Face à l’augmentation inflationniste du nombre de personnes atteintes par la maladie d'Alzheimer, la reconnaissance du rôle des aidants naturels et leur soutien devenait une nécessité absolue à la fin du XXème siècle et celle-ci prend forme avec la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 qui instaure l’aide personnalisée à l’autonomie (APA). Celle-ci prendra effet à partir du 1er janvier 2002. Cette loi permet la rémunération d’un tiers dont un proche du malade pour l’aide à la réalisation des actes de la vie quotidienne qu’il lui apporte.
Instaurant un rapport d’argent, la loi a instauré un rapport entre l’aidant et la personne âgée où la notion de responsabilité est certaine. La responsabilité de l’aidant vis-à-vis du parent dépendant s’ajoute souvent aux autres rôles qu’il peut remplir : marital, parental ou grand-parental, professionnel, social etc. (Cozette, E., et al., 2002) 20 .
Si, comme l’écrit J. Tyrrell (2004) 21 : « Le rôle d’aidant informel est rarement prévu ; il est souvent assumé par devoir, dévouement, amour pour le proche dépendant, sans aucune formation particulière. », notre expérience clinique nous a appris que dans de nombreuses situations l’aidant trouve une source de revenus non négligeable en endossant cette tâche.
J. Tyrrell précise d’ailleurs un peu plus loin que : « Nos travaux de recherche * indiquent que la plupart des aidants ont des sentiments mixtes par rapport à leur rôle d’aidant. »
À nos yeux, les conditions de la désignation et les finalités des aidants ne sont certainement pas étrangères à cela. Toutefois, quelles que soient les motivations qui les ont conduits à se désigner ou se laisser désigner comme tels, les aidants sont contraints d’assumer des tâches de plus en plus complexes, et des responsabilités de plus en plus grandes avec l’évolution de la maladie d'Alzheimer de leur proche. Une fois le processus de désignation agi, se décharger de leur tâche n’est possible qu’au prix d’une blessure narcissique souvent inenvisageable ou d’un événement intercurrent venant interdire la poursuite de leur activité d’aidant. De nombreux travaux ont d’ailleurs clairement montré que l’accomplissement de la tâche qui incombe aux aidants peut conduire jusqu’à l’épuisement total de ceux-ci voire à leur décès. En regard de ces explications, nous oserons avancer l’hypothèse qui est de considérer leur mort non comme étant liée à la lourdeur de leur tâche mais comme étant le résultat de leur l’impossibilité de désistement qui est la leur.
Cet impossible désistement n’est pas lié à un facteur précis et isolable mais il est le résultat d’un ensemble de loyautés invisibles (Boszormenyi-Nagy, I., 1973) 22 . S’il est possible de percevoir ces loyautés et leur poids relationnel lors des situations cliniques que nous rencontrons en tant que thérapeute familial, nous pouvons aussi dire que celles-ci sont singulières et découlent de la trajectoire de vie de chaque Alzheimérien ainsi que de la légitimité de l’aidant. Ces loyautés sont constituées de l’ensemble des interactions que nous savons pouvoir nourrir envers tel ou tel membre de notre famille mais aussi et peut-être surtout de celles que nous savons interdites dans un jeu qui noue les unes par rapport aux autres.
Par ailleurs, La loi 2002-303 du 4 mars 2002, introduit dans le dispositif législatif Français la notion de personne de confiance. Il est à noter que cette disposition s’applique uniquement aux personnes hospitalisées et la désignation de celle-ci n’est valable que pour le temps de l’hospitalisation.
La question qui se pose est donc de savoir comment une personne âgée qui souffre de troubles cognitifs et mnésiques est en mesure de désigner lors de chacune de ses hospitalisations une personne de confiance de façon tout à fait sensée…
Cette disposition semble donc difficilement applicable pour les personnes qui souffrent de maladie d'Alzheimer.
Cozette, E., et al., « Qui sont les aidants », 1999.
Tyrrell, J., « L’épuisement des aidants familiaux : facteurs de risque et réponses thérapeutiques », 2004.
Plusieurs travaux de recherche ont été réalisés sous ma direction depuis 2000, concernant le vécu des aidants familiaux qui accompagne un proche souffrant de troubles cognitifs.
Boszormenyi-Nagy, I, « Invisibles loyalties », 1973.