3.3.2.- Le miroir « chorégraphes »

« Comme tous les métiers artistiques, la chorégraphie est à la fois un savoir-faire, une technique et un champ personnel de créativité. Le chorégraphe non seulement compose l’espace, les déplacements des danseurs, utilise un style de mouvement connu ou le crée, mais travaille aussi avec les autres créateurs du spectacle : musicien, décorateur, créateur de lumière… Il orchestre ces différents corps de métiers pour réaliser un spectacle. (…) » 1

N’oublions pas que la première étape, qui mène à l’état de chorégraphe, est, dans une très large majorité des cas, celle d’avoir été lui-même danseur. Donc d’avoir vécu : la technique de base, les compagnies, les tournées, les répétitions, etc. ; c’est-à-dire que tous les éléments qui composent la vie d’un danseur ont été les mêmes pour celle d’un chorégraphe * .

« La différence, de taille, (avec le danseur) est que le chorégraphe assume la responsabilité artistique d’un projet. Il dirige, fait des choix, corrige, fait reprendre, modifie, défend sa conception de l’art. (…) Toutes les formations et les méthodes connues ne font pas un chorégraphe de qualité. Il faut ce qui ne se mesure pas, ce qu’est le mystère de l’art, la valeur ajoutée de la personne, le talent » 1 .

Certainement il existe une transmission du vécu de chorégraphe comme danseur et son désir de continuer, de développer ou complètement changer ce qu’il a dansé avec ses propres chorégraphes. Par exemple, Véronique continuant son discours précédent : « (…) c’est chouette quoi, de voir que tout ce qu’il a fait ici (se référant à son ancien élève) ça l’a porté vers ce chorégraphe que j’ai aimé aussi, avec qui j’ai dansé ça c’est assez [….] on voit que ça sert à quelque chose ». Il y a eu identification à la maîtresse de ballet et à son parcours, (l’élève est allé travailler avec le même chorégraphe) ce qui a permis à l’élève d’accomplir le désir de l’autre, et à la maîtresse de ballet de prolonger sa carrière à travers son élève.

Jacqueline nous parle de la relation avec son chorégraphe : « il n’était pas seulement le chorégraphe créateur, mais aussi il recherchait avec nous, et entre les êtres humains qui faisaient ce groupe il y avait déjà le passé d’être dans la même école, d’avoir eu la même formation, d’avoir le même « feeling », donc c’était des relations très harmonieuses et très enrichissantes et ça le travail était très productif ».

Le chorégraphe dans cette recherche de construire un texte, a choisi des corps déjà proches entre eux, où le langage avait été appris ensemble depuis l’enfance et peut-être aussi avaient-ils des choses à dire qui les concernaient tous.

Elle continue : « Les gens restaient longtemps chez Béjart, (…) à l’époque, surtout lorsqu’on choisissait de travailler avec un chorégraphe important et que ce chorégraphe nous choisissait, il y avait une espèce de fidélité : on restait dix ans, quinze ans, huit ans, pour approfondir le travail, vraiment. Donc il y avait une vraie (pause) une vraie osmose entre les danseurs ». Comme nous pouvons le constater ils s’entendent très bien, les liens qui se créent sont très forts, comme avec le professeur, ce qui les amène à une impossibilité de séparation, de se retrouver sans leur groupe « familial » après toute une vie en commun.

Cet exemple nous rappelle la situation groupale de risque et la définition du pseudo-normal que J. BERGERET mentionne dans le chapitre précédent en « Normalité » et Pathologie.

Plus loin, Jacqueline nous dit : « Un chorégraphe c’est comme un cinéaste qui fait un casting, (…) il va chercher des gens qui vont correspondre à l’idée que lui a, qu’il cherche et il va éliminer tous ceux qui ne sont pas dans son ….. » Peut-être dans son miroir.

Le regard du chorégraphe transmet son langage au danseur, dans son fantasme d’écrire avec les corps des autres, recompose une identité, un processus identitaire, les forçant à une prise de connaissance. D. SIBONY nous dit : «En cela l’écriture chorégraphique instaure l’entre-deux-corps.

Le miroir chorégraphique offre à la foule l’idée de l’ensemble possible, où les liens de corps permettent des jets singuliers, des lancées marginales, tout en gardant au groupe son rôle de corps-mémoire (…). Pourtant ces corps ne disent pas « rien » ils mettent en geste les formes simples de la présence, présence physique au monde, avec ses rythmes, ses contours, ses figures » 1 .

Notes
1.

http://www.cedies.public.lu/ETUDES_ET_METIERS/Metiers/Chor__graphe/index.html

*.

Cf. Annexes, p. 164.

1.

Ibidem. Parenthèses ajoutées par l’auteur.

1.

SIBONY, D. Le corps et sa danse. Ed. Du Seuil. Paris, France, 1995. p. 206.