40 ans.
Durée : 1 heure.
Il commence en disant : « Bon courage » (il fume).
E - Comment avez-vous commencé dans la danse ?
C - Comment j’ai commencé dans la danse ? Un peu par hasard, j’avais une grand-mère qui jouait du piano, et j’étais chez elle et puis j’ai vu un spectacle de danse à la télévision et elle a dit que j’allais faire de la danse. Donc au départ, moi j’avais pas très envie. Et puis j’ai pris quelques cours de danse ; et puis mon professeur de danse a dit : ah, il est doué. Est-ce qu’il veut rentrer à l’Opéra de Paris ? Donc…. j’ai dit oui, pour être tranquille et je suis rentré à l’Opéra de Paris et là, j’ai commencé à aimer la danse mais avant….c’était pas comme ça.
E - Comment avez-vous vécu cette entrée ?…
C - A l’Opéra ? Très bien oui, bien parce que, en fait, j’aimais bien le fait….. Déjà il y a un sentiment d’appartenance ; le sentiment d’appartenir à une équipe et ça c’est quelque chose d’assez agréable, en suite de ça, j’aimais bien l’idée d’essayer, l’idée de progrès, j’aimais bien l’idée d’avoir des objectifs et de chercher à progresser et puis la compétition était amusante… et bon, il y avait le plaisir de danser mais ça c’est venu plus tard, le sens artistique, ça chez moi, c’était d’abord le plaisir d’être dans quelque chose d’un peu compétitif et d’avoir un sentiment d’appartenance, ça c’était bien, je faisais partie d’un groupe, et j’aimais bien ça.
E - Pourriez-vous approfondir un peu sur le plaisir et la compétition ?
C - Le plaisir de la compétition ? Eh bien, c’est un jeu, c’est un jeu, c’est très stimulant voilà ; vous devez chercher à être le meilleur. Donc il y avait une double stimulation : d’abord chercher à progresser, donc un travail sur vous, ça j’ai aimé tout suite. En fait, j’ai beaucoup aimé la notion de travail sur soi, c’est quelque chose que j’ai compris assez vite, comme la plupart des gamins qui entraient à l’école de danse ; aussi le plaisir, parce que c’en est un, d’essayer d’être meilleur que les autres [….]
E - Quelle autre valeur pensez-vous qu’il y avait ?
C - Pour moi, en tant qu’enfant ? Où çà, à l’Opéra, dans ma famille ?
E - Tout à l’heure, vous parliez de valeurs différentes…. ?
C - Ha ! Oui. J’étais très valorisé. C’était bien de faire des efforts. Je pense que la notion d’effort était plus valorisée. En fait, c’était : bon, tu vas être content, tu vas être heureux, progresse, tu progresses et tu seras content. Donc, si vous voulez, il y avait aussi un travail, oui, alors il y avait un travail aussi qui était très lié à l’estime de soi, c'est-à-dire ce qui est dangereux aussi, chez les enfants, parce que… Pour moi, je fais un peu de digression, mais à l’opéra, pour moi, on était à la fois…. on était à la fois très protégé et très exposé, parce que c’est rentrer dans un monde d’adultes très jeune. Mais pour moi, je n’y vois pas que des inconvénients. J’ai lu quelque part que la notion d’enfance était assez récente finalement puisque avant les gamins [….] fallait les faire taire ; il y a des exemples très célèbres. La Pérouse, par exemple, le célèbre marin, qui a dirigé une flotte très jeune, il avait seize ans. La notion d’enfance et d’adolescence c’est quelque chose d’assez récent, et je pense que, quand vous rentrez dans un système très compétitif vous devez devenir adulte assez tôt, si vous voulez… intégrer vraiment cet état d’esprit et devenir adulte assez tôt et savoir que, bon, il faut être assez vite autonome et responsable en même temps c’est un milieu très protégé, trop aussi, parce que même chez les enfants qui ont tendance à vouloir progresser, à vouloir s’investir dans le travail c’est quand même…[…..] Moi je ne considère pas que c’est quelque chose de forcément douloureux, ça, je considère que c’est quelque chose d’assez valorisant, d’assez épanouissant. Je pense que c’est plus après. Ce qui peut être difficile, c’est les personnes avec qui vous travaillez mais, l’effort, la notion d’effort pour moi me semble assez valorisante …la notion d’être autonome, responsable relativement tôt, c’est-à-dire je crois avoir plutôt bien vécu ça.
