1.7. Autres contrées autres aidants.

Si en France, la gestion de la maladie d'Alzheimer est pensée comme étant l’affaire de la sphère privée et se traduit généralement en son sein par la désignation d’un aidant, il n’en est pas de même dans d’autres pays comme le Canada ou le Danemark par exemple.

Le terme d’aidant apparaît dans la littérature francophone dans une traduction approximative du canadien anglophone carer ou caregiver provenant de l’anglais to care for : s’occuper de, soigner. Le terme de caring quant à lui recouvre la notion d’être « concerné par », mais avec une note affective plus ou moins forte et toujours positive.

Bien que moins simple mais peut être plus explicite quant à la tâche et au rôle de l’aidant, nous aurions traduit plus volontiers ce terme par : « donneur d’attention », dans le sens de : to take care off : prendre soin de.

L’Ouest et le Middle West canadien sont des pays jeunes et anglophones. La représentation de la famille et son rôle y sont forts différents des nôtres.

Nous ouvrons une parenthèse pour préciser à cette occasion que ce pays se pense jeune dans un déni évident de ceux qui y sont appelés les « Natives ». Ceux-ci apportent pourtant une réponse aux problèmes de leurs aînés dépendants qui varie effectivement d’une tribu à l’autre mais qui s’inscrit dans la nuit des temps…

Ainsi, face à l’émergence de la question des personnes âgées dépendantes, la réponse familialiste n’était pas une évidence pour les Canadiens. En revanche, cette non évidence en entraînait deux autres. D’une part, une personne âgée dépendante dépend d’un tiers comme son nom l’indique. D’autre part, ce tiers n’étant pas obligatoirement un membre de la sphère familiale, la communauté s’est s’organisée pour pouvoir répondre aux demandes des personnes âgées dépendantes. L’esprit de solidarité entre les familles des pionniers qui existait lors de la conquête du Middle-West est toujours quelque part présent chez les Canadiens puisque cette conquête ne remonte qu’à une centaine d’années. L’entraide communautaire est donc quelque chose d’inscrit dans les règles transgénérationnelles des Canadiens et celle-ci joue normalement lorsqu’un de ses membres est en difficulté.

Un autre exemple intéressant quant à la mise en œuvre de l’aide aux personnes âgées dépendantes et celle des pays scandinaves et nous nous arrêterons plus particulièrement sur l’expérience danoise. Le Danemark à l’inverse du Canada n’est pas un pays jeune. Toutefois, c’est aussi un pays où la notion de famille composée de plusieurs générations vivant dans le même foyer a disparu depuis longtemps, à la différence des pays méditerranéens. Ainsi pour les Danois, s’il semble naturel que la première solidarité qui se joue soit familiale, celle-ci est systématiquement pensée dans une complémentarité avec des professionnels. Le premier mouvement n’est pas celui qui concourt à la préservation de l’image d’un ancêtre suffisamment bon avec la désignation d’un aidant qui vient gommer les erreurs de la personne âgée. Au Danemark, la notion d’obligation alimentaire entre enfants et parents n’existe pas et le respect du souhait du malade ainsi que son maintien à domicile sont des principes sociaux forts. Les proches soignants s’entourent donc, dès le départ, de personnes qualifiées et l’intervention précoce et coordonnée auprès de l’Alzheimérien va permettre de jouer sur une gamme étendue de solutions allant de visites à domicile des coordinateurs psychiatriques à des séjours en institutions adaptées. Entre ces deux solutions, d’autres alternatives telles que des séjours de répit, des solutions d’hébergement pour couple dont un des patients est atteint par la maladie d'Alzheimer, etc. sont possibles et utilisées si nécessaires. Comme le précise C.E. Swane (2002) 25  : « Cette nouvelle approche, fondée sur la réciprocité, donne leur place aux point forts des malades de démence et non plus à leurs points faibles. »

Evitant que trop de personnes n’interviennent à domicile, une personne contact qui dispose d’un temps suffisant, va tenter d’établir une relation de confiance avec l’Alzheimérien et son aidant afin d’aider le premier à continuer de vivre chez lui et le second à relever les défis de la vie quotidienne et à faire les choix qui s’imposent mais en gardant toujours à l’esprit qu’un choix est par définition quelque chose de réversible.

