Chaque pas doit porter la marque
de son sang.
R. NOUREÏEV*
Jacqueline, professeure en danse classique, au moment de travailler avec l’outil projectif des danseurs / danseuses, elle a choisi la photo M4 dans les photos qui lui déplaisent le plus, et elle dit : « C’est la domination et le pouvoir, je pense que c’est sa maman, ou son professeur. Elle l’habille très vulgaire, sado-maso bulgare, il y a de la domination et de l’ambiguïté. Il n’ y a pas de bonheur. J’hésitais parce que là c’est le plaisir, tu vois ?
La souffrance est provoquée par l’individu lui-même au nom d’une certaine recherche de plaisir. A. M. RAJON nous ramène aux mots, parce que la douleur ou la souffrance, c’est vivant, mais trouver les mots pour les figurer ce n’est pas facile, c’est imprononçable, bien que les mots restent à distance, en écho avec la représentation d’un vécu du sujet.
Par exemple, Véronique, maîtresse de ballet nous raconte : « …si y en avait un qui se faisait mal ça déséquilibrait le spectacle et donc…. ; ouais, je peux dire que jjjje….y avait tout autour un consensus de de ….ouais qui faisait que c’était bien si je continuais à danser avec mal un peu mal…ça m’a un p…ouais…sûrement même. Beaucoup, j’ai eu mal partout, tout le temps des entorses, des genoux, des ménisques, des…ouais moi j’ai beaucoup souffert, comme danseuse physiquement, j’avais mal aux pieds dans mes pointes, j’avais des ampoules terribles…ouais j’ai souffert… ouais ».
R. ROUSSILLON, nous donne deux propositions sur le concept du masochisme :
1.-Dans sa première proposition, il nous fait remarquer que dans la culture Judéo-Chrétienne prendre du plaisir est dans le fait d'être battu, bafoué, humilié, dans le fait d'échouer, de chercher l'échec ou les blessures, dans le plaisir pris de se trouver un maître.
« Il désignerait donc un « plaisir paradoxal » pris dans un processus qui devrait plutôt provoquer du déplaisir, c'est en ceci qu'il serait « pervers », il retournerait une situation qui, selon la logique du principe du plaisir, devrait provoquer du déplaisir » 1 .
Cette capacité à tolérer une certaine quantité de tension nous pouvons l’appeler comme nous dit R. ROUSSILLON « tension de travail psychique » ou la nécessité d'une énergie " constante " pour l'investissement du moi qui était la position de J. LAPLANCHE en 1970 dans « Vie et mort en psychanalyse ».
Le masochisme résulte de la nécessité de conserver une certaine stase énergétique, une certaine tension qui sera nécessaire au travail psychique.
La conception d'Éros de S. FREUD, nous montre que la question de la décharge est complexe ; « le signal de décharge », suppose la présence de l'objet et donc une certaine « liaison » avec celui-ci, un lien, des retrouvailles entre perception de l'objet et représentation.
« Deux modalités de conservation de la tension ou de l'investissement, de l'auto-investissement du moi, deux modalités du narcissisme donc, doivent être envisagées » 1 :
La première est de nature représentative, elle développe ensuite des liaisons auto-érotiques par introjections secondes du lien avec l'objet. La liaison s'effectue par symbolisation primaire.
La seconde passe par des modalités de liaison ou d'évacuation non-représentatives, qui font l'économie primaire de l'objet et de la relation avec celui-ci. Les « solutions masochiques ».
2.- Dans sa deuxième proposition, R. ROUSSILLON nous rappelle que S. FREUD dans « Pulsions et destin des pulsions » ouvre la question d'une entité sado-masochiste. Il fait du sadisme et du masochisme deux positions réciproques en fonction de la déflexion ou de la réflexion de l'agressivité contre le moi. Quand l'agressivité est tournée vers le dehors cela produit du sadisme, quand celui-ci fait retour contre le moi nous avons le masochisme, mais R. ROUSSILLON, finit en suggérant fortement une économie des concepts en utilisant le mot « masochisme ».
Les danseurs/danseuses nous renvoient à la symbolique du corps mystique, le masochisme du sacrifice étant omniprésent. Ils/elles accomplissent continûment des tours, des sauts, des exercices en répétitions, reçoivent des coups, maltraitent leurs pieds et les jambes des uns et des autres, se torturent méthodiquement. Ils cherchent dans la douleur et la mort, une transfiguration.
Nous pourrions dire que cette transfiguration ressentie si intimement provient de l’imagerie catholique, mais les corps profanes ont souvent la même saveur du sacrilège, dans le cas de notre population ce sera une façon de vivre et faire exister son corps.
« Devant la danse, la foule semble dire : va, joue, « danse », sacrifie-toi pour aller « dire » à l’Autre corps de rayonner sur toi ce dont il nous prive, la force et la beauté et de nous faire voir à travers toi les élans qui nous manquent » 2
ROUSSILLON, R. Deux propositions sur le concept du masochisme. Société Psychanalytique de Paris. http://www.spp.asso.fr/library/Scripts.asp?filename=/Main/P...
ROUSSILLON, R. Op. Cit.
SIBONY, D. Le corps et sa danse. Ed. Du Seuil. Paris, France, 1995.p. 124.