7.1.1.2. La survenue d’un incident.

Notre expérience clinique nous a appris que les aidants informels savent assez précisément déterminer le moment où ils ont commencé à apporter effectivement leur aide pour pallier les défaillances de leur aîné. Les personnes qui accompagnent la personne âgée, qu’elles soient ou non les aidants directs, désignent presque toujours un événement précis à partir duquel ils ont commencé à apporter leur aide. Quand la réponse n’est pas depuis toujours, ils décrivent bien aussi comment, à partir de ce moment-là, ils ont commencé à surveiller les agissements de la personne âgée et gommer les erreurs tout en les banalisant. À partir de ce moment-là, deux attitudes principales se dégagent. Certains aidants commencent à s’interroger quant à l’intégrité du fonctionnement mental de leur parent. Les autres trouvent une cause suffisamment bonne pour justifier les erreurs de la personne âgée et ne pas se poser la question d’un affaiblissement cognitif.

Quand l’événement se situe sur un registre traumatisant, le lien causal linéaire se noue et ce en toute évidence. Le plus classique étant le décès du conjoint. Les troubles de la personne âgée sont alors invariablement attribués au phénomène de deuil donc par voie de conséquence excusés et palliés. La persistance et l’aggravation des troubles sont justifiées par l’importance du traumatisme psychologique subi et cela semble une évidence. En fait, dans ces situations, le conjoint gommait les erreurs de l’Alzheimérien et son travail de gommage étant brusquement interrompu les troubles de la personne âgée s’expriment et se révèlent avec plus de violence. Ils s’imposent à l’entourage de la personne âgée dans toute leur importance.

La question du lien entre trauma psychologique et maladie d'Alzheimer a fait l’objet de plusieurs colloques. Si la notion d’une origine traumatique au processus neurodégénératif qui se déroule dans l’encéphale de l’Alzheimérien est aujourd’hui abandonnée par les neurologues, l’éventualité de la découverte de nouveaux éléments, tels que la preuve d’une souffrance neuronale suffisamment importante pour causer leur destruction lors des traumatismes psychiques majeurs, viendrait relancer cette hypothèse. N’étant pas assez féru de neurophysiologie nous ne poursuivrons pas plus avant ce débat mais conclure aujourd’hui à l’absence de lien entre trauma et maladie d'Alzheimer nous semble prématuré en l’état actuel de nos connaissances en neurobiochimie.

En revanche, les travaux de M. Myslinski (1996) 97 établissant un possible lien entre trauma affectif précoce ayant laissé une trace dans la psyché du sujet et trauma récent nous semblent toujours d’une grande pertinence quant à la compréhension qu’ils permettent de l’angoisse d’abandon que vivent et expriment beaucoup d’Alzheimériens.

Un autre type de traumatisme important vécu par la personne âgée faisant souvent le lit d’une explication causale est celui de l’intervention chirurgicale. Quand, au cours des jours qui suivent l’opération, le choc anesthésique entraîne un état confusionnel aigu chez la personne âgée, il devient alors la cause de l’ensemble des troubles de celle-ci. Toutefois, quand nous interrogeons plus avant les aidants, ils reconnaissent qu’un certain nombre de troubles étaient préexistants mais qu’ils ont été majorés, d’après eux, par l’anesthésie et de façon très importante.

Dans ces contextes, comme dans le cas de la conduite automobile, nous voyons bien que ce n’est pas l’événement qui introduit la crise mais c’est la prise en compte et l’amplification d’un élément aléatoire qui entraîne la survenue de la première crise et ce phénomène d’amplification peut prendre des semaines ou des mois.

Tout comme pour la non réalisation des tâches habituelles, les incidents tels que décès de proches, maladies invalidantes et autres à coups douloureux sont de nombreux éléments aléatoires toujours présents dans la vie d’une personne âgée.

Notes
97.

Myslinski, M., « La démence : échec-réussite de “l’abandon pour s’en remettre.” », 1996.