E - Vous dites qu’il faut être adulte assez tôt, qu’est-ce que ça veut dire ?
C - […] Vous devez savoir que si vous ne travaillez pas bien pendant une semaine, il y a des conséquences ; vous êtes là pour toute la vie ; de vous dire qu’il faut aller travailler alors que vous avez envie de jouer et en même temps une fois que le pli est pris, que vous êtes imprégné de cette habitude, c’est …. Moi j’ai le sentiment, je ne sais pas vraiment comment je l’ai vécu à l’époque, je sais comment je m’en souviens, mais j’ai le sentiment que quand je jouais c’était très intense parce que… parce que ces moments étaient quand même assez rares donc il fallait en profiter, c’était vraiment des moments de détente. Moi j’ai vécu assez bien, je crois… je pense assez bien vécu. Ce qui était difficile, c’était l’anxiété, ça c’est vrai que c’est difficile à partir du moment où on rentre dans un cycle compétitif, forcément il y a de l’anxiété. Pour moi c’est une question de degré, c’est une question d’intensité parce que comme adulte on sait que l’on doit faire ce travail-là pour être….comme mon travail. Le risque de réaliser votre objectif c’est[….] aussi que votre estime de soi est très liée au travail (une personne entre et dit : excusez-moi) …..le fait que l’estime de soi est liée au travail, ça c’est quelque chose difficile pour moi., ça fait une pression.
E - À quelle époque avez-vous commencé ?
C - Dès que vous rentrez dans un système de jalousie compétitive 11-12 ans. Je crois pas que ce que vivent les enfants en danse intensivement soit très différent psychologiquement de ce que vivent les enfants qui font autre chose. Oui, le système de compétition [….].
C’était sous forme d’examen. Mais, l’audition, si vous voulez, était quotidienne puisque [….]. Je dirais que moi je vois des avantages et des choses très épanouissantes [….] dans quelque chose qui fait grandir vite, dans quelque chose aussi de très intense, très excitant mais aussi avec une phase [….] bien que ce soit une enfance tout à fait banale.
E - Pourquoi ?
C - Dans notre société, les enfants ne viennent pas au monde du travail très vite. Quand à dix ans où onze ans vous pensez savoir ce que vous voulez même si à mon avis c’est très influencé par la vision des adultes, vous êtes un petit peu en danger [….]
C’est pas pour ça que je pense que c’est … Je pense que c’est une grande chance aussi d’avoir une passion, je pense que ça donne du sens à la vie. A partir du moment où il y a un positif et un négatif. Il existe aussi des enfants à l’école qui sont très démoralisés s’ils ont de mauvaises notes, puis d’autres qui sont surtout inquiets parce qu’ils vont se faire engueuler à la maison. Quand vous commencez à vous investir dans votre travail, vous n’êtes vraiment pas content de vous quand vous avez fait un très mauvais cours. Pour moi, je pense que ça c’est assez …c’est pas tout à fait…[……] elle est inquiète de nos réactions, mais…. certainement mais peut-être moins fortement que [……] très proche [….] on voyait vraiment le monde du travail, on voyait les adultes travailler […]
E - L’adolescence et la puberté pour vous c’était … ?
