Véronique (maîtresse de ballet)

51 ans.

Durée : 1 heure.

E - Comment avez-vous commencé dans la danse ?

V - J’ai commencé quand j’étais toute petite, à trois ans. C'est-à-dire, c’est pas moi qui ait voulu faire de la danse, c’est ma mère qui m’a inscrite dans un cours de danse,c’était un cours de danse rythmique, c’était un petit peu gymnastique rythmique et puis après j’ai voulu faire de la danse classique, donc à huit ans j’ai fait de la danse classique et ça, là, ça c’était mon désir à moi, et voilà j’ai fait que ça, la danse classique jusqu’à être professionnelle, et puis après j’ai été dans une compagnie contemporaine et maintenant je suis maîtresse de ballet, j’ai arrêté de danser il y a dix ans, douze ans, même.

E - Et à huit ans, pourquoi avez-vous choisi la danse classique ?

V - Parce que c’était un peu un rêve de petite fille, de… d’avoir un tutu et de mettre des pointes ; c’était un petit peu quelque chose de … un peu du domaine de la … du rêve, et j’avais envie d’être sur scène et de danser.

E - Et après, vous êtes entrée dans une compagnie, dans une école … ?

V - Après je suis rentrée à l’école de l’Opéra et puis, enfin …. juste avant de rentrer à l’école de l’Opéra j’ai eu l’occasion de tourner un film, un petit film de télévision qui s’appelait « L’Age heureux » qui est passé en feuilleton à la télévision qui a été assez connu en France, qui racontait l’histoire de petits rats de l’Opéra ; donc, j’ai fait ce film quand j’avais onze ans et puis après je suis rentrée à l’Opéra parce que mon rêve c’était d’être danseuse-étoile de l’Opéra. Et puis après cinq ans d’école de danse à l’Opéra, j’étais très grande donc les jurys on dit : « C’est bien mais vous êtes trop grande pour entrer à l’Opéra, donc il faudrait que vous trouviez du travail ». Et là à dix sept ans j’ai trouvé une compagnie avec laquelle j’ai commencé à danser, et voilà c’est parti, à partir de l’âge de dix sept ans j’ai travaillé dans une compagnie qui dansait classique…ment, classique.

E - Comment avez-vous vécu votre entrée à l’Opéra ?

V - L’entrée à l’Opéra, j’étais très heureuse parce que j’avais pas envie de faire d’études, je m’embêtais à l’école, au lycée, c’était un petit peu une façon de faire moins d’études parce que l’on était à l’école à mi-temps, une moitié de la journée, et puis c’était mon rêve et j’avais envie de danser et donc c’était génial, c’était pas du tout difficile, c’était pas du tout des privations, c’était juste la joie donc d’être enfant et de faire quelque chose, qu’on adorait faire. J’ai eu des parents très compréhensifs qui m’ont poussée à travailler, qui m’ont payé des cours particuliers, qui m’ont aidée psychologiquement et financièrement à accomplir ce que j’avais envie de faire.

E - Comment se faisait cette aide psychologique ?

V - C’était que ma mère était très présente, elle m’accompagnait au niveau des trajets, pour pas que je sois toute seule, quand j’étais petite, elle allait me chercher, quand, à l’Opéra, je faisais de la figuration, le soir, elle venait avec moi, elle attendait dans un café, elle repartait, c’était...c’était… une grande aide et puis je sentais que ma famille me soutenait parce que c’était un métier qu’eux ne connaissaient pas et que c’était un petit peu original et donc ils trouvaient que c’était bien d’avoir une fille qui aime la danse et qui soit artiste. Au départ, mon père était très contre, parce qu’il avait peur justement que je ne fasse pas d’études, et que je, mais après il s’est dit une femme c’est moins grave (rires) il a dit : bon…ben…bof…ça ira ; les frères, mes frères faisaient des études et elle elle trouvera bien à se marier si jamais elle réussit pas (rires) c’est moins important ; donc, il s’est laissé faire comme ça.

