L’école de Palo Alto et plus particulièrement P. Watzlawick (1988) 100 a démontré comment les personnes, aux prises avec un problème, commencent généralement par élaborer des tentatives de solutions qui ne font que renforcer le problème. Ainsi, elles ne font que répéter ce qui ne marche pas mais elles peuvent avoir l’illusion du changement quand le « plus de la même chose » permet de temporiser le jeu relationnel. L’exemple le plus classique est l’augmentation de quelques heures de présence des auxiliaires de vie, au cours de la journée, en réponse à la plainte d’un aidant naturel qui ne peut plus dormir la nuit à cause de l’inversion du rythme nycthéméral de l’Alzheimérien… Le paradoxe d’une telle réponse ne heurte personne au moment où elle s’élabore. Un autre exemple est celui des trésors de stratégies dont font preuve certains aidants naturels ou professionnels pour faire cesser une activité déambulatoire.
Dans une lecture systémique, la crise est considérée comme étant le marqueur du fonctionnement d’un système, quand il est tiré à l’écart de son niveau d’équilibre sous l’effet de forces entropiques. Or, tel est bien le cas avec le problème des troubles du comportement de la personne âgée. Ce n’est pas la maladie d'Alzheimer qui provoque les dysfonctionnements familiaux mais ce sont l’apparition puis l’augmentation des troubles du comportement de la personne âgée qui vont entraîner des moments de crise pour la famille. Chaque trouble du comportement étant potentiellement en soi un possible événement adjacent permettant un phénomène d’amplification. Tant que les « ratés » de la personne âgée sont corrigeables ou rattrapables, l’ensemble des membres de la famille se comporte comme s’il n’y avait pas de problème et ce donc même quand la maladie est connue depuis plusieurs mois voire années. Les périodes de tumulte qui auraient dû déboucher sur une crise se soldent alors par un retour à l’état d’équilibre antérieur. Mais, comme rien n’a changé, une nouvelle situation critique ne pourra que s’ouvrir et ainsi nous rencontrons des familles dont le mode de fonctionnement « normal » est vivre en situation critique de façon permanente.
Comme nous l’avons évoqué théoriquement (cf. 4.5.4.) et comme nous venons de le dire, les dysfonctionnements familiaux se soldent souvent par un retour à l’état d’équilibre mais nous pouvons aussi assister à une mutation du système familial. Or, l’analyse des trois groupes de familles que nous venons de faire, nous montre que ceux-ci sont clairement distinguables par leur fonctionnement. Nous pouvons donc avancer l’hypothèse que leur répartition se fait autour de deux crises de type mutation. Ce sont justement ces deux périodes et les enjeux de celles-ci que nous allons tenter de définir. En effet, chaque groupe de famille est nettement distinct non pas au niveau des solutions pragmatiques mises en œuvre mais au niveau des règles intrafamiliales qui régissent les interactions entre les membres du système familial.
En nous référant au croquis que nous avons réalisé au chapitre 4 pour illustrer le concept d’homéostasie, nous pouvons maintenant représenter l’impact familial de la maladie d'Alzheimer au sein des familles selon le schéma ci-dessous.
Ce schéma montre bien comment, par un phénomène de mutation, les systèmes familiaux passent d’un niveau à un autre et combien chacun de ces niveaux est construit autour d’une règle princeps et d’un ensemble de règles secondaires qui permettent un fonctionnement familial homéostatique.
Le niveau 1 est donc ni meilleur ni pire que les deux autres et inversement. Chaque niveau est une étape, plus ou moins longue de l’impact de la maladie d'Alzheimer.
Nous signalerons d’ailleurs que certains systèmes familiaux ne connaissent pas l’étape 2 et que la première et la seconde crise ne font qu’une seule et même crise. Les systèmes familiaux passent alors directement de la phase « tirés à l’écart de l’équilibre » à celle des mauvaises bonnes solutions.
Watzlawick, P., « Comment réussir à échouer : trouver l’ultrasolution », 1988.