2.6.- Conclusion

Les danseurs/danseuses en formation pourraient être à la fois, objet et sujet et désigner simultanément la spontanéité du mouvement et l’immobilité artificielle suggérée par sa mécanisation selon C. MASSON en se référant au terme automate.

Or nous avons entendu et vu, tant dans la réalisation de leur figurine que dans leur cours, que le modelage avec les élèves, va plus loin qu’un travail avec la pâte à modeler et que les professeurs oublient parfois qu’ils sont avec des êtres humains, pas avec des poupées ni avec des machines * .

Le professeur, pourrait-il être un artiste ou plutôt un artisan ? Pourrait–on le comparer au jeu de la poupée quand celui-ci permet à l’enfant de devenir actif et de maîtriser à son tour ce qu’il a d’abord vécu passivement, en tant qu’élève ? La relation élève/professeur se reproduit comme dans une usine de poupées, mais nous pouvons espérer qu’il en sera autrement pour les nouvelles générations.

Margarita : « Je voudrais que les professeurs soient plus humains, parce que en fin de compte nous sommes des êtres humains, nous sommes des êtres pensants, nous sommes des gens qui raisonnons, parce que tout le monde sait que la danse est très rigoureuse dans ce sens, mais ils devraient être plus humains…ils ne doivent pas se baser seulement sur la forme ou les conditions parce que l’expression c’est important ça sert à rien s’ils te laissent pas quelque chose après danser, qu’ils soient plus humains et qu’ils comprennent qu’on est des gens spéciaux, parce que n’importe qui ne pourrait pas faire ce qu’on fait, c’est ça que je voulais ajouter ».

Bref, tout ce modelage du corps s’accompagne de nombreux troubles psychosomatiques des danseurs : anorexie, boulimie, fatigue, lésions, etc.

Les lésions physiques sont, elles, visibles, mais de quoi parlent-elles ?

La clinique de l’anorexie nous a mis en évidence l’importance que peut prendre la configuration fantasmatique d’être danseuse, particulièrement liée à l’idée d’un corps qui serait privé de sa lourdeur.

La danse qui peut d’ailleurs être pratiquée et de manière intense, renvoie à cette réalisation d’un corps autre, d’un corps aérien, comme s’il était tout entier maîtrisé dans un désir de dépassement de la limite. Cela renvoie à l’angélisme du corps souvent souligné par les cliniciens.

Dans une perspective étiopathogénique et psychosomatique, on évoquera que dans le dysfonctionnement de l’enfant et dans le processus de l’adolescence, émerge une hypothèse centrale dans les conduites addictives alimentaires : la « défaillance » du maternel qui ne favoriserait pas une bonne distillation puis une bonne intégration du féminin participant ainsi à une organisation sadomasochiste.

P. RABIN, psychanalyste français, dans la description de ses patientes (ayant des TCA) insiste sur leur lien très particulier à la mère : « ces pathologies expriment surtout des « troubles du deuil et de l’identification à l’objet perdu ainsi que des troubles de l’identification projective et les fantasmes d’indifférenciation que l’on rencontre dans les pathologies narcissiques » 1 .

N. DUMET explique que maigrir, tout comme son envers grossir, constituent une question identitaire (et existentielle) pour le sujet obèse, c’est-à-dire une question fondamentalement psychosomatique (…) d’équilibre psychosomatique » 2

Les danseurs et danseuses peuvent présenter plusieurs symptômes, mais ni le professeur, ni le médecin pourront l’éviter, même pas les danseurs/danseuses eux/elles- mêmes, à ce propos G. BROYER nous dit : « Il n’est pas sûr non plus que l’enfant ou l’adolescent quoi qu’il lui en coûte, sache toujours ce qu’il paie avec ce symptôme, quand celui-ci n’est pas à proprement parler le sien, mais celui de son ensemble vital » 3 .

« Dans cette perspective, les maladies somatiques se déchiffreraient non plus comme le résultat exclusif d’anomalies physiopathologiques, mais éventuellement comme résultat de processus psychopathologiques centrés sur la désorganisation de l’économie érotique » 1 .

Dans le prochain chapitre nous évoquerons tous ces regards auxquels la danseuse et le danseur se trouvent confrontés tous les jours, ce qui nous renvoie à la question du narcissisme et au stade du miroir.

Notes
*.

Cf. Annexes, p. 163.

1.

SCHASSEUR, B. Op. Cit. (p.735-760). in p.150.

2.

DUMET, N. « Maigrir et rester mince » in DUMET, N. et BROYER, G. Avoir ou Être un Corps. Ed. L’interdisciplinaire. Lyon, France, 2002. p. 39.

3.

BROYER, G. DEVENIR DU CORPS ET REPRESENTATION DE SOI : Réflexion à partir de la plasticité corporelle entre corps et organisme : L’Espace du Sens. Thèse Université Lumière Lyon 2, Lyon, France, 1987. p. 46.

1.

DEJOURS, C. Le corps d’abord. Ed. Payot. Paris, France, 2003. p. 21.