E - Pour danser professionnellement comment cela s’est-il passé ?

V - Pour danser, j’ai passé une audition, j’ai vu un petit papier dans un cours de danse à Paris, qui était assez connu, il y avait tous les danseurs de l’Opéra, chez Raymond Franchetti qui demandait, un chorégraphe que je ne connaissais pas, qui demandait des danseurs pour des spectacles à 18 h 30, au Théâtre de la Ville, et c’était au début où il y avait des spectacles à 18 h 30, c’était assez rare, c’était le début de la danse au Théâtre de la Ville qui est à Paris un théâtre assez connu pour la danse et euh…ben, j’ai été engagée avec deux autres garçons aussi et puis à partir de là on … ça été un spectacle qui a très bien marché, qui a eu de très bonnes critiques, et on est parti à travers le monde, assez vite et on a fait des…des…c’était une compagnie de renommée internationale, assez rapidement, donc tout de suite j’ai eu…j’ai eu beaucoup de chance, voilà et je m’entendais bien avec les chorégraphes, c’était ce qui me correspondait, j’aimais ça et c’était une belle aventure.

E - Comment ça se passait avec le groupe de danseurs professionnels ?

V - Euh…ils étaient un petit peu plus âgés que moi, mais comme j’étais euh…Fffff…normalement, ça s’est passé bien, j’ai été bien acceptée, enfin y avait pas des problèmes, j’avais un petit peu mon étiquette de l’Opéra qui les…qui les…qui les rendait un peu…admi …enfin…admiratifs, j’avais une bonne technique, j’étais…mais euh….voilà, après c’était des tempéraments, des gens avec qui j’aimais travailler, et puis on travaillait beaucoup avec des musiciens aussi donc y avait, donc vraiment c’était un groupe artistique fort autour de ce chorégraphe-là spécialement.

E - Après, comment êtes-vous devenue professeure ?

V - Alors après après après, (rires) j’ai eu un accident du dos, c'est-à-dire que je n’ai plus pu danser à quarante ans, parce je voulais danser beaucoup et j’ai voulu continuer malgré mes problèmes de dos et un jour sur la scène j’ai pas dansé, je suis sortie en rampant enfin c’était le drame et donc après je pouvais plus danseret le directeur d’avant : Philipe Cohen, que je connaissais, parce que tu sais, le monde de la danse est assez petit donc on se connaissait de vue un petit peu, a entendu dire que j’allais arrêter de danser et m’a tout de suite demandé de venir travailler ici au Conservatoire, mais je n’avais jamais enseigné, je n’avais jamais réfléchi à ce que j’allais faire après la danse, pour moi, je vivais au jour le jour, et c’était… et je pensais pas à après et il se trouve que ça….parce que, physiquement, je ne pouvais plus danser, donc tu es obligée de faire un autre métier, donc j’avais pas vraiment de regrets dans le sens où physiquement je pouvais pas, je pouvais plus.

E - Mais pourquoi avez-vous eu ce problème de dos ?

V - Bofff, je sais pas, c’est…je sais que mon frère a… des problèmes, aussi des hernies discales, des problèmes de dos, je pense que j’étais pas souple du bas du dos, et que physiquement la danse classique c’est très dur et on m’a forcée, forcée, forcée et euh… (quelqu’un ouvre une porte : « oui oui, viens viens ») et donc un moment ça a….j’ai déjà eu, enfin j’avais déjà eu des problèmes, avant j’avais subi une opération puis j’ai voulu redanser, pendant sept ans j’ai redansé et puis au bout de sept ans ça a encore..ça… la hernie discale….elle est sortie et là c’était définitif, j’ai été opérée et là fallait arrêter, en même temps ça correspondait à la quarantaine c’était bien d’arrêter de danser aussi ; si j’avais pas eu d’accident j’aurais peut être été un peu….désorientée ou…j’aurais aimé pour terminer ma carrière, sincèrement j’aurais aimé travailler avec Pina Bausch, parce que ç’aurait bien fait le tour de tout ce que j’avais fait : la danse classique, la danse contemporaine, la danse-théâtre. Mais voilà c’est ….la vie c’est….a été différente et je suis très contente maintenant. J’ai eu de la chance. Je te, pense que j’étais douée, j’étais une bonne danseuse, une très bonne danseuse même, mais j’étais douée, j’ai eu de la chance et voilà, ça s’est plutôt bien passé ma carrière.

