3.2.- L’Idéal du Moi :
Danseur ou Danseuse-Etoile.

« Pas une étoile fixe et tant d’astres
errants ».
J. RACINE * .

« Le « soi » (self) se présenterait comme le précurseur narcissique d’un « moi » plus élaboré dans le sens objectal et oedipien. Ce qui entraîne la définition logique d’un « Idéal de soi », instance idéale résultant d’un besoin de séduction narcissique existentiel de l’objet primitif. De constitution antérieure au « surmoi », « cet Idéal de soi » pourrait prévaloir sur ce dernier dans de nombreuses situations demeurées bloquées, ou ayant régressé en deçà de l’établissement du primat de l’Oedipe sur l’organisation affective globale du sujet » 2 .

La notion d’Idéal du Moi apparaît dans « Pour introduire le narcissisme » de S. FREUD, ce qui caractérise l’Idéal de Moi, est l’ouverture qu’il offre au narcissisme vers une réalisation possible dans un temps futur.

Il existe une compulsion à attribuer à l’enfant toutes les perfections, en oubliant ses défauts et déniant la sexualité infantile. S. FREUD utilise l’expression en anglais « His Majesty the Baby » il explique : l’enfant « accomplira les rêves de désir que les parents n’ont pas mis en exécution, il sera un grand homme, un héros, à la place du père, elle épousera un prince, dédommagement tardif pour la mère » 1 .

Notons ici que nous avons trouvé cet Idéal parental, dans le fait de pouvoir s’engager dans la formation en danse classique et avec, de plus l’idée d’être un jour le danseur ou la danseuse Etoile qui justement, dans les ballets représentés, dansera avec la princesse ou le prince.

Nous trouvons ici, l’occasion d’examiner les rapports de cette formation de l’idéal et de la sublimation, ainsi définit par S. FREUD : « La sublimation est un processus qui concerne la libido d’objet et consiste en ce que la pulsion se dirige sur un autre but, éloigné de la satisfaction sexuelle (…). L’idéalisation est un processus qui concerne l’objet et par lequel celui-ci est agrandi et exalté psychiquement sans que sa nature soit changée ». Néanmoins il nous dit plus loin : « L’idéal du moi requiert, il est vrai cette sublimation mais il ne peut l’obtenir de force (…) » 2 .

Quoi qu’il en soit, la danse est un art et l’art est sublimation là où les danseurs/danseuses se trouvent « à former l’idéal du moi dont la garde est remise à la conscience morale, c’est justement l’influence critique des parents telle qu’elle se transmet par leur voix ; dans le cours des temps sont venus s’y adjoindre les éducateurs, les professeurs et la troupe (…), (les autres, l’opinion publique) » 3 . Influence à laquelle les danseurs ne pourront pas échapper, tout au contraire ils y seront même confrontés, plusieurs heures par jour.

Le sentiment de soi a trois origines :

  1. La satisfaction narcissique primaire
  2. Le critère de réussite, c’est-à-dire, la satisfaction du désir de toute-puissance
  3. La gratification reçue de ses objets d’amour.

En résumé, le développement du Moi se réalise à partir de tout un mouvement, qui commence par un éloignement du narcissisme primaire, avec une tendance à le reconquérir, cet éloignement s’effectue à partir d’un déplacement de la libido sur l’idéal du moi, laquelle est d’abord imposée de l’extérieur, mais elle ne tardera pas à engendrer une satisfaction, résultat de cette réussite de l’idéal.

Comme exemple, nous pouvons citer Véronique, maîtresse de ballet : « J’ai commencé quand j’étais toute petite, à trois ans. C'est-à-dire, c’est pas moi qui ait voulu faire de la danse, c’est ma mère qui m’a inscrite dans un cours de danse ».

