« La vie dans la danse est pur travail, travail, travail et travail,
la vie d’un danseur (…), c’est lésions, lésions et travail, c’est très dur ».
Patricia
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Le danseur n’est pas seulement un artiste, c’est aussi un athlète, qui doit, entre autres, s’entraîner pendant des heures, soumettre à un effort continu ses membres inférieurs et supérieurs, ainsi que sa colonne vertébrale, il ne peut pas se comparer à un autre travailleur manuel concernant l’effort fourni et l’exécution de mouvements répétitifs, qui parfois le contraindront à jouer avec des lésions.
Les lésions tissulaires peuvent être provoquées par une variété de causes, mais ici nous nous concentrerons seulement sur les lésions dont il a été question au cours des entretiens, c’est-à-dire celles provoquées mécaniquement : les lésions articulaires (distensions et entorses), osseuses (fractures et contusions) tendineuses (tendinites), musculaires (déchirures, contractures) 1 .
Quand on pose la question : « Est-ce que vous pensez qu’il peut y avoir des problèmes spécifiques à la danse ? » Jacqueline, professeure en danse classique nous répond : «Oui, c’est dangereux, si on n’est pas en dehors et qu’on se force l’en dehors on se fait mal aux hanches, si on n’a pas de cou-de-pied on monte pas bien sur pointes, on ne peut pas bien monter, si on a trop de cou-de-pied… Il y a des problèmes pathologiques à la danse classique (…) c’est dangereux la danse classique si on force des corps qui ne sont pas faits pour (…) ».
La majorité des lésions sont causées par des mouvements répétitifs ou par des gestes extrêmes qui peuvent endommager les articulations, ou par une chute par exemple, lors d’un saut, mais aussi souvent par une mauvaise compréhension de la technique, une lésion mal soignée, ou une reprise du travail avant le temps nécessaire de repos après une lésion, laquelle deviendra chronique et pourra entraîner une fin de carrière.
Par exemple, Véronique, maîtresse de ballet nous raconte : « …je voulais danser beaucoup et j’ai voulu continuer malgré mes problèmes de dos et un jour sur la scène je n’ai pas pu danser, je suis sortie en rampant, enfin c’était le drame et donc après je pouvais plus danser… »
Selon une étude réalisée en 1992 à Barcelone, la zone anatomique de lésions la plus commune chez le danseur est la cheville, le pied et la colonne vertébrale.
Patricia, élève, nous donne un exemple : « Moi l’année dernière j’ai eu une déchirure à l’aine gauche, ma copine, elle s’est fait mal aux cervicales et aux lombaires, une autre copine a une entorse du troisième degré à la cheville, c’est-à-dire il y a des lésions horribles, mais eux ça ne les intéresse pas, que tu aies une lésion, ils exigent que tu travailles et toi tu le fais bien sûr, ils t’envoient voir le médecin, aux thérapies, etc., mais les lésions s’aggravent, alors plus jamais tu n’arrives à bien te soigner cette lésion, c’est ça ».
Vanesa nous avoue : « (…) je suis tombée et j’ai eu une entorse, (…), ah oui, une déchirure aussi de l’aine et jusqu’à aujourd’hui j’ai des problèmes avec ça, c’est très délicat. Il y a un an et demi que je me suis fait mal, je me suis récupérée et il n’y a pas longtemps j’ai commencé à avoir mal à nouveau. Il y a des gens qui ont eu un plâtre beaucoup de temps, une copine sera hospitalisée demain pour être opérée de la rotule qui est sortie de sa place, il y en a une qui a toujours des entorses et oui il y a beaucoup d’accidents (elle crie).
Paola, étudiante en vue d’une carrière de professeure nous explique : « (…) il y a des problèmes, parce que il n’y a pas un bon travail des personnes (dans le sens de modelage) ou il y a beaucoup d’exigence, c’est beaucoup de travail qui provoque des entorses, des fractures et voilà ils renoncent à la carrière, parce qu’ils ne peuvent plus continuer (…) Moi, je suis tombée des pointes et j’ai eu une irritation du nerf sciatique dans la jambe droite, beaucoup de temps, parfois ils ne te laissent pas te reposer et tant pis il faut danser avec des lésions et ça c’est très mauvais (…) »
J. HOWSE et S. HANCOCK, dans leur livre Technique de la danse et prévention des lésions 1 , nous donnent plusieurs exemples des causes et complications des lésions dans la danse, mais en général, disent-ils, ces lésions sont provoquées par un défaut de la technique et ils proposent que, au moment de déterminer la cause d’une lésion, la première question que toute personne dans le milieu de la danse devrait se poser est : « Quelle erreur technique a conduit à cette lésion ?
Margarita, élève nous dit : « Oui, j’ai eu des entorses aux chevilles, des contractures, des déchirures, des périostites, des tendinites et c’est tout. Les entorses viennent d’une mauvaise exécution des pointes, ou parce que simplement tes muscles sont froids, parce que tu n’as pas encore bien le contrôle, (…) ou tu fais un mauvais pas et tu te fais une lésion, une entorse, la périostite c’est par l’excès de travail, dans l’allegro quand ils te forcent à lever plus et plus et plus et les tendinites, dans mon cas c’était dans la hanche, dans la section de l’iliaque, mais c’était à cause d’un mauvais mouvement que j’ai fait avec une jambe, et voilà ce sont les seules lésions que j’ai eues seulement. Normalement c’est rare la fille qui n’a pas eu de lésions à l’école, pour un mauvais travail ».