E - Vos professeurs vous ont-ils forcée à travailler, quand vous aviez mal au dos ?

V - Y avait une pression quand même….y avait une pression….ouais…C'est-à-dire la pression je me la mettais moi parce que faire un spectacle pour moi c’était primordial, hein, ne pas danser dans un spectacle c’était terrible, donc moi je me mettais la pression moi-même et puis on sentait aussi comme on était souvent dans des compagnies ou y avait pas beaucoup de monde, si y en avait un qui se faisait mal ça déséquilibrait le spectacle et donc…. ; ouais, je peux dire que jjjje….y avait tout autour un consensus de de ….ouais qui faisait que c’était bien si je continuais à danser avec mal un peu mal…ça m’a un p…ouais…sûrement même.

E - Donc, vous avez eu différentes blessures … ?

V - Beaucoup, j’ai eu mal partout, tout le temps des entorses, des genoux, des ménisques, des…ouais moi j’ai beaucoup souffert, comme danseuse physiquement, j’avais mal aux pieds dans mes pointes, j’avais des ampoules terribles…ouais j’ai souffert… ouais.

E - De quelle manière ?

V - Physiquement. Faire un spectacle avec une ampoule comme ça au pied ça fait mal, avoir des séquelles d’entorses ; après avoir eu une entorse essayer de revouloir danser le plus vite possible parce qu’il y a une tournée qui arrive, ben…c’est douloureux on n’est pas libérée et euh… et puis physiquement c’est fatigant de danser, physiquement c’est fatigant : les spectacles, les tournées, les chambres d’hôtel, les décalages horaires.

E - Est-ce que vous avez remarqué aussi des problèmes d’anorexie ou de boulimie ?

V - Oh non, jamais non, j’étais maigre comme un clou donc, moi je n’ai jamais eu de problème.

E - Avez-vous remarqué chez les autres ?

V - Ouais, y avait des filles qui avaient des histoires de régime et de choses comme ça, ça c’était… ça c’était dur, ouais, moi j’ai pas eu ça…j’ai pas connu ça du tout.

E - Et ensuite comme professeure ?

V - En fait, je suis professeure, enfin maîtresse de ballet, donc je m’occupe du jeune ballet, c’est ça mon métier et je donne des cours classiques, un petit peu, je donne pas des cours tous les jours, je donne des cours deux fois par semaine, et je donne des cours quand on est en tournée, quand on a des spectacles, je ne suis pas professeure de danse, j’ai pas été engagée ici comme professeure de danse, mais comme maîtresse de ballet. C’est un petit peu différent.

E - Comment ça se passe avec vos élèves ?

V - En fait, oui, oui j’ai été un peu….comment dire, parachutée maîtresse de ballet, je savais pas donner un cours, je savais pas faire répéter, j’avais jamais rien fait, j’avais jamais parlé à plus de quinze personnes à la fois, c’était difficile ; au début, la première année c’était terrible, terrible, je pleurais tous les jours, j’en avais marre, j’avais mal au dos en plus, parce que j’avais les séquelles de mon opération qui allait pas très bien, j’avais déménagé, j’avais quarante ans, j’avais tout qui était trop, c’était trop de changements, et puis petit à petit, ça voilà, j’ai eu confiance, on m’a donné confiance et je me suis sentie bien dans ce métier, et petit à petit ça a été, ça va.

E - Pensez-vous, que les professeurs, vous deviez sculpter un corps pour la danse classique ?

V - Qu’est-ce que vous voulez….c’est quoi sculpter ?

E - Oui, faut-il avoir un corps spécifique pour faire de la danse classique ?

