3.1.3. La famille lieu de solidarité.

Toujours dans l’idée de définir la réalité de l’existence de la famille, différents types de famille ont été définis à partir des fonctionnements du groupe familial. La première qui va nous intéresser est la famille souche. Celle-ci regroupe trois générations sous le même toit et était le modèle classique des familles paysannes jusqu’au milieu du XXème siècle. Un grand nombre de personnes âgées que nous rencontrons actuellement dans notre pratique ont été élevées dans ce type de famille. Autour du père et de la mère, cohabitent un des garçons, son épouse et ses enfants. Tous vivent sous le même toit, celui de l’exploitation à laquelle ils sont asservis et qui ne doit pas être partagée. Dans ce type de famille, si la solidarité intergénérationnelle est forte c’est pour préserver et développer l’outil de travail qui est aussi dans ce cas-là le patrimoine. Nous noterons au passage que cette solidarité s’exerce souvent au prix d’une abnégation d’un ou de plusieurs de ses membres et ce à la hauteur du bien à protéger...

En Europe, la seconde révolution industrielle a eu tendance à encourager le modèle nucléaire pour les familles ouvrières alors que dans le même temps elle a favorisé les grandes familles bourgeoises dans lesquelles la parenté élargie permettait de garder au sein de la famille la propriété des moyens de production.

Mais la solidarité intrafamiliale ne s’exerce pas seulement dans les familles souches, elle se retrouve dans tous les types de familles. La mobilisation des membres d’un groupe familial pour apporter de l’aide à l’un des siens momentanément dans la difficulté est un phénomène constant sur lequel s’accordent tous les auteurs. Diverses interprétations ont été proposées pour expliquer le fondement de ces solidarités.

En ce qui concerne le type d’entraide qui nous intéresse, les travaux de J. Finch et J. Mason (1993) 49 sur le « caring » ont montré que celui-ci incombe aux femmes. Il n’y a pas de différence notoire qu’il s’agisse de soins aux enfants ou aux personnes âgées devenues dépendantes. Ces auteurs soutiennent la thèse selon laquelle l’obligation de soins est d’abord le fruit de relations qui s’établissent au fil du temps. Toutefois, nous pensons que le poids du mythe familial joue un rôle primordial dans cette acceptation. Le concept de mythe familial a été beaucoup travaillé par les systémiciens et nous y reviendrons plus tard.

De nombreuses personnes assumant une fonction d’aidant nous ont dit, au cours de notre enquête, que pour elles, la question ne s’était jamais posée. Venir en aide à la personne âgée était, pour elles, un fait normal. Il n’y avait eu aucune discussion, négociation ou délibération. Il n’avait d’ailleurs jamais été question d’en discuter ou de négocier et encore moins d’en délibérer au sein de leur famille. Elles étaient « naturellement » désignées et si elles n’avaient rien à y redire, ce n’est pas pour autant que le poids de leur tâche était moins astreignant, bien au contraire... Dans ces cas-là, la force de la règle familiale, règle implicite généralement, interdit la parole à l’aidant. Il sait que toute remarque de sa part risque d’être interprétée, par l’ensemble des membres de la famille, comme une trahison à son devoir et à sa famille, ce qui le met en grand danger d’exclusion du groupe familial.

Notes
49.

Finch, J., et Mason, J., « Negociating Family,Responsabilities », 1994.