Une autre définition de la crise a été donnée par les théoriciens de la logique de la communication. Le mot crise a alors été utilisé pour définir un moment précis qui permet ou non l’expression d’un impossible message d’un individu dans un contexte. Ne pouvant dire ce qui la préoccupe et martyrise, la personne exprime, dans un événement clastique ou dramatique son tourment.
L’étymologie nous apprend que le terme de crise, emprunté au latin impérial crisis provient du grec krisis qui signifie : décision, jugement. Nous pensons que l’étymologie nous ramène au point nodal des fonctionnements sur le mode de la crise des familles qui nous intéressent.
Tant que les troubles du comportement de l’Alzheimérien sont gérables par des ajustements de la part de l’entourage, que la théorie des systèmes qualifie de rétroactions négatives, nous pouvons dire qu’en fait il ne se passe rien. Les personnes font mille et une petites choses pour permettre à la personne âgée de rester un « ancêtre suffisamment bon » (Myslinski, M., 1997) 73 . En revanche, quand l’ensemble des actions menées pour permettre le maintien de l’équilibre du système familial élargi de la personne âgée dans son environnement n’est plus suffisant, alors un questionnement s’ouvre pour les membres de la famille. Celui-ci, toujours d’une grande complexité, pose la question du maintien ou non à domicile de la personne âgée et sous quelles conditions. Le moment où le nécessaire choix que doivent faire les membres de la famille s’impose devient un événement. Il n’est d’ailleurs pas rare que cet événement prenne la forme d’une hospitalisation. Elle est médicalement justifiée au titre d’une impossibilité de maintien à domicile ou d’une altération subite de l’état général de la personne âgée !
Le choix que font les membres de la famille se fait avec ou sans la personne âgée, en fonction de la perception qu’ont ceux-ci des troubles cognitifs de la personne âgée. Alors que notre expérience hospitalière nous a appris que la décision peut se prendre entre deux portes nous pensons qu’elle devrait toujours faire l’objet d’une réflexion menée le plus sereinement possible. Généralement les différentes personnes qui constituent l’entourage de la personne âgée ne partagent pas le même point de vue et la même opinion quant au devenir de leur aîné.
Il semble donc bien que c’est la question du choix à faire qui induit la crise que vont vivre alors plus ou moins ensemble les membres de la famille. Cette déstabilisation quant aux certitudes des uns et des autres peut alors conduire ceux-ci à s’exprimer anarchiquement ou nourrir des escalades symétriques pour faire prévaloir leur point de vue. À ce moment-là, le choix s’impose aux membres du système de la personne âgée et c’est souvent le choix de cette dernière qui est le moins écouté…
Le terme de crise sert donc à définir trois réalités différentes qui ne sont pas du même niveau logique et nous tenterons de voir en quoi ces facettes de la crise sont plus ou moins présentes en fonction des trois moments de crise que nous nous sommes proposé d’interroger au cours de ce travail.
Enfin et pour ne pas oublier de sens à ce terme nous signalerons qu’il sert aussi à désigner un manque sur une grande échelle, on parle par exemple de crise du logement et nous venons de vivre la crise des banlieues en octobre 2005.
Myslinski, M., « Souffrance et épuisement psychique des familles », 1997.