V - Euh…pour être danseuse classique, c’est sûr, c’est sûr…..danseuse classique, mais y a d’autres danses maintenant que la danse classique et donc si vous avez une forte personnalité, une forte technique, une forte originalité de danse et si vous aimez ça et si vous avez de la chance, ça va aller, vous allez pouvoir être danseuse, même si vous n’avez pas un corps long, avec des muscles longs, comme comme c’est la mode, ouais c’est de l’esthétique en ce moment, pour la danse et pour la vie, la publicité, pour les femmes en général. Maintenant on a l’impression que le corps de la femme, chacun a son corps propre et ça va ça va un petit peu mieux, mais pas dans toutes les compagnies, hein… les compagnies contemporaines, y a pas de moules, de corps de femme, dans les compagnies classiques encore, oui.

E - Y a-t-il une esthétique spécifique dans la danse classique ?

V - Une esthétique de corps, une esthétique de ….ben oui c’est ça, plus on est long et mince et mieux c’est, physiquement, oui, mais y a pas que ça hein. Y a pas que ça.

Ben y a aussi le fait que quand on est léger on danse plus facilement que quand on a des bourrelets autour de la taille hein, on est plus léger donc on est plus dynamique dans son corps, et… on peut bouger mieux, c’est un petit peu comme les sportifs aussi physiquement il faut être top niveau physiquement dans les muscles et dans son corps ; si on est un peu enrobée c’est plus difficile, de passer en telles choses techniques, qui en danse classique sont assez difficiles à faire et demandent vraiment un niveau de forme physique (pause) maximum.

E - Donc, en général, comment avez-vous vécu dans la danse classique, comment vous êtes-vous sentie ?

V - Moi, j’ai adoré ça, parce que physiquement c’était un peu ….moi je… comment dire, j’aimais bien transpirer, j’aimais bien aller au bout d’un mouvement et puis la rencontre avec le chorégraphe était aussi passionnante. J’aimais exécuter ce qu’on me montrait, j’aimais participer à une chorégraphie, reproduire les mouvements qu’on me proposait ou même en proposer d’autres, mais j’aimais bien être dirigée, c’est ça oui…

E - Comment était votre relation avec les chorégraphes ?

V - C’était primordial quoi, enfin c’était une relation d’échange. Je n’ai pas fait….J’ai jamais fait de ballet classique, j’ai jamais fait « Le Lac des Cygnes » « Gisèle » et tout ça ; je les ai vus beaucoup à l’Opéra, mais je n’ai jamais fait. J’ai fait des ballets classiques sur pointes mais pas des grands ballets du Répertoire, donc ça je peux pas vous dire comment ça se passe.

E - Non, mais je veux dire, avec les chorégraphes ?

V - Ben, y avait une grande entente, une grande confiance, et puis une admiration mutuelle, comme ça, ça pouvait monter et aller très très loin.

E - Et avec les danseurs qui étaient avec vous ?

V - Oui. C’était pareil aussi ; ça dépendait, c’était des petits groupes ; moi, j’ai appartenu, en fait, à deux compagnies où on était ….dans la première on était une douzaine et puis après dans une compagnie contemporaine où on était pareil un petit groupe aussi de huit personnes et donc là c’était très….enfin c’était très fort ce qui se passait parce qu’on était dans la même aventure, on était dans la même direction ; j’ai aussi appartenu à une grande compagnie, c’était le Ballet de Lyon où là c’était….y avait des corps de ballet, solistes, principale, donc c’était un petit peu différent, du coup enfin, c’était différent, l’esprit était différent, c’était …..y avait plus de personnes, on avait moins d’affinités, on était un peu chacun dans son coin. Moi j’étais privilégiée parce que j’étais la danseuse principale, mais on pouvait pas être bien avec tout le monde, y avait des choses qu’on aimait, y avait des chorégraphes invités aussi [….]

E - Pensez-vous que les danseurs ou les danseuses sont un peu égoïstes ?

