1.5. Il n’y a pas d’aidant sans désignation.

Certaines fois, l’aidant se désigne lui-même. Nous pouvons penser, dans une première réflexion, qu’il tente de protéger les autres membres de sa famille, lesquels d’ailleurs ne le souhaitent pas forcément, mais les choses ne sont pas aussi simples. En se chargeant du fardeau, il libère les autres membres de sa famille mais, dans le même temps il gagne un rôle. L’importance du rôle de protecteur familial au sein de certaines familles justifie que l’on brigue la place et il n’est pas rare de voir plusieurs personnes la revendiquer. La lutte pour la place est d’autant plus inévitable que si personne n’aurait osé remettre en cause le statut du patriarche, l’annonce de la maladie d'Alzheimer ouvre la compétition puisqu’elle dit que la place va être bientôt vacante si ce n’est pas déjà le cas ! Pour l’aidant, son autodésignation ne signifie donc pas seulement qu’il souhaite apporter de l’aide à son parent mais il s’agit, pour lui, de prendre un rôle et une fonction en référence au mythe familial et ce peu importe le rituel que la préservation du mythe va demander. L’aidant n’est pas alors seulement un aidant, il devient le « protecteur ». Quand l’Alzheimérien exerçait jusqu’alors un pouvoir sans partage sur l’ensemble d’une famille, patriarche vénéré et redouté à la fois, les contraintes de l’aide sont bien peu face aux bénéfices de la place. Nous avons d’ailleurs souvent pu observer que dans de telles situations ce n’est pas l’aidant qui prend en charge les soins de nursing qui hérite du rôle de décideur au sein de la constellation familiale malgré ses efforts pour obtenir la place.

Dans d’autres systèmes familiaux où la règle est de se partager les tâches d’entre aide, les membres de la famille vont tout naturellement se partager les fonctions et faire appel aux professionnels, ce qui n’empêchera pas néanmoins de voir l’émergence d’un couple principal, sous-système centralisateur. Quand, en tant que professionnel du soin, nous interrogeons celui que nous pensons être l’aidant, il n’est pas rare que celui-ci réfute cette désignation car celle-ci n’est effectivement qu’une compréhension bien parcellaire de la réalité dans laquelle son aide s’inscrit.

Pour nous être longtemps occupé de l’accueil de personnes âgées en maison de retraite, nous avions alors souvent été interpellé par le fait que ce n’était pas celui qui nous semblait être l’aidant naturel qui prenait la décision du placement. Alors que la personne âgée était accompagnée au quotidien par son conjoint ou un enfant, c’était un autre enfant qui affirmait le jour de l’admission que cette décision était nécessaire. Et, à notre grand étonnement, l’aidant naturel semblait se plier sans trop de difficultés à cette décision. Aujourd’hui, à la lumière de ce que nous venons de dire, nous pouvons comprendre que dans ces situations il y avait certainement, depuis le début de l’aide, au moins deux voire plusieurs aidants et que c’est le sous-système centralisateur dont l’avis est primordial.

Cette compréhension de la réalité de l’existence de différents aidants confirme, s’il le fallait, que l’impact de la maladie d'Alzheimer dans une famille ne se limite pas à la formation d’un couple aidant – aidé puisqu’il y en a plusieurs. Le sous-système en charge des questions de santé et de nursing n’est que la partie visible de l’ensemble des changements de place et de rôle qui se jouent au sein de la famille mais c’est à travers lui que nous avons tenté d’appréhender et de comprendre l’impact familial de la maladie d'Alzheimer.