4.2.2. Les prédispositions à être un aidant naturel.

Il y a de toute évidence différentes conditions qui prédisposent, pour ne pas dire vulnérabilisent, un membre d’une famille pour qu’il devienne un aidant naturel.

La première est certainement la proximité géographique et la plus proche est celle que connaît le conjoint.

Dans le cas du conjoint, outre la proximité, c’est le lien marital qui semble jouer mais il est des situations où bien que le patient soit marié, c’est un enfant qui s’occupera de l’Alzheimérien.

Quand c’est un enfant, la proximité géographique joue très souvent mais alors nous ne pouvons pas nous empêcher de nous demander pourquoi tel ou tel enfant est resté proche de ses parents et ce, qu’il soit un enfant unique ou non d’ailleurs.

Dans une autre lecture, les psychanalystes lient cette désignation à l’histoire de la famille et plus particulièrement à des mécanismes inconscients qui jouent entre les protagonistes. René Kaës nous parle d’un pacte inconscient qui unit l’aidant et l’aidé. Il l’a appelé : le pacte dénégatif. Il écrit (Kaës, R., 1989) 67 : « Un tel pacte soutient le lien par l’accord inconscient conclu entre ses sujets sur le refoulement, le déni ou le rejet des motions insoutenables motivées par le lien. ». Montrant combien cet accord inconscient, fait de liens affectifs, est un non-lien et donc paradoxalement un lien très fort, il affirmera que le pacte dénégatif est un « Pacte sur l’inconnu : la non-expérience, le non-lien »

Ce pacte prend appui, nous dit R. Kaës, sur ce que P. Aulagnier a décrit, au sein de la famille, comme étant le contrat narcissique. Ce contrat est celui que passent les parents avec l’enfant à naître. Ainsi chaque nouveau-né doit continuer la lignée familiale mais selon un modèle singulier qui lui est assigné par le contrat narcissique. P. Aulagnier (1975) 68  écrit : « Le contrat narcissique s’établit grâce au préinvestissement par l’ensemble de l’infans comme voix future qui prendra la place qu’on lui désigne : il dote par anticipation du rôle de sujet du groupe qu’il projette sur lui. (…) Dès lors le sujet pourra, sans jamais y réussir complètement, établir une identité entre possibilité de pérennité de l’ensemble et désir de pérennité de l’individu. »

Le pacte dénégatif est « le complément et la contre-face » du contrat narcissique précise R. Kaës. Ce pacte a donc pour objet de maintenir le lien entre les membres d’une famille mais il doit résister à l’usure du temps, à l’amplification des troubles du comportement, à l’intrusion des professionnels, ce qui, vous en conviendrez, peut être une gageure. Maintenir le lien alors que rien ne semble plus le tenir du côté de l’Alzheimérien, peut expliquer la démission de l’aidant naturel mais alors il va connaître les affres de la « dé-liaison ». Il est malheureusement de nombreuses situations où l’intervention des professionnels, alors qu’elle se veut aidante, va se solder par la mise en place de mécanismes de dé-liaison. Les professionnels créent alors beaucoup plus de souffrance que de soulagement puisque l’aidant ne peut, même a minima, accomplir sa tâche et l’Alzheimérien, lui, ne reçoit plus cette aide. Un tel résultat est souvent celui fâcheusement obtenu à l’issue d’un placement en institution où les gens avaient pourtant été accueillis avec beaucoup de bienveillance...

N’étant pas spécialiste en la matière nous arrêterons-là nos réflexions quant à la prédisposition d’un sujet à endosser le rôle d’aidant pour revenir à sa mission dans une lecture interactionnelle. Lire la mission de l’aidant comme une mission de régulation de crise et non plus comme une aide qu’une personne pense devoir apporter à un membre de sa famille, nous incline à nous interroger sur la notion de crise mais alors comme étant le fait d’un individu ou d’un groupe familial.

Notes
67.

Kaës, R., « Le pacte dénégatif dans les ensembles transubjectifs », 1989.

68.

Aulagnier, P., « La violence de l’interprétation », 1975.