V - Oui, ben oui, enfin oui, oui, oui, comme tout le monde, comme le charcutier, comme le teinturier, le médecin, tout dépend du caractère je crois ; je crois qu’il faut s’aimer ou en tout cas il faut connaître ses limites et il faut savoir dans quelle direction on peut aller pour que ça marche et puis il faut accepter ses défauts, faire avec ses défauts et puis en profiter aussi de temps en temps parce qu’on est pas parfait on est pas des machines, donc il faut être assez fort pour pouvoir diriger sa vie de danseuse et de femme, petit à petit se connaître. Je crois que la danse c’est un des métiers qui…là où…enfin….là où on travaille le plus et là où on se met le plus à nu, par rapport à d’autres métiers qui sont le théâtre, la musique ou la peinture, c’est pas moi qui l’ai dit mais c’est souvent des amis qui sont comédiens ou musiciens et ils ont vraiment remarquer que les danseurs étaient des bêtes de travail.

E - Des bêtes de travail ?

V - Des bêtes de travail, ça veut dire des qui travaillent beaucoup plus dur que tout le monde, c’était, ouais….

E - Et vous le pensez aussi ?

V - Oui. Moi aussi. Oui. Ils intellectualisent pas, ils tchatchent pas, ils parlent pas sur leur métier, ils font d’abord, ils font et ils transpirent et ils sont crevés. Je dis pas que les musiciens ne travaillent mais c’est sans comparaison avec la charge de, enfin qu’on a tous les jours vis-à-vis de la danse, du cours le matin jusqu’au spectacle après.

E - D’accord, cet effort, tout ça ?

V - Mais c’est un effort qui en fait passe, enfin, enfin oui y a un effort mais c’est pas pesant du tout ; souvent les gens me disent « oh là là, mais c’est dur, quelle discipline, vous devez pas vous coucher tard, vous devez pas boire, vous devez pas fumer » c’est complètement faux y en a qui fument, y en a qui boivent et qui sont de très bons danseurs et c’est une discipline, qui en fait, comme on aime ça…moi j’avais l’impression d’être toujours en vacances quand j’étais danseuse. Je ne savais pas ce que c’était de travailler vraiment pas. Je ne pouvais pas imaginer qu’il y avait des gens qui s’emmerdaient au boulot, qui devaient faire leurs heures, et qui devaient être sous la direction d’un chef. Moi, ça coulait la vie de danseuse, j’étais en tournées, j’allais dans les grands hôtels, j’avais du succès, j’avais des bons articles, vraiment c’était une belle vie, une belle vie.

E - ça a été un plaisir pour vous ?

V - Ouais, ouais ouais, ça a été une chance, un plaisir.

E - Vous avez eu des problèmes de corps mais avez-vous eu d’autres problèmes ?

V- Oui, en tant que femme avec des enfants ; ce n’était pas évident d’être une femme danseuse avec des enfants. Parce que les danseuses elles n’ont pas d’enfants. Moi j’ai eu des enfants très jeune et ça été un peu….Enfin, j’avais mes parents qui m’entouraient beaucoup et qui s’occupaient bien de mes enfants quand j’ai eu des enfants petits, donc j’ai eu de la chance. Mais je sentais que c’était bizarre un peu d’avoir des enfants en tant que danseuse, parce que la danseuse elle pense qu’à ça et moi j’avais ma vie de danseuse et ma vie de femme et toujours tiraillée un petit peu entre les deux.

E - Vous avez eu vos enfants avant de commencer à danser ?

V- Non, j’ai eu mon fils à vingt ans, donc j’avais déjà fait deux ans, trois ans de danse. Donc, au début de ma carrière, en fait, au début.

E - Donc, pour eux c’était bien compatible ?

V - Ah oui, oui moi j’aurais tout….j’aurais pas fait autre chose, j’aurais pas…oui oui, je…bien sûr. C’était un accident mais (rire) un bon accident. Oui, j’ai jamais…je voulais pas un enfant…j’avais pas pensé….c’est tombé comme ça et c’était génial.

E - Et maintenant qu’est-ce qu’ils font ?

