7.3. Maladie d'Alzheimer et trajectoire de vie.

Si le modèle que nous venons de présenter définit effectivement trois groupes de famille répartis autour de deux moments de crise, il nous semble important de préciser que celui-ci décrit une trajectoire de vie familiale et non ce qui pourrait être perçu comme une norme face à la maladie d’Alzheimer. D’ailleurs nous pensons que toutes les familles que nous avons rencontrées et celles que nous rencontrons quotidiennement sont « normales ». Les membres de celles-ci tentent simplement d’adopter les comportements qui leurs semblent les plus adaptatifs face aux troubles du comportement de l’Alzheimérien. Si l’analyse nous a effectivement permis de distinguer trois groupes, il nous semble primordial de penser l’appartenance d’une famille à un groupe simplement comme une aide pour le clinicien. En ce sens, notre démarche se distingue nettement de celle de D. Olson et al (1979) 102 , par exemple, et qui a abouti à la construction du modèle « circumplex ».

Le Circumplex model a pour objectif d’évaluer, à partir de deux axes, le fonctionnement relationnel d’un système familial et de déterminer ce qui serait un système familial en bonne « santé ». Les deux axes choisis pour apprécier la qualité relationnelle par cet auteur sont la cohésion et l’adaptabilité. La cohésion est définie à partir des « liens émotionnels que chaque membre de la famille développe à l’égard des autres ». L’adaptabilité est « l’habileté du système conjugal ou familial à changer sa structure de pouvoir, les rôles dans les relations et les règles dans ces relations en réponse à une situation ou une évolution stressante ».

Une telle représentation permet de définir trois zones suivant le caractère équilibré, moyen ou extrême du système familial. Le modèle d’Olson est conçu de telle façon que pour les deux dimensions la « santé » de la famille se retrouve dans les valeurs médianes des deux axes, à savoir le séparé-relié pour la cohésion et le structuré-flexible pour l’adaptabilité.

D. Olson et coll. ont pensé ce modèle comme un outil permettant d’appréhender la « qualité » du fonctionnement familial à l’inverse de notre modélisation qui décrit une trajectoire de l’histoire vie d’une famille au sein de laquelle la maladie d'Alzheimer a entraîné des perturbations. Néanmoins, en regard du modèle de D. Olson, il pourrait être intéressant de chercher à appréhender si la maladie d'Alzheimer entraîne un changement des patterns relationnels familiaux en terme de cohésion ou d’adaptabilité et nous pensons poursuivre un travail de recherche dans cette direction.

Le modèle de D. Olson a été représenté par de la façon suivante :

Le modèle de D. Olson
Le modèle de D. Olson

Si l’avantage d’un tel système de classification est d’éviter une catégorisation strictement linéaire, il présente néanmoins l’écueil d’être encore beaucoup trop normatif à nos yeux.

Les deux axes donnent l’impression, et D. Olson l’a évoqué, que le glissement d’un extrême à l’autre ne peut se faire qu’au prix d’un transit par les espaces intermédiaires, décrits comme normaux et représentatifs d’une famille en bonne « santé » et nous ne sommes pas persuadés, loin s’en faut, que ce soit le cas quand la maladie d'Alzheimer émerge au sein d’un système familial.

Il avance ainsi une hypothèse de curvilinéarité selon laquelle les deux types de familles équilibrés, se situant dans la zone médiane, sont plus fonctionnels que les types extrêmes. Cette hypothèse a reçu seulement une confirmation empirique et nous noterons que C., Reynaert et al. (1993) 103 considèrent que les normes obtenues sur une population Américaine ne sont pas valables pour les Européens car cotant moins sur l’échelle de cohésion. De plus nous pensons que vouloir définir ce que serait une famille « saine » est un travers toujours très dangereux même quand cela s’inscrit dans une fourchette.

Notre modèle indique une trajectoire de vie et non une valeur de normalité ou de pathologique des systèmes familiaux qui ont affaire avec la maladie d'Alzheimer.

Le développement que nous espérons pouvoir donner au test de ressenti des aidants s’inscrit dans une attitude éthique de non jugement et de non classification de l’autre. Nous respectons et comprenons la démarche intellectuelle des chercheurs et des cliniciens qui tentent de définir la réalité relationnelle de façon topographique mais celles-ci sont peu compatibles avec notre positionnement éthique. Nous pensons que l’outil test que nous essayerons de finaliser peut être une aide pour le clinicien mais le score obtenu par un aidant est, en aucun cas, une référence.

Notes
102.

Olson, D., et al, « circumplex model of marital et family systems :I », 1979

103.

Reynaert, Ch., « Je, nous, vous et les autres. », 1993