C - Je pense que c’était quelque chose d’assez… c’était … c’était quelque chose d’assez intense. Je ne pense pas que ce soit une période de crise simplement pour les danseurs ou les gens qui font quelque chose d’intense, je pense que c’est une période de crise mais c’est tomber dans un cliché de dire que c’est une période de crise, pour moi c’est aussi de très bons souvenirs aussi donc c’est des souvenirs très intenses, très forts, c’est un temps où la vie a des couleurs magnifiques, donc … Je suis persuadé qu’il y a une grande différence entre la crise d’adolescence ou l’adolescence […..] chez les gens qui font de la danse ou qui jouent aux échecs ou au tennis (il a les bras croisés et tendus). La différence, c’est que nous vers la fin de l’adolescence on est déjà professionnels. Avec le recul, je garde le souvenir de choses assez intenses ; il y a beaucoup de souvenirs heureux d’adolescence, beaucoup d’excès, beaucoup d’excès, dans les sentiments, on était très cadrés, mais beaucoup de tristesse mais aussi beaucoup de joies. Mais je pense que l’adolescence aussi, c’est peut-être le moment où on commence à donner un sens artistique et à essayer de lier …où la danse devient aussi un auxiliaire de vie. J’ai commencé à, par exemple, dans certains mouvements à vouloir traduire des choses de ma vie. .. De toute façon c’est inconscient c’est absolument pas quelque chose de très raisonné démarche artistique naissante… J’ai surtout le souvenir d’un enfant qui voulait faire, comme on dit : son intéressant et qui voulait être remarqué comme par exemple bien sûr vous avez des figures héroïques, quand vous êtes adolescent …qui étaient dans la danse mais pas forcément, dans le monde du cinéma ou du sport ou même du théâtre. Une sorte de religion un petit peu panthéiste comme ça avec plusieurs dieux, si vous voulez et voilà j’essayais d’être [….] bon aussi j’ai lu quelque part que la musique c’est une définition, c’est l’art de toucher les corps. Donc, à partir de ce moment-là, bon vous essayez …
Il n’y avait pas forcément un thème, vous avez une mélodie et puis ça vous prend comme ça, ça bouleverse et puis ça peut être un sentiment de jubilation, de joie, ça peut même être…. Vous êtes amoureux par exemple alors évidemment c’est toujours très fort à l’adolescence, alors en général les amours adolescentes sont assez lyriques. Ce n’était pas tellement réfléchi mais, parce que si vous voulez, au bout d’un moment j’avais un problème de saturation déjà. J’avais déjà 4 ans 5 ans intensifs au cours des exercices, qu’est-ce que vous allez faire de cet exercice ? Si à un moment donné vous n’avez pas lié votre art avec votre vie, bon c’est de la technique. Donc, voilà et puis ….. Gérard Depardieu disait dans une interview «Ce qui est formidable avec la culture c’est que finalement on peut parler de soi » Alors c’est rigolo et puis c’est un peu vrai aussi. Et donc voilà comme je fais en ce moment, si vous voulez, mais sur un [….] artistique, on parle de soi. On se raconte sa vie à soi même et puis en même temps on la projette sur autrui. Je n’avais pas un thème mais des pulsions, pulsations, des énergies comme ça (il bouge les bras). Même un sportif extraordinaire qui donne une impression de générosité, vous espérez peut-être un jour de pouvoir être capable de dégager à la fois cette sensibilité cette puissance cette générosité cette aura alors moi j’avais un souvenir de cette énergie du rock and roll, du gars qui était à genoux écrasé par ces lumières donc ce gars qui jouait comme ça ; je me souviens j’étais épuisé et le but du jeu c’était d’avoir cette énergie.
E - Est-ce qu’il faut avoir un corps spécifique pour la danse classique professionnelle ?
C - Moins qu’avant, on ne vise pas forcément au […] le rôle du répertoire. Oui, sinon ça reste très discutable…Si vous allez jouer devant un public […] les choses ont changé vis-à-vis du groupe…
E – Vous, comme professeur, qu’est-ce que vous chercherez dans le corps du danseur ?
C - La situation ici est différente. Pour moi ici comme professeur j’ai dû apprendre à savoir quoi faire de mon bagage, c’est-à-dire comment gérer mes années d’apprentissage vis-à-vis d’élèves qui n’ont pas eu le même parcours que moi. C'est-à-dire que j’avais une formation comme, si je veux dire, [….] une méthode, qui est quand même faite pour certains corps et donc il a fallu pour moi apprendre au départ comment gérer, il y a quand même toujours des critères de souplesse pour moi de souplesse et d’énergie de coordination. Maintenant de façon plus spécifique : en dehors des empeignes oui, bien sûr. Je dirais que toute proportion gardée, […]. Si le potentiel physique si il est là tant mieux mais il y a beaucoup de choses à faire et si les danseurs n’ont pas un physique complètement facile… mais si le corps est éveillé…
E - Dans la danse classique il faut avoir une esthétique précise ?
C - La danse classique est codifiée c’est vrai mais il y a certaines qualités … Quand j’ai arrêté de danser, j’y ai pris plaisir et puis j’avais le sentiment que ….
E - Vous avez arrêté à quel moment ?
