7.4.3. Le constat de l’enquête.

Lors de la réalisation de notre enquête, nous avons demandé aux aidants que nous avons rencontrés s’ils avaient l’impression d’être le parent de leur parent, c’est-à-dire de prendre les décisions et de veiller sur leur parent comme un père ou une mère sur ses enfants ou s’ils pensaient simplement aider leur parents en fonction de leur demandes et besoins.

Nous avons croisé les réponses des aidants et le classement des dossiers dans les clusters et nous avons ainsi obtenu les tableaux suivants :

Répartition des aidants dans les clusters
Répartition des aidants dans les clusters

Nous constatons que, dans le cluster 1, il y a autant d’aidants qui se sentent être simplement des aidants que d’aidants qui se sentent responsables comme des parents envers un enfant.

Si nous constatons, dans le cluster 2, une forte progression de l’impression d’être parent chez les aidants, un tiers de ceux du cluster 3 pensent apporter simplement leur aide, et ce, alors que les personnes âgées de ce cluster présentent des maladies d'Alzheimer évoluées.

Les différences que nous observons entre les proportions sont significatives et le test de khi2 de Yates est de 6.784 avec un degré de liberté de 2 ce qui donne une probabilité comprise entre 95 et 97.5 % donc statistiquement valable.

Afin donc d’essayer de peaufiner notre analyse, nous avons réalisé deux tableaux en faisant la distinction entre les enfants aidants et les conjoints aidants. À ce niveau d’analyse, il n’a pas été possible de réaliser le test de khi2 car les effectifs sont trop faibles.

Répartition dans les clusters des aidants qui disent simplement aider
Répartition dans les clusters des aidants qui disent simplement aider
Répartition dans les clusters des aidants qui se disent parent
Répartition dans les clusters des aidants qui se disent parent

Cette distinction ne nous a pas permis de mettre en évidence une variation significative au sein de chaque cluster, si ce n’est que le cluster 3 regroupe nettement plus de conjoints. Cela s’explique par le fait que les conjoints sont nettement plus présents au sein des EHPAD que les enfants.

De façon générale environ 60% des enfants et des conjoints se vivent comme étant le parent de leur parent et si la répartition dans les clusters varie en chiffre absolue, elle est proportionnellement la même puisque nous n’avons pas le même nombre de famille dans les trois clusters.

Nous avons aussi fait une analyse en regardant la répartition des aidants que nous obtenons en nous référant au score au MMSE des malades. En procédant de la sorte, nous voulions vérifier l’hypothèse de l’existence d’un lien entre le sentiment d’être le parent du malade et la baisse de ces capacités cognitives.

Répartition des aidants en fonction du score au MMSE des malades
Répartition des aidants en fonction du score au MMSE des malades

Cette répartition nous permet de faire deux constats.

Quand la maladie est évoluée nous notons qu’il y a des aidants conjoints qui disent ne pas agir comme un parent alors que tous les enfants aidants se sentent comme un parent envers leur parent, ce qui semble plutôt normal en regard de l’ensemble des décisions qu’ils doivent prendre pour leur aîné.

De même, lorsque le score au MMSE est élevé, témoin d’une bonne conservation des capacités cognitives de la personne âgée, les conjoints et les enfants disent n’apporter qu’une aide.

Dans les deux autres groupes, nous retrouvons une répartition entre aidants qui varie de 33% à 50% environ.

Enfin, dans un dernier temps, nous avons réalisé une analyse statistique en nous servant de la même procédure que celle qui nous a permis de définir trois groupes de familles.

Pour réaliser l’analyse discriminante, nous avons choisi comme variable dépendante le changement de perception que l’aidant dit avoir de l’Alzheimérien et les 23 autres facteurs déjà retenus comme variables indépendantes. Nous avons ainsi obtenu une fonction linéaire très significative p = 0.01 et 88% des sujets étaient bien classés.

Les critères les plus pesants sont :

  1. Éprouvez-vous souvent un sentiment d’impuissance ?
  2. Vous sentez-vous tiraillé entre les soins à donner à votre parent et vos autres responsabilités familiales ou de travail ?
  3. Depuis quand votre parent a-t-il des troubles de la mémoire ?
  4. Vous arrive-t-il de vous sentir mal à l’aise de recevoir des amis à cause de votre parent ?
  5. Vous arrive-t-il de sentir que votre santé s’est détériorée à cause de votre implication auprès de votre parent ?
  6. Existe-t-il un lien conflictuel dans votre famille ?

À partir de ce modèle nous avons obtenu la répartition suivante :

Répartition des 58 dossiers dans les 3 clusters et les deux groupes de « changement de perception
Répartition des 58 dossiers dans les 3 clusters et les deux groupes de « changement de perception

Nous nous apercevons qu’un tiers des aidants se vivent comme le parent de leur parent alors que ceux-ci sont classés dans le cluster 1 et qu’inversement un tiers des aidants disent ne fournir qu’une aide à leurs parents alors que ceux-ci sont dans le cluster 3. Ces résultats sont similaires de ceux obtenus avec le premier classement.

Le fait de se sentir en responsabilité de son parent, comme un parent envers un enfant, semble donc sourdre chez les aidants à un moment qui n’est donc pas forcément en lien avec le niveau de souffrance du système familial ou le stade d’évolution de la maladie d'Alzheimer, sauf quand la maladie est très évoluée.

Ces résultats infirment notre hypothèse initiale qui établissait un lien entre seconde crise et parentification.

Avec la réflexion que nous a permis ce travail, les résultats que nous avons obtenus par rapport à un phénomène de parentification nous semblent logiques. En effet, d’une part, ce n’est que très rarement une parentification qui s’opère mais simplement une inversion de l’ordre générationnel. D’autre part, la variabilité de chaque situation familiale avant l’apparition de la maladie d'Alzheimer fait que chaque enfant ou conjoint ne se sent pas en devoir ou capable de protéger son aîné au même moment. La variabilité de la vulnérabilité des aidants joue certainement un très grand rôle dans ce processus.

En regard des résultats que nous avons obtenus, il nous semble difficile d’aller plus loin sur cette question de la position parentale ou de la parentification des aidants. Néanmoins, alors que nous terminons ce travail sur la question de l’impact de la maladie d'Alzheimer au niveau familial, l’intérêt de cette question nous semble mériter un travail à part entière tant son importance est évidente pour les cliniciens.