V - Alors j’ai un fils qui donc a trente ans et qui est professeur de philosophie, j’ai une fille qui a vingt six ans et qui est professeure d’éducation physique, j’ai une petite fille qui a huit ans, et qui est à l’école là…et une autre petite fille qui a six ans et qui est à l’école. J’ai eu deux vies en fait hein.. J’ai eu une vie avec mes deux grands enfants et une j’ai eu une autre vie avec deux petits enfants, avec des hommes différents. Voilà.

E - Voulez-vous ajouter quelque chose ?

V - Ben, je ne sais pas euh…

E - Eh bien, comme maîtresse de ballet ?

V - Comme maîtresse de ballet non. Ffff, des fois c’est un boulot difficile parce que c’est pompant, c’est fatigant, c’est ….Faut les tenir hein. C’est parce que les cours de danse on propose son travail, puis au bout d’une heure et demie c’est fini, on rentre à la maison ça va. Mais maîtresse de ballet, il faut être là quand les chorégraphes font leur chorégraphie et puis quand ils sont partis il faut garder la chorégraphie en état avec tous les problèmes que ça comporte, les danseurs, le caractère des danseurs, les spectacles ; ils sont dans une école, ils sont pas tout à fait professionnels ; donc, y a des années ou c’est plus ou moins difficile, c’est vrai. Mais avec mon expérience, maintenant, ça va, ça va. Le seul truc c’est que maintenant pour devenir danseur c’est de plus en plus difficile quoi, bon c’est vrai que ça fait un petit peu peur de les faire travailler, travailler, il faut être vraiment très très bon pour réussir à être professionnel ; ça c’est difficile d’être très bon. Donc, même s’ils sont dans une école supérieure, il faut acquérir un certain niveau, qui est peut être pas toujours le cas au bout de trois ans donc souvent moi j’ai des problèmes à la fin de l’année où ils n’ont pas trouvé du travail, certains, du coup le moral baisse, il faut les aider. J’ai deux filles que vous avez vues au cours l’autre jour qui reviennent en ce moment qui étaient avec moi l’année dernière, […] classiques qui n’ont pas trouvé de travail, enfin qui en ont trouvé un peu puis ça s’est arrêté ; donc, ça c’est difficile à gérer. Quand je les vois perdues, elles savent pas où aller et tout…c’est … Y en a dans la classe aussi souvent qui ont décidé d’arrêter la danse après leurs années d’étude au Conservatoire parce qu’elles ont pas réussi, enfin je dis elles, mais les garçons aussi, qui n’ont pas réussi à trouver du travail.

E - Dans ce cas, est-ce que vous pouvez les aider ?

V - Ben non, je peux pas les aider plus que …..ben non je peux pas à part qu’ils sont libres et bienvenus dans les cours mais c’est à eux de faire leur recherche personnelle, de trouver des compagnies, des chorégraphes qui veuillent bien les engager après les cartes sont dans leurs mains et c’est eux qui se débrouillent avec ça. Ils ont aussi un bon enseignement ici et avant de rentrer ici aussi, après il faut qu’ils volent de leurs propres ailes et des fois c’est difficile, parce que pendant l’année y en a certains qui vont passer des auditions, y en qui sont pris, y en a qui sont pas pris ; ça c’est des problèmes difficiles à gérer dans le groupe. Et voilà.

E - Donc, quelquefois, ils reviennent prendre des cours ici ?

V - Oui, oui oui y en a de temps en temps qui passent, y en a qui viennent danser à Lyon, et du coup ils viennent nous voir et leur carrière est en plein essor et tout va bien, et puis y en a on entend parler qu’ils sont devenus professeurs, sans avoir tellement danser. C’est très variable. C’est difficile de faire des statistiques parce qu’on les perd de vue et puis ils peuvent travailler bien pendant un an et s’arrêter pendant six mois et on ne sait pas vraiment où ils sont tous. Aujourd’hui j’ai été voir un spectacle ce matin à la Maison de la Danse, y avait une matinée pour des petits enfants, avec le chorégraphe avec le chorégraphe avec qui j’ai travaillé pendant sept ans Jean Claude Gallota et donc j’ai retrouvé un de mes….enfin je savais, j’ai un de mes élèves y a six ans qui travaille avec cette compagnie-là. Et c’est vrai que de le voir sur scène ce matin ça fait du bien, il était heureux de me voir, il était tout content, c’est chouette quoi, de voir que tout ce qui l’a fait ici ça l’a porté vers ce chorégraphe que j’ai aimé aussi avec qui j’ai dansé ça c’est assez [….] on voit que ça sert à quelque chose.