C - J’ai arrêté à 30 ans. Je voulais commencé plus tôt ma reconversion...J’avais un sentiment un petit peu de saturation. Je voulais un métier qui m’intéresse, dans lequel je puisse m’investir et je savais qu’il fallait une formation. J’ai quand même fait pas mal de compagnies. J’avais le sentiment en continuant ou en cherchant d’autres compagnies, j’avais ma fille qui était née, donc si vous voulez il fallait quand même assurer, je voulais une vie normale, je voulais être sédentaire aussi. Donc, voilà ces 3 raisons, Je préférais faire une reconversion à trente ans qu’à quarante ans parce que je savais que c’était plus facile au point de vue énergie.
E - Vous voulez avoir une vie normale ?
C - Je ne sais pas ce que c’est une vie normale. Pour moi, ma vie à l’école de danse a été complètement normale ; la vie normale c’est la vie que vous vivez, je peux savoir ce que c’est une vie heureuse, une vie malheureuse, je peux savoir ce que c’est le sentiment de faire ce qu’on veut. Mais une vie normale, je ne sais pas ce que c’est…Pour moi, une vie artistique c’est une vie tout à fait normale. La normalité elle est dans le génie, c’est quand, peut-être la normalité c’est plusieurs vies. Il y a des gens qui ont du drame dans leur vie […] C’est dramatique mais c’est normal. Ils sont heureux c’est bien, mais c’est normal. Je ne sais pas ce que c’est une vie normale.
E - Vous avez commencé professionnellement à quel âge ?
C - 17 ans.
E - Et à ce moment-là vous étiez à l’Opéra ?
C - Oui, oui.
E - Et comment ça s’est passé de l’école au ballet ?
C - […] C’était difficile parce que je pensais finalement, comme je le disais, on était très exposés mais aussi très protégés donc on passait d’une vie très structurée. Par exemple quand vous êtes enfant vous savez que si vous avez bien travaillé, vous êtes en 6ème vous passez en 5ème d’accord.Alors que là vous avez un système de progression comme ça qui est quadrillé pour vous vous comprenez pour passer un échelon. Quand je suis arrivé avec des gens très motivés et encore très naïfs. Et là je suis arrivé dans un monde vraiment d’adultes qui est quand même difficile, cynique ; alors ça j’ai pas très aimé. Ça c’est des souvenirs difficiles. (Long silence) Parce que pour moi à l’école de danse (il plie ses jambes) la compétition était très saine. Si vous êtes mieux vous êtes mieux Il y avait comme une échéance un peu athlétique si vous voulez. C’est normal c’est dur c’est juste. Donc l’ordre des choses pour les enfants, dans la vie adulte c’est beaucoup plus subtil, tout compte : le relationnel, le niveau de compétence technique, les compétences relationnelles, la chance, et puis vous êtes confronté à… oui, un monde d’adultes difficile et un monde d’adultes aussi en vase clos plus difficile, la vie d’une compagnie, c’est une troupe, donc c’est un huis clos, même si il y a beaucoup de gens. Ça c’est je pense que pour un type qui sort de l’école… d’une école, ça c’est difficile, c’est difficile, en plus de ça vous… ouais, la compétition est, en plus écrasante, écrasante, moi j’ai vécu beaucoup de choses comme ça. J’avais le sentiment d’exister à l’école de danse, mais, dans le ballet, j’ai eu le sentiment d’être noyé dans la masse, et de relations assez tendues entre les gens. Ce sont des relations, je pense, exactement les mêmes que dans un bureau, dans un bureau, hein, mais euh…on a une vision quand même assez naïve [….] travaille bien [….] le monde des adultes est beaucoup plus subtil ; ça, pour moi, c’est un choc, bien plus que l’école de danse. De plus, moi j’avais des centres d’intérêts aussi que je partageais avec mes collègues, mais que je retrouvais pas forcément chez les gens avec qui je travaillais, certainement aussi parce que les gens se protègent, les gens se protègent, donc, exposer vos centres d’intérêts, c’est aussi vous exposer vous-même, d’une certaine façon ; donc, moi ma vie privée en dehors de l’opéra était beaucoup avec des gens qui faisaient des études, pas assez ….c’est aussi une situation qui fait que comme je ne me sentais pas très valorisé dans mon travail, j’avais besoin aussi de voir un autre univers pour réaliser que le monde du travail, mon monde, n’était pas le seul univers, ça j’en suis persuadé, mais bon, [….]. Les premières années de professionnel […]
E - Et après …?
