La difficulté de définir une famille élémentaire avait été soulignée par J. Lacan (2001) 51 dans son article sur les complexes familiaux paru dans « l’encyclopédie française » en 1938, à la rubrique Famille. Il écrit : « Le groupe réduit que compose la famille moderne ne paraît pas, en effet, à l’examen, comme une simplification mais plutôt comme une contraction de l’institution familiale. Il montre une structure profondément complexe, dont plus d’un point s’éclaire bien mieux par les institutions positivement connues de la famille ancienne que par l’hypothèse d’une famille élémentaire qu’on ne saisit nulle part. »
Nous voyons donc avec Jacques Lacan que, pour les psychanalystes, la famille n’est pas une réalité puisque saisissable nulle part.
À partir de leur clinique, P. Charazac et C. Joubert (2005) 52 , analystes, proposent de définir la famille comme un ensemble de liens. Ils identifient un ensemble de liens relationnels qui assurent l’union ou le rejet du sujet avec les autres membres d’un groupe. Liens de couple, liens fraternels, liens de filiation, liens aux familles d’origine et liens au groupe familial par rapport à l’extérieur sont les principaux liens qu’ils identifient.
En référence à cette idée ces auteurs affirment : « La démence plus particulièrement, mais toutes formes de grande dépendance du sujet âgé provoquent une attaque des liens et une grande souffrance familiale. »
Nous préciserons que c’est la démence qui attaque les liens et que la personne âgée reste un sujet acteur jusqu’au bout de sa vie pour ces auteurs qui défendent la proposition d’un travail analytique familial pour désamorcer les situations où le vécu des protagonistes exprime de la souffrance.
Une telle définition du concept de famille est effectivement riche et certainement pertinente. Si elle peut éclairer la cure d’un analysant pris dans un rôle d’aidant, en supposant que l’aidant soit effectivement venu demandé un travail analytique classique, elle ne facilite pas pour autant la tâche d’un clinicien jugeant important de définir un ensemble de personnes qui formerait la famille d’un patient âgé.
Toujours dans une approche psychanalytique, si nous voulons que la famille, par sa définition existe en soi, nous pouvons avec R. Neuburger (2003) 53 proposer d’appréhender le problème de la définition de la famille sous l’angle de la limite, Il écrit : « Pour faire exister une famille, il convient de créer une barrière, une limite entre le groupe et le monde extérieur, sinon il n’y a pas de groupe, pas de famille. L’identité d’un groupe familial repose sur sa différence avec l’extérieur, la société. »
Pour lui, le mythe familial permet de créer cette barrière. Dans cette optique, il définit le mythe comme une représentation partagée par les membres du groupe qui engendre des convictions sur les rôles que chacun doit prendre et jouer dans sa famille. Le mythe étant du domaine du non-dit, il s’accompagne toujours d’un rituel familial qui lui est du domaine du faire et dont les personnes peuvent facilement parler. Le rituel permettant de nourrir et de faire vivre le mythe familial sans justement avoir à en parler. Le mythe relève donc d’un programme officiel de la famille, au sens de (Pluymaekers, J., 1989) 54 , alors que le rituel est fait des règles implicites que jouent les membres de la famille.
Par ailleurs, pour cet auteur, la complexité familiale renvoie au fait que la famille a plusieurs niveaux de fonctionnement. Il écrit (Neuburger, R., 1995) 55 : « Une famille est : une unité fonctionnelle donnant confort et hygiène ; un lieu de communication, matrice relationnelle pour l’individu ; un lieu de stabilité, de pérennité, malgré ou grâce au changements que le groupe peut opérer ; un lieu de constitution de l’identité individuelle et de transmission générationnelle : la filiation. »
À la lumière de ces propos, nous voyons en quoi, d’un point de vue psychologique, une famille nucléaire ne peut pas exister seule. La transmission générationnelle, fait de la famille élargie, est le nécessaire moteur de la différenciation de soi. La triangulation père-mère-enfant ne peut s’agir en son sein que parce que chacun des parents sait être fils/fille de (…). Cette assurance permet aux parents d’inviter leur enfant à devenir à son tour leur fils ou fille et ce généralement dans un souhait de similitude ou d’opposition à ce qu’ils ont vécu. La famille élargie nourrit donc la famille nucléaire qui de par ses réactions nourrit la famille élargie. Nous sommes ici dans un processus typique de boucle de rétroaction.
Lacan, J., « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu », 2001.
Charazac, P., et Joubert, C., « Paradigme familial et du lien », 2005.
Neuburger, R, « Les rituels familiaux », 2003.
Pluymaekers, J., « Familles, institutions et approche systémique », 1989.
Neuburger, R., « Le mythe familial », 1995.