7.1.1. Les systèmes familiaux tirés à l’écart de l’équilibre.

Le point commun à l’ensemble des systèmes familiaux est d’être soumis en permanence à des influences et à des événements qui les tirent à l’écart de leur équilibre homéostatique. Sous l’effet de leur capacité d’adaptation et d’aménagement, que nous appelons rétroactions négatives, ils retrouvent habituellement leur équilibre antérieur.

Le premier groupe de familles, formé par le cluster 1, a donc pour caractéristique principale de regrouper des familles que nous qualifierons de « normales ». En effet, les membres de ces familles n’ont pas encore ressenti l’impact de la maladie d'Alzheimer. Les systèmes familiaux continuent de fonctionner selon les règles et les patterns relationnels habituels. Même si les troubles de la mémoire et du comportement de la personne âgée sont connus, la maladie n’est pas reconnue. Cela ne veut pas dire pour autant qu’aucun processus d’aide n’est en place. Dans ce groupe de famille, l’aide informelle est généralement déjà à l’œuvre mais comme elle produit les effets attendus, la maladie d'Alzheimer n’existe pas. Autrement dit, malgré les difficultés de la personne âgée, la vie se déroule normalement car l’aidant informel pallie les erreurs. Bien souvent, ce dernier ne prendra conscience de son rôle d’aidant informel qu’au moment où la première crise éclatera.

Il nous semble bien difficile pour ne pas dire impossible de déterminer le moment où cette aide se met en place. Comme nous l’avons vu au chapitre 3.1.3., la famille est un lieu de solidarité et nous avons rencontré, pour cette étude, de nombreux enfants ou conjoints qui nous ont dit avoir toujours aidé leur parent ou compagnon. Nous tenons à préciser que ce phénomène n’est pas lié à cette étude et que recevons régulièrement dans notre exercice professionnel des accompagnants qui sont déjà des aidants informels. Ainsi, quand l’aide au sein d’un couple ou d’une famille préexiste à l’avènement de la maladie d'Alzheimer, la mise en œuvre d’une aide informelle n’est pas nécessaire puisqu’elle est déjà en place. Dans ce cas, c’est l’augmentation des contraintes qu’elle entraîne qui va déboucher sur la première crise, à partir d’un incident toujours banal mais qui va alors prendre des proportions considérables. Quand l’aidant informel doit apporter une aide plus importante qu’à l’accoutumée, il va alors chercher des explications à son surmenage ce qui peut parfois faire naître chez lui un sentiment de persécution ou se solder par un certain nombre d’actions inhabituelles.

Préexistante ou non, ce n’est qu’au moment où l’aide informelle atteint ses limites que les membres du système familial vont ressentir le besoin, la nécessité, d’un changement. Ce ressenti n’est d’ailleurs pas synonyme de prise de conscience de la part des membres du système familial et il se solde souvent par une demande formulée sur le modèle du « plus de la même chose ». Ce n’est donc qu’au moment où se joue un phénomène d’amplification que le système, tiré à l’écart de son équilibre homéostatique, va connaître sa première crise et celle-ci débouchera sur une mutation du système. C’est l’amplification d’un élément aléatoire qui permet la rupture de l’équilibre.

Cette mise à l’écart de l’équilibre des systèmes familiaux, qui va déboucher sur une crise et non sur un retour à l’équilibre, nous semble apparaître de façon privilégiée dans trois contextes que sont : la non réalisation des tâches habituelles, la survenue d’un incident, la prise de conscience de l’importance de l’aide apportée. Nous allons aussi voir que chacun de ces contextes met en jeu de nombreux événements aléatoires permettant justement ce phénomène de mutation.