C - J’ai fait quatre ans d’Opéra où j’ai compris, si vous voulez que, ben….que l’avenir était un peu bouché parce que j’avais des gens plus forts que moi et que pareil il faut être très bon pour exister pour se sentir exister ; et puis comme on avait tellement travaillé, on avait tellement investi qu’on avait beaucoup de plaisir à le faire, je me suis dit qu’en allant ailleurs, je pourrais m’épanouir un petit peu vis-à-vis de l’apprentissage ce qui se passe dans la plupart des cas. Donc, je suis parti de l’Opéra, je suis allé en Hollande, parce que, à l’Opéra de Paris, j’avais rencontré un chorégraphe, qui s’appelait Van Mutzig, avec qui j’ai parlé et qui m’a donné un rôle à l’Opéra de Paris, [….] et puis j’ai donné ma démission à l’Opéra de Paris, ce qui à l’époque ne se faisait pas beaucoup mais après ça s’est fait ; je pense aussi que je faisais partie d’une autre génération. Claude Bessy a fait des choses très attaquées et aussi [….] et euh… moi, je faisais partie d’une génération où on avait beaucoup travaillé avec plaisir et je n’avais pas envie d’une vie de fonctionnaire à vingt ans, je n’avais pas envie à vingt ans […] Non ! Pas à vingt ans ! Non !
E - Et pourquoi c’était important ce rôle de soliste ?
C - Fffff… parce que … quand vous faites un métier artistique, vous avez envie de [….] parce que votre Ego a envie, parce que c’est un métier, moi je suis pas persuadé que l’artiste soit très narcissique, je pense que l’artiste est très égoïste, est très égocentrique, mais je pense pas que les danseurs, en tous cas, de même peut-être que les comédiens, s’aiment beaucoup, je pense qu’ils pensent beaucoup à eux, comme la plupart des gens mais je suis pas persuadé qu’ils s’aiment beaucoup je pense que…. ils se respectent, ils s’intéressent beaucoup mais je suis pas persuadé qu’ils s’aident pour ça mais bon c’est peut-être aussi ce qui les rend féconds aussi, […] et donc, aussi, je pense qu’il y a quand même pour la plupart une sensibilité, évidemment c’est un cliché de le dire, donc que…. il y a le besoin d’être connu d’être aimé, le simple fait de dire aussi que quand on voit ça en soliste c’est quand même plus motivant oui parce que c’est vous vous avez projeté, quand vous êtes derrière bon il y a quand même le travail bien fait, mais c’est différent, puis à vingt ans, le chanteur sur scène …. [….] vous savez qu’un enfant qui fait son intéressant devant la glace en s’imaginant chanter dans un stade, c’est exactement les mêmes raisons mais (rires) mais elles sont plus élaborées, après il y a de meilleures raisons, mais au départ, il y a quand même ce sentiment là. Je pense qu’il faut un minimum de reconnaissance pour pouvoir s’épanouir même si la reconnaissance est […]
E - Vous aviez ce rôle de soliste…vous êtes parti en Hollande ?
C - Non, j’ai eu ce rôle de soliste, bon, qui m’a apporté, c’est comme ça que l’ai vécu en tous cas, quelques petites reconnaissances, quelques petits bravos, qui n’ont pas duré plus d’une semaine, hein, mais pour moi, c’était important parce que, bon ça m’a conforté un petit peu dans mon estime de moi, mais ma décision était prise de toutes façons, je savais que je voulais partir, de toutes façons, de toutes façons le simple fait que ce rôle ait plutôt bien marché n’aurait pas changé ma carrière à l’Opéra de Paris, de beaucoup, de beaucoup. Donc, si je ne pouvais pas avoir ce que voulais à l’Opéra de Paris, il fallait tenter une autre aventure, à vingt ans, on peut le faire, si quelque chose ne marche pas, il faut avoir le bon sens de dire : ça ne marche pas, est-ce que je peux vivre sur cet échec là ou est-ce qu’il faut que prenne une autre voie ?
E - Donc, vous êtes parti en Hollande … pour faire …. ?
C - Ouais, je suis parti en Hollande, et puis après au Canada, et puis après je suis revenu en France …..
E - Et comment vous vivez cette manière, eh bien maintenant d’être prof ?