Son entrée dans la danse classique résulte donc d’un désir de sa mère, (décision imposée par elle) mais, comme plusieurs filles, elle dit : « c’était un peu un rêve de petite fille, de… d’avoir un tutu et de mettre des pointes ; c’était un petit peu quelque chose de … un peu du domaine de la … du rêve, et j’avais envie d’être sur scène et de danser ». Le talent de Véronique a été reconnu et elle est rentrée à l’Opéra. Elle nous explique : « j’ai eu l’occasion de tourner (…) un feuilleton à la télévision qui a été assez connu en France, qui racontait l’histoire de petits rats de l’Opéra ; donc, j’ai fait ce film quand j’avais onze ans et puis après je suis rentrée à l’Opéra parce que mon rêve c’était d’être danseuse-étoile de l’Opéra ».

Un autre exemple serait est celui d’Isadora, élève 2ème année, qui nous dit : « (…) ma maman m’a demandé si je voulais entrer, (faisant référence à l’E. D. C. C.) Ils m’ont dit que j’avais beaucoup de possibilités, ils m’ont acceptée et donc, j’ai commencé ».

Pour Véronique et Isadora ce fut ainsi le début de leur formation professionnelle dans la danse et il en est de même pour beaucoup d’élèves, la première fois que leurs professeurs leur donneront la possibilité d’un rôle plus ou moins important elles éprouveront une satisfaction qui les incitera à continuer comme Josefina, élève de dernière année nous le fait vivre avec beaucoup d’émotion : « Je suis sortie heureuse, parce que le projecteur c’est pour toi qu’ils l’allument, pour toi toute seule, alors le cygne noir te voit, Silfrido te regarde seulement toi, et personne d’autre, c’est comme ton moment de triomphe ainsi, je l’ai fait, il y a deux ans, l’année dernière aussi et j’espère le refaire cette année (…) Maintenant je suis en train de répéter des pas de deux et dans les présentations qui viennent d’avoir lieu, je fais le pas de deux principal ».

Pour Josefina, dix ans de travail commencent à être récompensés, mais bien sûr, tous et toutes n’auront pas cette chance, et malgré leurs efforts, leur travail acharné, ils/elles resteront dans l’ombre perdu(e)s dans le corps de ballet.

Vanesa nous parle de la compétition qui existe dans le but d’être la Danseuse-Etoile : « Non, je n’ai jamais dansé de rôle principal, j’ai dansé plusieurs choses, mais jamais le principal ».

Plus loin, elle continue « En général même s’il n’y a pas de remplaçante, comme nous voulons danser, nous sommes toujours derrière, en train de répéter le rôle » et elle explique qu’elles attendent la défaillance d’une autre fille, pour prendre sa place et avoir ainsi une opportunité ; elle dit : « un jour il y a eu une fille qui s’est fait mal aux genoux, on était en train de s’échauffer pour une présentation, quand elle a dû aller à l’hôpital et ce jour-là, celles qui connaissent plus ou moins le rôle, ont commencé à le danser et le professeur a dit : « c’est unetelle que je préfère (en se dirigeant vers l’une d’entre elles)».

L’idée que l’objet de la danse est un corps icône idéal et adorable, et qu’il s’agit dans la danse de devenir autre, de devenir ce corps idéal, est soutenue par P. LEGENDRE, qui qualifie de « bureaucratie industrielle » le système chrétien, où l’on donne un corps à Dieu. C’est d’ailleurs l’industrie de l’image du corps, la mode, et son changement bisannuel, qui met en pièces l’idée de corps idéal tout en semblant l’affirmer, par un éclatement féroce et ludique.

De cette manière, l’image des danseuses sera réactualisée avec celle de tous ceux et celles de leur entourage, qui sont comme autant de reflets du miroir. Comme nous allons l’analyser tout de suite.

Notes
*.

CHASSEGUET-SMIRGEL, J. Le corps comme miroir du monde. Ed. PUF le fil rouge. Paris, France, 2003. p. 179.

2.

BERGERET, J. « La personnalité Normale et Pathologique ». Ed. DUNOD. 3ème éd. Paris, France, 1996. Introduction.

1.

FREUD, S.« Pour introduire le narcissisme »in La vie sexuelle. Ed. PUF. (13ème éd. 2002), Paris, France, 1969. p. 96.

2.

FREUD, S. Ibidem. p. 98-99.

3.

Ibidem. p. 100.