4.2.1. Les enjeux de la désignation.

Quand le professionnel accueille la demande d’aide, il commence généralement par demander à l’aidant informel de décrire le quotidien de la vie de la personne âgée et son implication dans celui-ci. Chaque situation étant singulière, ce questionnement, qui a pour but d’articuler de la façon la plus harmonieuse l’aide et l’action du professionnel, est en fait souvent le déclencheur d’un autre processus. En effet, nous avons souvent pu observer, dans notre pratique hospitalière, que tout en narrant le quotidien de sa relation avec la personne âgée, l’aidant informel effectue alors un travail de réflexion sur son engagement auprès de la personne âgée et par extension sur lui-même. Il arrive fréquemment que ce temps narratif lui permette de prendre du recul par rapport à ce qu’il est en train de vivre. D’une certaine façon, c’est en se racontant qu’il prend conscience de ce qu’il vit ; ce qui n’est pas sans risque et peut introduire une crise dépressive. C’est I. Simeone qui décrit le risque pour les membres de l’entourage qui viennent en aide à une personne âgée démente de vivre une crise dépressive. Il écrit (Simeone, I., 1984) 64  : « La maladie de la démence modifie dans une famille l’image des parents ou des grands-parents et perturbe les relations affectives qui s’étaient étayées tout au long de l’histoire familiale. (…) L’évolution de cette maladie produit dans l’entourage une crise dépressive que nous connaissons bien ; mais elle peut être aussi à l’origine d’une rupture de générations, car l’apparition d’une démence d’Alzheimer sécrète toujours une zone obscure entourée de honte et de culpabilité. »

Ainsi, en tentant d’empêcher l’avènement d’une crise au sein de la famille l’entourage proche de l’Alzheimérien va connaître une crise dépressive.

D’autres fois, l’aidant informel cherche, consciemment ou non d’ailleurs, auprès du professionnel la confirmation de son impossibilité à assumer un rôle d’aidant naturel puisqu’il ne peut la trouver au sein de la famille, et pour cause. S’il obtient la confirmation de son incapacité à accomplir une telle mission sans autre alternative, cela ouvre parfois la voie au placement-abandon. Cette réaction, pourtant logique, entraînera de la part des autres membres de l’entourage de la personne âgée des mécanismes de disqualification envers l’aidant informel mais ce n’est pas pour autant qu’un aidant naturel sera alors désigné.

La disqualification peut d’ailleurs être agie par le professionnel qui, s’il se pense compétent, risque de déposséder l’aidant décideur de sa tâche et avec elle d’une partie de son identité, sans malheureusement s’en rendre compte. Comme nous avons vu le rôle prépondérant de celui-ci puisqu’il constitue un des protagonistes du sous-système centralisateur, une telle disqualification va forcément déséquilibrer l’homéostasie du système familial et une période de crise va alors s’ouvrir. Au cours de cette période, mais pas seulement dans ces cas-là, le professionnel peut être jugé inapte à fournir du bon travail et alors, que ce jugement soit posé par l’aidant ou par un autre membre de la famille, son incompétence ne pourra que s’avérer.

La désignation de l’aidant naturel est donc quelque chose qui se met en place dans le secret des familles. Mais, qu’elle se fasse de façon insensible, presque naturellement, ou qu’elle s’impose avec la survenue d’un accident, elle doit nécessairement être officialisée par la rencontre avec des professionnels. Avant que les professionnels n’aient été interpellés, il n’y a pas encore eu forcément la désignation d’un membre particulier de la famille pour aider l’aîné. Or, dès que la famille fait appel aux professionnels, ceux-ci cherchent le « bon interlocuteur » nous dit C. Roos (1991) 65 . Il semble donc que nous ne puissions parler d’aidant naturel qu’à partir du moment où le professionnel existe, auparavant il se joue une aide naturelle mais qui, elle, n’est pas apportée par un aidant naturel !

L’impact de cette désignation ne retentit pas seulement dans la famille, elle a aussi un impact dans le dispositif institutionnel. J. Gaucher (1999) 66 précise : « Nous donnons le nom d’« enfant désigné » à celui ou celle de la famille qui est constitué de part et d’autre, par sa famille comme par l’institution, comme celle ou celui qui représente la famille dans le dispositif institutionnel. Ce personnage familial nous intéresse à double titre. D’une part, il semble collecter l’assentiment familial pour bénéficier de cette délégation de pouvoir, d’autorité et de décision en matière de prise en charge du parent âgé et, d’autre part, il apparaît comme « prêt à l’emploi », c’est-à-dire à épouser avec une relative facilité les exigences d’une telle fonction. ».

Avant de poursuivre, il nous semble intéressant de préciser ce que nous savons des éléments qui prédisposent un membre de la famille à être l’aidant naturel.

Notes
64.

Simeone, I,. et Thome, A., « Effet dépressivogène de la démence sur la famille », 1984.

65.

Roos, C., « Les relations d’aides familiales », 1991.

66.

Gaucher, J., « La famille de la personne âgée se réduit souvent à un seul interlocuteur », 1999.