7.4.1. Le concept de parentification.

Dès 1958, le concept de parentification a occupé une place centrale dans les travaux du psychanalyste et thérapeute familial I., Boszormenyi-Nagy. Dans son ouvrage « Intensive Family Therapy. » (1965) 104 il modélise ce concept pour y consacrer un chapitre entier dans son second livre écrit en 1973 105 . Aujourd’hui, nous désignons par parentification, dans une acception beaucoup trop large à notre sens de ce terme, un processus par lequel l’enfant devient parent de son propre parent. Si ce processus a été décrit par Boszormenyi-Nagy chez de jeunes enfants, les mécanismes en jeu ne sont que très rarement les mêmes quand la parentification se joue alors que les enfants sont eux aussi parents voire grands-parents.

L’erreur est de croire que le processus de parentification est une simple inversion des rôles qui serait rendue nécessaire par le déclin de l’aîné. Avant d’aller plus loin, il nous semble important de revenir sur la définition de ce concept. Dans son ouvrage consacré à ce thème, J.F., Le Goff, (1999) 106 précise : « D’un point de vue éthique, la parentification n’est pas principalement un problème de frontière entre les générations, entre les adultes et les enfants, c’est l’exploitation de l’enfant qui se trouve dans l’obligation de donner sans recevoir de reconnaissance de ses parents et finit par se trouver dans une position d’adulte par rapport à leurs demandes régressives et répétées. ».

Il ne faut donc pas confondre les expériences de parentification qui font partie des expériences normales et nécessaires à l’éducation d’un enfant et la parentification pathologique.

Quand un jeune enfant accomplit une tâche à la demande de ses parents qui n’est pas de son ressort mais qui lui est confiée par ceux-ci, s’il reçoit, en retour de l’aide qu’il fournit, la reconnaissance de ses parents, il vit une expérience de maturation. Il s’agit de petites tâches confiées de façon ponctuelle telles qu’aller faire une course au supermarché voisin.

En revanche, quand un enfant assume régulièrement l’approvisionnement de la famille et qu’il n’en reçoit aucune reconnaissance si ce n’est avoir l’impression d’être indispensable au bon fonctionnement de sa famille alors il se trouve dans une situation de parentification.

Ce n’est donc pas le fait de décider pour son parent qui fait la parentification mais le fait d’agir en lieu et place de son parent et de ne pas en tirer de reconnaissance. Or, cela est très rarement le cas en gérontologie.

Si l’Alzheimérien ne reconnaît généralement pas la nécessité de l’aide qui lui est apportée, l’aidant n’agit pas à sa place mais il lui apporte son concours pour la réalisation de tâche que l’Alzheimérien ne prévoit plus ou ne réalise plus correctement, comme la confection des repas, et qui sont pourtant indispensable à sa survie.

De plus, comme l’a toujours affirmé I., Boszormenyi-Nagy, la parentification s’accompagne toujours d’un processus de légitimité destructrice. Elle inscrit l’enfant-adulte dans une situation traumatique car sa légitimité pour la réalisation des tâches qu’il accomplit ne lui est pas reconnue.

Si nous savons qu’il est des situations où une parentification réelle se joue pour les aidants, cela n’est heureusement pas la situation la plus fréquente. Quand les aidants agissent dans l’espoir d’être enfin reconnus comme « bon » enfant, ils n’attendent pas une possible gratification parentale mais ils sont pour alors dans une véritable quête identitaire. Dans ces cas-là, l’œuvre destructrice de la parentification s’opère quand la personne âgée n’est plus car pour alors l’aidant n’a plus rien à faire et le sentiment de vide qu’il éprouve alors s’accompagne souvent de celui de plus rien être et de pas avoir réussi à être reconnu tel qu’il le voulait…

Notes
104.

Boszormenyi-Nagy, I., « Intensive Family Therapy », 1965.

105.

Boszormenyi-Nagy, I., « Invisible loyalties », 1975.

106.

Le Goff, J.-F., « L’enfant parent de ses parents », 1999.