Le dernier groupe est constitué de familles qui ont fait un choix à leurs yeux et souvent irréversible tel que le placement en maison de retraite. Tous les aidants que nous avons rencontrés dans le cadre de cette étude mais aussi ceux que nous rencontrons dans le cadre de notre exercice professionnel nous disent combien, si la solution choisie est effectivement la seule possible en regard des troubles de la personne âgée et de leur situation, il n’en demeure pas moins qu’elle leur apparaît toujours comme étant insatisfaisante.
Ainsi, pour l’ensemble du système familial, la solution trouvée est une bonne solution qui ne convient pas ou peu à l’aidant naturel. Si la solution choisie permet effectivement d’apporter l’aide et l’accompagnement dont a besoin la personne âgée, elle ne le réalise pas dans des conditions qui satisfont l’aidant principal. En ce sens ce sont donc de mauvaises solutions.
Nous pensions, avant de réaliser notre enquête, que les personnes âgées souffrant d’une maladie d’Alzheimer sévère et résidant en maison de retraite se retrouveraient toutes dans ce groupe de familles voire en constitueraient le noyau. Or, ce n’est pas ce que retrouve l’analyse statistique et ce de façon fort logique. En effet, il y a des systèmes familiaux dont la personne âgée est en maison de retraite et que notre modèle classe dans le groupe 2. Quand nous analysons les réponses fournies par les aidants, nous nous apercevons que la maison de retraite n’apporte pas une vraie réponse à leur système familial. Et, de plus, le fait que la personne âgée soit placée en institution concourt à leur souffrance. Les membres de la famille sont taraudés par deux sentiments. D’une part, ils ont l’impression que depuis que leur aîné est en maison de retraite, il se dégrade très vite. D’autre part, ils ne voient pas comment faire autrement. Ils se sentent donc impuissants et assistent au naufrage rapide de leur parent, ce qui est forcément générateur de souffrance. Ils ne souffrent pas par la faute de l’autre mais bien parce que les actions qu’ils font subir à l’Alzheimérien à cause de cet autre sont injustes. Cet autre peut être celui qui a ordonné le placement mais aussi la maladie d'Alzheimer, elle-même ou une affection dont souffre l’aidant et qui lui interdit de poursuivre sa mission (Gergen, K., 2001) 99 .
Ainsi, que les familles aient opté pour une maison de retraite ou pour un maintien à domicile pérenne, elles constituent indifféremment ce groupe et c’est leur positionnement face à la souffrance qui les différencie des deux autres groupes de familles. Une fois encore, ce n’est pas la solution pragmatique qui importe mais la qualité des interactions et des affects qu’elle permet. Les règles relationnelles qui régissent ces systèmes familiaux traduisent toujours l’absence d’espoir, ce qui n’est pas forcément générateur de souffrance, au contraire bien souvent.
Nous avons effectivement rencontré des familles à domicile et d’autres en institution qui constituent ce groupe et tous les aidants nous ont dit que s’ils comprenaient bien que la situation, qu’ils vivaient, était la seule possible, elle n’en demeurait pas moins inacceptable. Mais, à l’inverse des aidants du groupe 2, ils nous ont aussi dit cela avec beaucoup de fatalisme et une résignation certaine, généralement exprimée sur le mode des communications analogiques.
Nous avons aussi ressenti lors des entretiens avec ces familles combien la remise en cause de leur choix était un élément qui représentait une menace directe de réouverture d’une nouvelle crise de leur système familial. Or, l’idée de vivre une nouvelle crise était une perspective qui apparaissait aux aidants comme étant pire qu’un quotidien insatisfaisant.
Nous avons aussi rencontré des aidants pour lesquels la mauvaise bonne solution qu’ils avaient vécue comme telle au départ s’avérait aujourd’hui être une bonne solution sans que cela enlève quoi que ce soit à l’inacceptable de la maladie d'Alzheimer.
Gergen, K., « Le constructionisme social », 2001.