Toujours en Scandinavie mais en Suède cette fois, nous notons aussi l’existence des Group-Living (Annerstedt, A., 2002) 26 . Cette solution d’hébergement communautaire de huit à neuf Alzheimériens à des stades modérés de la maladie est aussi une alternative qui permet à l’aidant familial de garder sa place et son rôle auprès de son parent tout en n’ayant pas à prendre en charge le quotidien. Ce type de réponse repose effectivement sur l’acceptation sociale de ce type de maladies mais les expériences suédoises et danoises montrent combien le rôle et la charge de l’aidant familial sont différents et surtout moins lourds à porter quand celui-ci est accompagné dès le départ dans une société qui ne refuse pas les avatars de la vieillesse.

En France, une expérience du même type que celle des « Group-livings » a été menée dans les quartiers nord de Grenoble à La Tronche dans les années 1985 et si elle a connu le même type de résultat heureux pour les personnes âgées, elle n’a pas pu se pérenniser. Il s’agissait de villas louées par quatre ou cinq familles où étaient regroupées les personnes âgées et où les familles se relayaient en complément des aides des professionnels. Cette solution permettait aux aidants de garder leur rôle tout en ayant des temps de répit. Leur présence quotidienne n’était pas forcément nécessaire puisqu’un planning établissait un tour de rôle. Si tout se passait bien avec les familles originelles du groupement, tout remplacement d’une personne âgée suite à un décès devenait problématique voire impossible et mettait, par voie de conséquence, l’équilibre du groupe en danger ; les autres familles choisissant alors souvent la solution plus traditionnelle d’un placement en maison de retraite.

Cette expérience confirme, s’il le fallait la pertinence du modèle suédois mais nous dit aussi combien une solution ne fait sens que si elle s’inscrit dans les règles sociales d’un groupe humain.

Cet éclairage venu de l’étranger nous indique clairement que l’aide aux Alzheimériens s’initie toujours dans la sphère familiale mais qu’il n’y a pas un modèle type. Le contexte socio-économique a un impact certain sur la manière dont elle va se jouer. Ce qui ne fait que conforter, s’il le fallait, le fait qu’un comportement n’a de sens que dans le contexte où il émerge. Ainsi nous pouvons dire que l’aidant est agi par le contexte autant qu’il agit l’aide auprès de son parent et que dans le cas présent, non content d’être conditionnée par le contexte, la tâche de l’aidant est surveillée par le contexte, c’est-à-dire par l’ensemble de ses congénères, possibles aidants en puissance.

La France découvre la maladie d'Alzheimer et son impact non négligeable. Si les familles souches savaient apporter une réponse à leurs aînés dépendants, pas forcément heureuse d’ailleurs, l’évolution de notre société, en ayant fait quasiment disparaître ce type de famille, a créé la problématique des aidants et leur souffrance ne peut pas être ignorée.

Le but de notre travail est donc de tenter d’appréhender la réalité de l’impact familial de la maladie d'Alzheimer et, comme nous l’avons déjà dit, cela nous semble un préalable nécessaire avant de vouloir aider des aidants qui n’ont souvent rien demandé d’autre que d’être déchargés pour tout ou partie de leur fardeau.

La désignation d’un aidant nous semble être seulement la partie visible d’un iceberg. Elle signe la tentative désespérée d’un groupe familial pour retenir sa personne âgée qui, tel l’iceberg, quitte sa banquise sous l’effet de la maladie d'Alzheimer pour aller se fondre dans l’inacceptable et ce dans un processus long et irréversible.

Notes
25.

Swane, C. E., « Modèles danois de soutien aux personnes démentes vivant à domicile et à leurs famille soignante », 2002.

26.

Annerstedt, L., «  Le group-living : une réponse aux cas de démences sans handicap majeur en Suède. », 2002.