La « scène » dont il s’agit pour la danse
est celle de la naissance-scène toujours « autre »
et pourtant familière ou familiale
D. SIBONY
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La famille est le noyau de la société occidentale. Durant les entretiens nous nous sommes aperçue que beaucoup de danseurs/danseuses ont commencé la danse encouragé(e)s par quelqu’un de leur famille. Par exemple :
Vanesa : « ha ! Parce que ma soeur étudiait le folklore et donc je suis allée voir beaucoup de présentations de danse et j’ai préféré le classique, alors j’ai commencé à voir plus de classique et ça m’a plu ».
Patricia : Mon père a un ami qui est prêtre et passionné de danse classique, depuis toute petite j’allais avec lui (…), il me montrait des vidéos, depuis toute petite on commence, quand on a des familles qui se dédient à ça, étant donné qu'ils te dirigent, c’est ça ».
Diego, professeur : « j’ai commencé à avoir du goût pour la danse, parce que ma maman avait été danseuse de la ville de Mexico dans les années quarante et elle avait beaucoup eh… de livres, photographies, etc., que je lisais beaucoup depuis tout petit ».
Cédric : « j’avais une grand-mère qui jouait du piano, et j’étais chez elle et puis j’ai vu un spectacle de danse à la télévision et elle a dit que j’allais faire de la danse. Donc au départ, moi j’avais pas très envie. Eh puis j’ai pris quelques cours de danse ; et puis mon professeur de danse a dit : ah, il est doué ».
De ces quatre exemples, il ressort que le goût de Vanesa, Patricia, Diego et Cédric, pour la danse, est né sous l’influence familiale déjà imprégnée par la danse. Ils n’ont eu qu’à s’approprier le désir des autres d’une manière faux-self. Le cas de Cédric nous montre aussi comment, après avoir réussi, entendu les applaudissements et capté le regard de sa mère ils/elles continueront, malgré tout. Comme disent les professeurs « Le spectacle doit continuer ! ».
Dans ce prolongement, il nous faut évoquer aussi la délégation familiale, nous nous expliquons : jusque-là nous avons considéré la famille biologique, mais dans ce milieu comme dans le sport de haut niveau existe une « deuxième famille ».
Ecoutons Nina, qui a vécu ou même grandi avec un groupe (disons une compagnie), elle nous a dit : « Je ne peux pas, je me sens très déprimée ici, dans cette compagnie, parce que les danseurs ce sont comme ta famille, ou encore plus parce que tu as vécu avec eux plusieurs choses, tu restes du matin au soir avec eux, après pour faire la fête aussi, ils me manquent beaucoup, je veux retourner, je ne peux plus ». Six mois après, en effet, elle réintégrait sa compagnie précédente et la dernière chose qu’elle nous a dit est celle-ci : « C’est fini je pars il y a beaucoup de choses que je dois faire, je dois rattraper le temps avec mes frères et mes sœurs (en se référant aux danseurs) ». Le lien qui s’est créé est très fort, et le moment de la séparation peut être insupportable, à cause de ce qui a été vécu ensemble : toute une complicité : de joies, de défis, de regards, de chutes, de souffrances ?
« Etrangement familiers, ces corps mous et mouvants nous rappellent vaguement les formes sans regards qui, comme les mythes, peuplent nos inconscients. Des images rêvées, lentes, des souvenirs qui s’échappent et qui, sans construire de véritables personnages, évoquent pourtant notre histoire commune, à l’ombre du réel » 1 . Ils sont la représentation de nos fantasmes.
Alors cette « deuxième famille » se compose de tous les autres miroirs que nous venons de décrire, lesquels font partie des fantasmes d’identification si nous reprenons le terme de A. de MIJOLLA.
SIBONY, D Op. Cit. 85.
DELAHAYE et FRESCHEL, A. Angelin Preljocaj. Ed. ACTES SUD. Arles France, 2003. p. 23.