Je parle sans le savoir. Je parle avec mon corps,
et ceci sans le savoir. Je dis donc toujours plus que je n’en sais.
J. LACAN
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Le concept de contre-transfert a été introduit par S. FREUD en 1910, mais, auparavant, en 1895, il crée le terme de « transfert », lequel est pour lui une « modalité de fonctionnement de l’esprit qui implique la transposition de l’investissement libidinal d’une personne sur une autre (…) » 1 . Il désigne à la fois la relation de nature amoureuse dans laquelle le patient s’engage par rapport à l’analyste, mais aussi la transposition d’une relation ancienne sur la personne du médecin.
Le contre-transfert est donc « l’ensemble de réactions inconscientes de l’analyste au transfert de son patient, y compris les sentiments projetés en lui par celui-ci. (…). Nous nous trouvons dans une dynamique transféro-contre-transférentielle (…) Il s’agira alors pour l’analyste d’élaborer le vécu contre-transférentiel (…)» 2 .
A cette étape de notre travail, il me semble alors important, de vous parler de mon contre-transfert. Même si cette thèse ne constitue pas une relation analytique, éthiquement, il est nécessaire d’élaborer mon vécu de façon à faire le tri entre les projections des personnes que j’ai rencontrées et leurs objets internes afin d’en voir surgir la signification commune qui pourra servir de guide à la compréhension du psychisme des danseurs/danseuses classiques professionnels/elles.
Commençons alors, par quelques points de mon histoire vis-à-vis de et dans la danse :
Je fais de la danse depuis l’enfance et ne l’ai jamais laissée complètement, j’ai vécu moi-même tout le processus au moment de la réalisation de ce travail. C’est cette expérience de toute ma vie qui m’a incitée à m’intéresser à ce sujet, et cela m’a donc permis de m’identifier plusieurs fois aux propos des personnes que j’interrogeais.
Il y a eu aussi des occasions difficiles où j’ai failli répondre : « je suis d’accord avec vous » et même si je ne l’ai pas dit avec des mots, je l’ai suggéré avec mon corps en mouvement.
Il y a eu d’autres moments, pendant l’observation des cours où j’ai voulu dire au professeur : « ça suffit ! » ; parfois je ressentais de la torpeur, peut-être comme une forme d’accueil et ouverture aux pulsions de mort qu’ils ou elles dégagent ; à un certain moment un de mes bras (sans m’en rendre compte) se mettait dans la position « correcte » de l’exercice que les élèves étaient en train de faire ; mon image du corps était impliquée certes, mais surtout la partie symbolique, qui dans l’action se donnait à voir. Cette identification corporelle a peut-être eu un sens et ayant remarqué le mouvement de mon bras, le professeur Cédric, au cours de l’entretien m’a demandé : « Vous avez fait de la danse ? ».
Dit autrement, il y a eu un processus particulier de transmission psychique de ma part, sous le terme d’identification hystérique, bien qu’elle ne soit pas seulement imitation, mais l’effet du désir de l’autre, fait mien.
Le plus difficile a été quand je n’avais pas envie moi-même de bien manger ou que j’avais la sensation de vouloir vomir, après avoir fait des entretiens, ce qui me renvoyait encore à une problématique de mise en sens du/de mon corpset de ses/mes symptômes.
Même s’il y a toujours eu des temps d’arrêt ou des temps d’écriture et de réflexion, dans ce travail de recherche, j’ai pris le risque de m’exposer, je peux le relier à plusieurs événements personnels ; questionnement qui a été travaillé dans ma propre analyse en essayant de repérer la frontière entre mon vécu et celui de l’autre, ainsi que la pertinence de le généraliser ou pas dans une recherche scientifique. Ce qui est évident, c’est que je n’ai pu commencer à faire l’analyse de la clinique qu’après m’être dégagée de cette souffrance et de mettre en suspens ou d’admettre ma propre jouissance, ce qui m’a pris beaucoup de temps.
Je vais vous présenter maintenant, la relation « transféro-contre-transférentielle » avec les élèves et les professeur(e)s de deux institutions : le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse (C. N. S. M. D.) et l’Ecole Nationale de Danse Classique et Contemporaine (E. N. D. C. C.).
* NASIO, J.-D. Cinq leçons sur la théorie de Jacques Lacan. Ed. Petite Bibliothèque Payot. Paris, France, 2001. p.16.
DENIS, P. « Transfert ». in De MIJOLLA, A. direction. Dictionnaire International de la Psychanalyse. Ed. Calmann-Lévy. Paris, France, 2002. p.1744-1745.
GEISSMAN, C. « Contre-transfert » in De MIJOLLA, A. Op. Cit. p. 365-366.