E - Pensez-vous que la façon d’être dans le cours professionnel comme [….] par exemple la sortie est difficile ?

V - C’est difficile. C’est évident ben oui, mais oui, la vie c’est difficile, quand on quitte ses parents c’est difficile, quand on quitte le ventre de sa mère c’est difficile, ouais, ouais, faut s’armer de courage, d’observations puis y a des moments y a des hauts et des bas, [….] toute une vie, faut accepter, faut pas se déprimer, faut continuer faut pousser à ……et puis surtout faut travailler, en général ça paye toujours à la fin, à la fin, le travail ; ça motive et puis ça donne un état d’esprit qui est bon de travailler, dans un groupe, pour soi-même, dans un groupe. C’est bon ?

E - Oui, oui. Vos enfants ont-ils fait de la danse ?

V - Oui ils ont fait de la danse tous. Enfin les deux grands ont fait de la danse. Ils avaient un bon niveau puis après ils ont bifurqué ailleurs. Mais tant mieux s’ils ont envie, mais j’ai pas envie qu’ils fassent comme maman ou comme papa, parce que mon premier mari était danseur aussi donc il faut qu’ils choisissent leur voie. Mes deux grands enfants, je crois qu’ils ont choisi leur voie et pour l’instant ils sont contents avec ça. Ils ont touché à la danse ils étaient souvent avec moi en tournée donc ils savent ce que c’est […]. Mes deux petites filles elles font de la danse puis en ce moment elles adorent ça, ça les éclate, elles rigolent, elles aiment bien ça mais quant à en faire un métier après c’est….faut voir, si elles ont envie vraiment. Ma grande fille, celle qui a vingt six ans, elle est prof de gym, elle vraiment elle aurait bien aimé faire la danse mais je sais pas si c’est parce qu’elle voulait faire comme moi ou ….puis petit à petit elle a senti que c’était difficile qu’elle était peut être pas tout à fait danseuse classique alors elle a fait un peu de contemporain puis après elle a bifurqué vers la gymnastique, enfin professeur d’éducation physique et maintenant elle adore l’escalade, elle est très heureuse et ça été une super expérience de faire de la danse, pour se trouver, pour trouver son corps et tout donc tant mieux elle a trouvé sa …. Je ne l’ai pas poussée, [….] comme ça. C’est vrai qu’intérieurement quand je vois mes petites filles faire de la danse, ça me touche, ça m’amuse, je suis émue, mais il faut qu’elles fassent leur vie hein, faut qu’elle fassent leur vie et même quelquefois je vois des copines, quoi des petites filles qui font de la danse je me dis : mais c’est terrible, on dirait des petits singes à leur maman, on dirait …c’est pas elles qui ont choisi. Elles sont toutes formatées comme ça, petite fille à la maman, ça va pas, c’est pas bien, c’est un peu une cloche qu’on met sur elles : tu seras danseuse. Y a ça puis en même temps c’est génial d’être danseur donc [….] c’est difficile à diriger ses enfants pour qu’ils soient heureux, qu’ils décident eux-mêmes de ce qu’ils ont envie de faire, leur donner la liberté et puis les capacités, tout ça c’est l’éducation, et alors ça c’est une autre histoire….Vous avez quel âge ?

E - Moi, vingt cinq ans.

V - Vingt cinq ans ; ça va ?

E - Avez-vous autre chose à ajouter ?

V - Non, c’est vous…. Ok

E - Merci.