.

Par exemple, certaines clefs de voûtes du XVe siècle, dans l’église de Santa Maria della Passione, sont en ardoise et comportent des motifs peints.

1229.

Remondini, Angello et Marcello, Santuari e Immagini di Maria Santissima nella Città di Genova, Tipografia G. Carozzi, Gênes, 1865.

Plus généralement, pour une bibliographie sur les édicules, voir : Pastorino, Tomaso, Dizionario delle Strade di Genova, Gênes, 1973-1975 ; Falzone, Patrizia, « Le Edicole sacre del centre Storico di Genova », La Casana, n° 3, juillet-septembre 1979, p. 10-18 ; Falzone, Patrizia, La devozione sulle facciate. Le edicole sacre del Centro Storico di Genova. Catalogazione e Rilievi, Gênes, 1984 ; Falzone, Patrizia, Edicole votive e Centro Storico. Un patrimonio genovese da riscoprire, Gênes, ECIG, 1990.

1230.

Remondini, 1865, p. 357.

1231.

« Qui compose l’ultima e la più insigne opera de suoi pennelli, che fu l’immagine della Vergine tenente in grembo il suo divin Figlio, a cui piedi sta in atto d’osservazione S. Giovanni : e in disparte v’è S. Eligio Vescovo, ch’egli dovette introdurvi, per soddisfare al genio de’consoli degli orefici, che una tal opera gli aveano commezza. Poichè ella fu compiuta si destinò a stare perpetuamente esposta a capo della principale contrada che da’medissimi orefici ha preso il nome.. piacque a tutti... », Soprani, Rafaello, Le Vite de Pittori, scultori ed architetti genovesi, Gênes, Casamera, 1768, vol. 1, p. 321. 

Pellegro Piola, La Vierge à l’enfant avec saint Jean et saint Eligio, huile sur ardoise, 98 cm x 65 cm, Gênes, Accademia Ligustica. Catalogue raisonné n°542.

1232.

Alizeri, 1847, volume II, p. 308-309.

1233.

Pellegro Piola, Vierge du rosaire, huile sur soie, 210 cm x 159 cm, Gênes, Accademia Ligustica.

1234.

« Fra queste fu un Cristo Crocifisso e più santi sopra pietra di lavagna, presso alla piazza di nostra Signore delle Vigne, dietro alla casa de’Semini », baldinucci, 1681-1728, (1847), p. 62.

Virgillio Zanolla propose de mettre en parallèle cette description avec une œuvre provenant du couvent des Augustiniennes de l’église de santa Maria in Passione et qui est aujourd’hui déposée au musée de S. Agostino. – huile sur ardoise, 97,5 cm x 77,8 cm.

Zanolla, Virgillio, Pellegro Piola « Ars Longa vita brevis », Gênes, Nuova editrice, 1993, p. 55.

1235.

« Un cittadino suo Amico gli diè incumbenza di ristorargli certa Immagine d’un crocifisso, a’cui piedi stavano santa Barbara, ed altri santi. Era questo un dipinto assai bello, fatto in una lastra di lavagna : ma perché tenevasi esposto all’aria, egli avea molto sentito l’Umidore ; onde appena vi si conosceva qualche ombra di pennellate. La scrupolosa divozion dell’Amico era giunta a segno d’intimare a Pellegro che non solo non variasse le figure antiche, ma nepire i dintorni di esso.. », Soprani, 1768, p. 319. Egalement publié par Bonzi, Mario, Pellegro Piola, Bartolomeo Biscaino. Due pittori genovesi morti nel fior dell’età, Gênes, editrice Liguria, 1963, p. 26.

1236.

Zanolla, 1993, p. 55.

1237.

Catalogue d’exposition, Nice, 1992.

1238.

Salviati, Leonardo, Ardesia, material e cultura, Gênes, Sagep, 1988, p. 209.