C - Pour moi ça été euh ….Je l’ai très bien vécu. Il y a des gens qui ont du mal à arrêter de danser, mais la plupart des gens que j’ai entendu dire avoir eu du mal à arrêter de danser dans une carrière nationale ou internationale, donc moi c’était pas mon cas, donc, si vous voulez, je pense j’avais moins à regretter et c’était formidable pour moi de pouvoir investir mon énergie dans quelque chose d’autre et non pas sur moi. L’ego est le même, hein, je veux dire, c’est, être prof, c’est travailler pour les autres, mais le narcissisme il est le même hein, mais il investit différemment, c'est-à-dire que le prof qui s’oublie, pour moi le prof qui s’oublie en disant je ne suis que générosité, je n’y crois pas une seconde, c’est pas vrai, vous avez un sentiment de fierté, quand un élève a réussi à faire quelque chose, je suis persuadé que c’est une synergie, c’est un travail d’équipe, voilà en fait c’est ça, l’ego, il est le même mais il y a un travail d’équipe, alors que le danseur, il y a un travail d’équipe aussi […] mais c’est plus flagrant dans le professorat et ça, ça m’a reposé un petit peu d’arrêter de me sculpter moi et de sculpter un peu plus les autres et entant que prof vous sculptez quand même aussi parce que ….dans votre enseignement ….
E - Qu’est-ce que vous dites ?
C - Sculpter. Ah ! Parce qu’il faut donner une forme, une identité à votre enseignement, ce que la plupart des profs classiques reproduisent beaucoup de choses, hein, le problème c’est qu’est-ce vous allez choisir, qu’est-ce que vous allez … enseigner c’est choisir aussi, pour moi faut transmettre la tradition à travers un filtre qui est vous, c’est ça qui est intéressant.
E - Et vous, quand vous étiez élève, ça se passait comment avec les profs ? On peut en parler ou … ?
C - Cela dépendait des profs, il y a des profs qui… avec lesquels j’avais beaucoup de plaisir à travailler, qui m’ont marqué, euh….qui sont partis, qui sont partis, qui m’ont façonné, [….]
E - De quelle manière ?
C - De manière différente, il y en a chez qui ….il y en a qui sont pour moi une référence constante dans la façon de penser, ….. Qu’est-ce qu’ils veulent obtenir ? Comment ils amènent à ça ? La démarche ? D’autres simplement parce qu’il y avait une atmosphère dans le cours très apaisante….certains m’ont laissé un souvenir, technique, d’autres plus affectif ou les deux, mais je ne peux pas dire, voilà : tel genre de profs, non... j’ai plusieurs facettes en moi, comme tout le monde. Il y en a qui ne correspondaient à aucune facette …..(Silence).
E - Avez-vous quelque chose à ajouter ?
C - Je dirai, euh, je dirai que euh, je dirai quoi ? Je dirai que…euh c’est un métier dur, c’est un métier aussi où l’on a une chance de travailler sur soi… […] cette opportunité-là, donc je pense que c’est un métier qui permet de se réaliser ; si j’avais le choix, j’aurais aimé avoir plusieurs métiers dans ma vie, mais c’est difficile de concilier dans la vie quotidienne ; donc, je suis heureux d’avoir fait ça ; mon regret c’est pas, mon regret c’est de ne pas pu avoir un deuxième métier complètement différent pas forcément métier mais j’aurais aimé pouvoir avoir la possibilité de m’investir presque autant dans une autre discipline, pas forcément artistique, en tous cas ou littéraire ou même scientifique, voilà, j’aurais aimé, si vous voulez, pouvoir jongler avec deux univers, or que là si vous voulez, j’ai l’impression d’avoir une grille de lecture du monde, un peu pointue, parce que je pense être un spécialiste, comme n’importe qui a fait ce métier là depuis vingt ans, bon mon regret personnel c’est de ne pas pouvoir avoir une compétence euh… presque égale dans un autre domaine, ça c’est moi j’aurais aimé aussi pouvoir faire des études en même temps, mais mener les deux de front, j’ai l’impression de … depuis …[…] mais bon, j’essaie comme tout le monde […] c’est très modeste…… à travers la littérature, un petit peu d’échecs, …même un petit peu de sport, mais voila ça reste […] sinon… moi j’estime que.. Jusqu’ au jour d’aujourd’hui en général j’ai eu ma chance.
E – Merci.
N.B. : E : enquêtrice : nous-même.