3.3.5.- Le miroir « public »

Les lumières s’éteignent, je meurs.
Demain je renaîtrai, je danserai… à la lumière stellaire des projecteurs et
surtout du regard public, allumé, ébloui, projeté.
R. NOUREÏEV.

Pour se présenter au public il faut avoir préparé des chorégraphies, lesquelles ont été précédées d’un entraînement intensif. Le public est l’ensemble des personnes qui assistent effectivement à un spectacle ou à une journée portes ouvertes .

Jacqueline : « c’est tellement génial d’être interprète ; (…) quelqu’un t’a donné quelque chose, tu dois le donner au public ». Il y a une dette, mais avec qui « réellement » ? Avec elle-même, après autant d’efforts.

Margarita : « Tout ce que tu fais, danser pour les gens, pour qu'ils soient satisfaits réellement, en plus que tu danses pour toi-même, tu danses pour un public parfois ce public sera pas connaisseur de la danse ou si, mais il sera toujours bien reçu, ses applaudissements ou, simplement qu’il soit en train de te regarder. Peu importe ce que tu as à faire, ce qui importe est être en scène et faire ce que tu sais faire ».

Elle nous parle des applaudissements, la récompense toujours attendue après une présentation et tout le travail qui est derrière. Le danseur veut être regardé et d’une certaine façon le public aussi se regarde dans le danseur. Si nous observons les personnes qui assistent aux spectacles de danse, nous remarquons qu’elles se connaissent presque toutes puisque, à chaque spectacle, il y a les élèves, les professeurs, les chorégraphes et les parents des danseurs et danseuses principalement.

« Qu’éprouvons nous, à les contempler dans la lumière alors que nous restons immobiles, assis dans l’ombre, loin de tout contact mais attachés par le regard à ces chairs qui s’exhibent ? » 1

Nous pouvons parler ici de la Katharsis, (terme grec qui est employé dans la Poétique d' Aristote et signifie purification ou purgation), mais nous nous intéresserons plus particulièrement à son interprétation esthétique : « aujourd'hui, on considère que la katharsis n'a pas un enjeu moral, mais exclusivement esthétique . Le spectateur ne se purge pas de ses émotions en voyant des exemples édifiants, mais c'est plutôt le dispositif scénique, le mode de la représentation, qui purge le spectateur de ses émotions. L'être humain peut « prendre plaisir aux représentations ».

Nous prenons plaisir à contempler les images les plus exactes de choses dont la vue nous est pénible dans la réalité, comme les formes d'animaux les plus méprisés et des cadavres » (Aristote, Poétique, 1448b10).

La maîtresse de ballet arrive et demande : « ça c’est bien passé hier soir ? ». (se référant à son spectacle).

Un élève répond : « Le théâtre, il était vide ».

La maîtresse de ballet : « C'est-à-dire ? ».

L’élève dit : (avec l’air triste) : « Il y avait une vingtaine de personnes ».

La maîtresse de ballet: « Mais aujourd’hui, vous aurez plus de monde, parce que les… vont venir ». Puis s’adressant à moi : « Mettez-vous là, parce qu’ils vont venir ». Je quitte donc ma place à côté de la porte, et m’installe près du piano (au fond de la salle) pour laisser la place.

Plus tard, le directeur paraît à la porte et la maîtresse de ballet lui dit : « Monsieur le directeur, on n’a pas de public on est triste, hé ! ».

J’ai perçu qu’ils cherchaient le regard d’une manière plus insistante ce jour-là et à la fin tous font des ports de bras puis se relâchent, comme à l’issue d’une présentation. C’est une déception, une tristesse groupale exprimée par un élève et puis par la maîtresse de ballet qui, sachant ce que cela signifie dans son propre vécu, essaye de leur remonter le moral afin qu’ils continuent à travailler pour un regard, regard que toute la classe attendra pendant le cours, sans avoir eu de réponse, mais c’est une réponse ou plutôt une présence qu’ils cherchaient ?

Ils ont l’espoir que dans le prochain spectacle, le public reçoive les reflets de ses fantasmes et que les danseurs à leur tour, puissent aussi sentir et entendre les vibrations des spectateurs, qui dans ce sens, ne resteront pas, dans la passivité, tout au contraire.

Par exemple, lors de la journée portes ouvertes, au C.N.S.M.D dans le public il y avait des personnes de la famille des danseurs, mais pas seulement, également la mère de la professeure Jacqueline, qui se réjouissait comme si c’était sa fille qui dansait, laquelle dans l’entretien nous disait : « (…) je ne veux pas leur transmettre ma passion, je veux que eux ils transmettent leur passion au groupe, au prof, au public, etc. ».

« La danse est donner corps au dialogue avec l’Autre - l’inconscient - dont la réponse importe peu, dont l’essentiel est la présence, le fait qu’on y soit sensible ou accessible. La danse est une prégnance corporelle de l’inconscient » 1 . Un travail est offert à l’Autre ou deux autres, un jet de corps en forme d’objet. Offrande à la source des pulsions.

Notes
.

C’est une journée, où le public peut aller regarder le déroulement des cours, ou les préparations des prochains spectacles.

1.

DELAHAYE et FRESCHEL, A. Angelin Preljocaj. Ed. ACTES SUD. Arles, France, 2003. p. 58.

1.

SIBONY, D. Le corps et sa danse. Ed. Du Seuil. Paris, France, 1995. p.123.