6.2.2.7. L’aidant fait-il passer sa santé au second plan ?

30.90 % des aidants que nous avons interrogés disent faire passer leur santé au second plan.

Si certains aidants continuent de se soigner en demandant à leur entourage de subvenir aux besoins et à la surveillance de l’Alzheimérien pendant qu’ils sont en soins et/ou durant le temps d’une convalescence, d’autres n’imaginent pas cela possible. Ces derniers réfutent toutes les propositions d’aide qui leurs sont faites leur permettant de bénéficier des soins dont ils ont besoin. Ils invoquent moult alibis justifiant l’impossibilité qui est la leur de confier la personne âgée à un tiers, ne serait-ce que pour quelques jours.

En refusant de laisser à une autre personne la garde de leur parent, les aidants témoignent alors de la relation étroite qui les lie et de la morbidité de tels liens que nous qualifierons plus d’autistiques, dans le sens d’exclusifs, que de fusionnels.

À ce sujet, les travaux de G.W. Brown et T. Harris (1978) 92 ont montré l’existence d’un risque dépressif net pour un individu soumis à un stress important avec un partenaire auquel il n’a pas la possibilité de se confier. Et, s’ils ne sont pas dans une telle configuration au début de la maladie, les aidants la connaîtront forcément au cours de celle-ci. Notre expérience nous a appris que la propension dépressogène de ce type d’interactions fait toujours son œuvre.

De plus, comme l’a écrit J.C. Coyne (1976) 93 , il se met alors en place un processus interactif pathologique entre le dépressif et son entourage qui a pour effet de maintenir le trouble dépressif. Il précise que le dépressif, éprouvant le besoin de reconnaissance et de support social, exprime sa détresse et ses demandes de telle manière qu’il suscite généralement des réponses teintées de rejet. Le rejet de l’entourage est d’ailleurs rarement formulé dans le discours des autres membres de l’entourage de l’aidant. En revanche, les messages analogiques qui lui sont adressés sont des plus clairs et ceux-ci ont pour effet de maintenir l’aidant dans la dépression. Les réponses souvent obtenues par les aidants quand ils demandent un relais auprès d’un autre membre de leur famille témoignent de ce processus interactif. La personne sollicitée ne dit pas non mais un empêchement de dernière minute interdit l’aide promise. Ainsi, au bout du compte l’aidant se retrouve seul ce qui l’enferme un peu plus chaque jour dans sa relation exclusive avec l’Alzheimérien.

Ne pouvant donc pas confier facilement les soins ou la surveillance de son parent à quelqu’un d’autre au niveau de son entourage familial, avoir des disponibilités pour s’occuper de sa propre santé devient une gageure. Trouver un relais auprès des professionnels n’est guère plus aisé et, bien souvent, face à la dégradation de l’état de santé de l’aidant, c’est une hospitalisation qui va être agie. Cette dernière peut alors, comme nous l’avons déjà dit, être l’occasion de chambardements et se solder par l’entrée en institution de la personne âgée dès sa sortie de l’hôpital.

L’analyse statistique accorde un poids important à cet item (annexe 7) et cette fois encore, dans ce travail, logique humaine et logique statistique se rejoignent.

Notes
92.

Brown, G.W., et Harris, T. : « Social origins of depression : a study of psychiatric disorder in women », 1978.

93.

Coyne, J.C., : « Toward an interactional description of depression », 1976.