L’aidant peut donc être lui aussi en train de traverser un moment de crise dans sa propre trajectoire de vie quand les troubles du comportement de son aîné viennent l’interpeller et que ses propres enfants connaissent les affres du questionnement existentialiste. E. Jaques écrit (1974) 71 : « Voir vieillir ses parents, voir ses enfants devenir adultes contribue beaucoup au sentiment de son propre vieillissement, - au sentiment que c’est maintenant son tour de vieillir et de mourir.».
Il n’est pas rare d’entendre les aidants naturels nous expliquer qu’ils ont eu à s’occuper de leur parent juste au moment où ils étaient enfin libérés d’autres tâches. Leur mise à la retraite, l’émancipation de leur dernier enfant, l’arrêt de leur rôle de « nounou » pour leurs petits-enfants, etc., toutes ces tâches sont parmi celles qu’ils occupaient avant de devoir prendre en charge leur parent. Parfois, ce n’est pas un enchaînement qui se joue mais un choix cornélien auquel ils sont confrontés. Ils doivent choisir entre s’occuper de leur parent ou accomplir une autre des tâches que nous venons d’énoncer.
Comment choisir entre deux tâches familiales dont l’une engage l’avenir et l’autre le respect de ce que nous sommes ?
En regard de ces explications, nous sommes légitimement, nous semble-t-il, en droit de nous dire qu’il n’y a effectivement pas de crise familiale mais des concours de circonstances qui permettent de croire en l’existence de cette dernière. Cette concaténation des crises de différents membres d’un même système familial peut soit donner l’impression d’une cause majeure induisant la crise familiale devenue alors réalité, soit donner l’impression d’un fonctionnement chaotique explicatif de la crise familiale devenue alors aussi réalité. Or, dès que nous énonçons les choses sous la forme d’une crise familiale, le piège de la logique aristotélicienne s’ouvre à nouveau nous invitant à trouver une cause primum novens. Nous nous sentons alors dans l’obligation de trouver la cause responsable de la crise familiale, effet que nous observons car c’est à ce prix que les choses deviennent acceptables, à défaut d’être compréhensibles.
Jaques, E, « Mort et crise du milieu de la vie », 1974.