1.2.- Féminin-masculin

Figure 34 : « L'Indifférent, de Watteau »
Figure 34 : « L'Indifférent, de Watteau »

Quand vous ferez le deux Un
et le dedans comme le dehors,
et le dehors comme le dedans,
et le haut comme le bas,
afin de faire le mâle et la femelle
en un seul
pour que le mâle ne se fasse pas mâle
et que la femelle ne se fasse pas femelle
quand vous ferez des yeux à la place d'un œil,
et une main à la place d'une main,
et un pied à la place d'un pied,
et une image à la place d'une image,
alors vous irez dans le Royaume.
Evangile selon Thomas (Login 22 * ).

Quand nous regardons le corps des athlètes ou des danseurs nous pouvons nous rendre compte qu’ils n’ont pas un « sexe » bien défini, et nous nous demandons pourquoi ?

Pourquoi cette question d’indifférence des sexes ? Se demande M. PERROT 1 , sans doute parce qu’on pense communément en termes de différence, comme si c’est une évidence. « Il y a deux sexes » : cela va de soi répond-il.

Mais ce n’est pas aussi sûr, lorsque nous essayons de nous interroger sur une activité artistique-sportive comme la danse classique professionnelle.

Nous commencerons donc, par étudier comment les notions de différence/indifférence des sexes émergent dans l’histoire.

C’est l’anthropologie qui, la première, s’intéressera à cette question, puis la sociologie et, plus tard, les sciences de l’homme qui travailleront le « masculin et le féminin » ; mais en général, il est à noter qu’un grand silence planait sur cette question avant que l’on ne s’autorise à parler « sexe », et « genre » sans doute pour mieux le développer par la suite dans différents domaines, où nous trouvons principalement, des auteurs français comme C. LEVI-STRAUSS, J. LACAN et M. FOUCAULT.

Surgit, alors, l’interrogation de la différence des sexes dans l’amour et la construction du sujet. Dans les années 70, il y a un mouvement des femmes qui naît pour rendre visible ce qui était caché et très vite J. LACAN dans son texte « Télévision » et dans « Autres écrits », déclare « LA femme n’existe pas », mais « UNE femme » ; parce que de plus on ne peut pas parler d’une seule femme, il y a une extrême diversité « de femmes » qui sont prises dans des rapports de tous ordres à l’autre sexe (savoir, pouvoir, séduction, violence, amour, domination, consentement, etc.)

« Le genre à savoir, une différence de sexes dont l’inscription dans le corps ne signifie pas insertion dans une introuvable nature, mais différence produite par le langage, par la culture et par l’histoire (…) L’historicité de la différence des sexes est l’hypothèse majeure et le fil rouge d’une recherche qui refuse tout essentialisme réducteur. Elle s’intéresse aux représentations aux pratiques, aux changements de configurations de la différence des sexes et à leurs agencements à travers le temps » 1 .

Diego, professeur de danse classique, au cours de la séance de photolangage a choisi la photo C2 et il nous dit : « Celle-ci ! Parce que j'aime ce qui est esthétique, la propreté, le style de la danse, le costume vaporeux qui donne une sensation de légèreté, avec sa posture elle semble professionnelle bien que peut-être elle ne le soit pas. Ils me donnent l'impression, des hommes, qui comme sont beaucoup d'enfants peut-être c’est une fille qui est déguisée, sont comme Japonais ou chinois. Elle représente la ligne de la danseuse classique ».

Figure 35 : photo
Figure 35 : photo C2 choisie parDiego, avec le photolangage.

Il est connu que la danse, et plus spécialement la danse classique, est une pratique du féminin, et que du fait du manque de garçons, souvent les filles se déguisent en garçons pour faire des couples.

J. LAPLANCHE propose la définition psychanalytique suivante pour le terme de genre : « C’est l’appartenance reconnue d’un individu humain à une des deux classes désignées comme masculine et féminine, (…) il s’agit surtout ici de la reconnaissance, par le sujet lui-même, c’est-à-dire de ce par quoi il passe « du genre assigné au genre assumé » 2 .