En conclusion, les lésions sont le résultat de tout un enchaînement, parce que lorsqu’il y a une mauvaise technique l’en dehors est insuffisant, le danseur force les genoux vers la rotation externe et les surcharge, le pied devient valgus pour avoir plus d’en dehors et la colonne augmente la courbe lombaire, etc. Ce problème pourrait se résoudre par un travail spécifique et suffisant de rotation externe des hanches et une posture adéquate au moment des exercices.
Cependant, dans cet enchaînement tout n’est pas physique. Souvent, lorsque qu’il y a des tensions ou des problèmes psychiques, les danseurs/danseuses se font mal.
Par exemple, Daniela, ancienne élève et maintenant professeure en danse classique, nous disait : « C’est curieux, une amie elle avait souvent des entorses, quand il y avait une présentation qui s’approchait, mais en plus généralement elle se faisait mal en dehors du cours ». Donc tout se complique ce qui nous ouvre plusieurs pistes d’analyse, continuons avec la prévention.
La prévention se situe à différents niveaux
Le corps humain, bien sûr a ses limites.
Nous pouvons le plier, le distendre, l’étirer,
mais jusqu'à un certain degré.
G. BALANCHINE
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Eviter les ambiances stressantes, avoir une préparation et une technique adéquates, aller chez le spécialiste pour le plus petit problème, ou une lésion même mineure afin de la soigner précocement, voilà qui constitue la meilleure des préventions. Bien que le danseur, de même que le sportif, veuille reprendre le plus tôt possible son activité habituelle, après une lésion, ce qui peut entraîner des rechutes et la chronicité des problèmes, il doit accepter de s’arrêter le temps suffisant, pour obtenir une guérison complète.
Diego, professeur déclare : « Moi j’ai souffert beaucoup du nerf sciatique gauche, mais je me suis récupéré (…) il y a des gens qui portent la douleur pendant toute leur carrière ».
Pour prévenir l’apparition de lésions ou de problèmes, il faut effectuer, avec soin, l’apprentissage de la technique adéquate, éviter les mouvements répétitifs sans repos, travailler dans une ambiance détendue et avec de bons professeurs (qui soient attentifs). La pratique de la danse exige d’excellentes conditions physiques et psychiques et un entraînement postural, mais, surtout, et en premier lieu, il faudrait connaître les causes qui provoquent des lésions et des problèmes.
Pour faire de la prévention, nous conseillons l’élaboration et la réalisation d’un programme d’exercices de renforcement adapté à la personne plutôt qu’une fois la lésion faite, prendre des anti-inflammatoires et faire comme les experts en médecine sportive qui recommandent des physiothérapies après coup 1 .
Josefina, étudiante en dernière année résume : « Ici, sont très communes les lésions (…) peut-être pour quatre causes : excès de travail, surpoids, mauvais travail ou inattention, qui est la plus commune, la périostites est très répandue, provoquée par la répétition de pointe-flex , ça c’est très commun, avoir des douleurs aux genoux aussi et aux chevilles, mais je crois que c’est par inattention, parce que ce n’est pas très habituel de se faire une entorse en dansant (…) »
Nous irons plus loin, parce que quelquefois la cause ou les causes des lésions ne sont pas apparentes, donc il faut observer plus attentivement, examiner plus méticuleusement chaque cas et surtout être à l’écoute du sujet et de son histoire.
Dans le travail avec l’outil projectif du danseur, Cédric, professeur de danse classique, a choisi la photographie S2, dans celles qui lui déplaisaient le plus.
Il l’a, ainsi, commentée : « Alors, là ! C’est l’histoire d’un danseur qui se blesse, lors d’une tournée dans un pays de l’Est, donc, il est très déprimé, blessé il faut un bandage il a une douleur importante, donc il est très triste il broie du noir, il est déprimé ».
Cédric, évoque la souffrance, ressentie par un danseur excédé par son corps ; dépassé, débordé, et retenu. C’est l’épreuve de l’entre-deux-corps, du corps blessé, entre le présent et la mémoire, entre le vécu et l’origine, ce corps qui s’exprime et avec son « savoir », demande un arrêt * .
Elève de maîtrise à l’E. N. D. C. C. en vue d’être professeure. Cf. entretien dans les annexes. p. 100. Traduction de l’auteur.
Pour connaître les soins à suivre pour les lésions spécifiques, Cf. HOWSE, J. et HANCOCK, S. Dance technique and Injury Prevention. London 2002. Notons qu’il faudra étudier cas par cas.
HOWSE, J. et HANCOCK, S. Técnica de la danza y prevención de lesiones.Trad. de l’anglais par David, J. Ed. Paidotribo. Barcelona, España, 2002. p. 73-79.
ZANA, P. et OMORI, Y. Les cris du corps. Editions Alternatives. Paris, France, 2004. p. 121.
Notons que les physiothérapies sont efficaces.
Exercice qui consiste à faire pointe et flexion avec les pieds.
Cf. Annexes, p. 168.