7.1.2.3. Souffrance et tournant dans la trajectoire familiale.

La désignation de l’aidant naturel qui est le résultat de la première crise (cf. 7.2.2.) marque un tournant existentiel pour un certain nombre de membres de la famille et celui-ci est générateur de souffrance. La partie visible de ce tournant se matérialise par la présence de l’aidant auprès de la personne âgée. Ce tournant peut donc effectivement être lié à la modification matérielle de l’environnement de la personne âgée mais celle-ci ne nous semble pas suffisante à expliquer la souffrance des protagonistes.

En revanche, le risque de discontinuité de la transmission familiale qui est mis au premier plan par la maladie d'Alzheimer est un facteur nettement plus générateur de souffrance pour les aidants. En effet, avec l’augmentation des troubles cognitifs, les souvenirs de la personne âgée s’estompent et la prosopagnosie s’installe. Ces deux phénomènes sont une attaque directe au lien d’appartenance familiale que l’aidant naturel a pour mission de maintenir. Ainsi, comment ne pas être en souffrance quand on n’est plus reconnu par celui qu’on accompagne et que l’on est critiqué par les autres membres de sa famille ?

Enfin et en dernier lieu, être un aidant naturel n’est pas forcément une identité que l’on endosse facilement même si cela permet parfois de regagner un rôle social qu’une mise à la retraite avait fait perdre. Et, quand en l’endossant, l’aidant a retrouvé une identité et des bénéfices secondaires, voir se profiler une nouvelle crise identitaire avec le spectre de la mort de l’Alzheimérien qui se profile un peu plus chaque jour n’est pas non plus chose aisée.

Nous ne développerons pas ces notions mais le lien entre souffrance et crise identitaire nous semble plus qu’une évidence au sein de ce groupe de familles. D’ailleurs, lors de notre enquête et à notre grand étonnement, certains aidants se sont effondrés en larme ou nous ont fait état de leur souffrance à être cet aidant. Nous savons maintenant que le modèle les a classés dans ce groupe et ce quel que soit le score au MMSE de leur parent ou la durée d’évolution de la maladie d'Alzheimer.