Quant à C. DEJOURS, il déclare : « Le genre n’est pas social, pendant que le sexe serait biologique ; le genre assumé serait plutôt un sang mêlé de social et de sexuel inconscient » 3

Nous remarquons qu’il y a un travail psychique imposé à l’enfant par l’assignation de genre, mais les difficultés ne sont pas seulement du côté de l’enfant mais aussi du côté des adultes avec une série de messages plein d’ambiguïté, qui doutent déjà de leur propre identité de genre. Qu’est-ce qu’être un homme ? Qu’est-ce qu’être une femme ? Et encore existe-t-il une différence sexuelle entre être danseur ou danseuse en danse classique ?

Si nous suivons M. FOUCAULT et J.-L. HALPERIN, entre autres, l’indifférence des sexes est possible, mais elle n’est pas primitive et ne peut résulter que d’une conquête, passant par des pratiques spécifiques de plaisir qui sont destinées à désubjectiver et à déstructurer les identités.

La différence entre sexe et genre a, pendant quelques temps servi à délimiter nature et culture, et la phrase de S. De BEAUVOIR : « On ne naît pas femme on le devient », est centrale ; le sexe devient « constructible » jusqu’à dire que parler de différences de sexes devient réactionnaire et M. FOUCAULT incite à une revendication du sexe indéterminé.

Dans la danse classique professionnelle, c’est cette ambiguïté du sexe qui règne pour que la virtuosité puisse émerger. Les corps avec moins de graisse, seront plus faciles à modeler : le danseur développe sa féminité, sa légèreté, sa grâce et la danseuse sa masculinité, ses muscles, sa force.

S’agit-il à l’instar de C. CARRIER d’énoncer que « pour les femmes, cette recherche (de performance) entraînerait un évitement, voir une phobie un déni de tout ce qui est de l’ordre du féminin » 1  ?

Comme résultat, il y aura un corps danseur, ou athlète, qui ne sera ni masculin ni féminin, mais érigé dans la dimension phallique de l’excellence musculaire et motrice qui sera capable de réaliser des performances. C’est ainsi que nous pouvons regarder comme exemple « L'Indifférent » de Watteau . Un danseur qui ne cache pas sa féminité, ce qui serait pour le corps de la jeune fille, la familiarisation « avec l’expression agressive de la violence, des affects et des émotions » 2 .

Dans cet exercice d’un musculaire phallique, la danseuse risquerait ainsi de rencontrer des difficultés dans la construction de son identité sexuelle féminine. Le corps dans le développement moteur qu’il engage ne répond pas d’un exercice physique sexuel. Cependant, les aspects spectaculaires dans la danse comme dans le sport, font de ces images * l’écran des représentations sexuées du corps. Les jeunes femmes (élèves), se retrouvent dans une dialectique particulière entre image virile (musculaire) et image féminine sexuée (libidinale).

M. CORCOS se référant à l’anorexie parle aussi d’un corps asexué, que nous pouvons comparer à celui de la danseuse. « Elle ne s’arrête pas à la pauvre et peu subtile androgynie comme ces collègues d’estrade…elle devient asexuée (a privatif) et expose au monde barbare où il lui a été donné de vivre les effets de sa déshumanisation. Elle semble tout montrer, elle cache l’essentiel, qui est au-delà du phénoménal comme des symptômes ». 1 Pourrons-nous la comparer avec une danseuse ?

« Cela pose de façon aiguë le problème de la co-excitation sexuelle, car toutes ces pratiques ont, en leur centre, la douleur éprouvée par le corps » 2 . En ce qui concerne la pratique de la danse classique nous avons pu noter cette douleur que vivent les danseurs/danseuses * *.

Nous pouvons donc parler d’une érotisation de la douleur « Ainsi, la co-excitation libidinale, qui érotise la douleur, est pour la fille une nécessité permanente de réappropriation de son corps, dont les successives modifications sexuelles féminines sont davantage liées au féminin maternel et, donc, au danger de confusion avec le corps maternel » 3 .

La danseuse se trouve souvent en deçà de l’érotisation de la sexualité, au sens de la génitalité. Il ne s’agit donc pas du registre du masculin ou du féminin mais de celui du phallique primaire tout puissant par identification à une image maternelle prégénitale toute-puissante.

« Dans cette rencontre entre l’ordre phallique et le musculaire sportif, la subjectivation ne peut advenir qu’avec l’épanouissement de la différence des sexes, de l’identité sexuelle, tributaire elle-même de la construction de la bisexualité psychique autorisée par les possibilités de mentalisation des pulsions et des affects. Cette dimension semble être un point de butée chez de nombreux (danseurs/danseuses) ou athlètes » 4 .

La dimension esthétique qu’offre la danse ne garantit pas un contenant, ou une voie d’élaboration suffisants pour asseoir cette identité sexuelle quand c’est l’investissement musculaire qui domine.

« Enfin, la femme attend la jouissance. Le changement d’objet de l’investissement de l’attente et du masochisme est la condition pour que la Belle soit réveillée par le Prince charmant, dans le plaisir-douleur de la jouissance féminine » 5 .

Mais avant de parler d’un changement d’objet, il nous faudra analyser le processus de toute une vie en groupe et analyser comment va se construire d’abord l’identité individuelle en passant par le groupe à l’époque de l’adolescence.

Notes
*.

CHASSEGUET-SMIRGEL, J. Le corps comme miroir du monde.Ed. PUF le fil rouge. Paris, France, 2003.

1.

PERROT, M. « L’indifférence des sexes dans l’Histoire » in Les sexes indifférents. Sous la direction de J. ANDRE. Ed. PUF, petite bibliothèque de psychanalyse. Paris, France, 2005. p. 19.

1.

PERROT, M. Op. Cit. p. 22.

2.

PERROT, M. Op. Cit. p. 22.

3.

DEJOURS, C. « L’indifférence des sexes : fiction ou défi » in Les sexes indifférents. Sous la direction de ANDRE, J. Ed. PUF, petite bibliothèque de psychanalyse. Paris, France, 2005. p. 46.

1.

CARRIER, C. « Féminin/Masculin ». in Le champion, sa vie, sa mort, Psychanalyse de l’exploit. Ed. Bayard. Paris, France, 2002. p. 166-174.

.

Cf. page 136. Image extraite de la page : http://vitanova.blogspot.com/2003_06_01_vitanova_archive.html

2.

CARRIER, C. Op. Cit. p.166-174.

*.

Nous aborderons le thème des images des danseurs/danseuses au cours la TROISIEME PARTIE : THEORICO-CLINIQUE. Chapitre 3 : Désir de l’Autre sur le désir de l’Un. p. 191.

1.

CORCOS, M. Le corps insoumis. Psychopathologie des troubles des conduites alimentaires. Ed. DUNOD. Collection Psychismes. Paris, France 2005. p. 6.

2.

DEJOURS, C. Op. Cit. p. 62.

*.

* Thème que nous développerons davantage dans la TROISIEME PARTIE : THEORICO-CLINIQUE. Chapitre 4 : La Souffrance et la Jouissance. p. 219.

3.

DENIS, P. « Quelle indifférence des sexes ? » in Les sexes indifférents. Sous la direction de ANDRE, J. Ed. PUF, petite bibliothèque de psychanalyse. Paris, France, 2005 p. 113.

4.

DUCLOS, K. « Le corps sportif féminin ». Communication lors de la journée d’étude : Corps, psyché, extrême. Université Lyon 1. 8 Avril 2006. p. 8.

5.

DENIS, P. Op. Cit. p. 113.