les conditions de l'émancipation masculine

La bifurcation qui oriente les destins masculins dans l'une ou l'autre direction se dessine dès les conditions d'émigration. Des migrants restent inscrits dans les réseaux d'appartenance et de solidarité originels, tandis que d'autres configurent l'émigration en aventure individuelle. Appelons-les «affiliés» et «émancipés».

Les douze émigrations du deuxième «âge» — dix entre 1947 et 1956, deux entre 1957 et 1960 — ont eu lieu dans des conditions différenciées selon que le réseau familial des migrants était, si l'on peut dire, en état de marche, ou que son fonctionnement était perturbé par un accident. Dès l'adolescence, deux des migrants étaient orphelins de père et de mère et quatre, orphelins de père ou de mère 48 . Cette situation invite à poser une question toute bête : la situation d'orphelin est-elle à elle seule une variable apte à distinguer d'emblée les «émancipés» des «affiliés»? A première vue, dans les conditions socio-historiques des "réseaux d'intégration primaire", comme dit Robert Castel, la situation d'orphelin apparaît plutôt comme un risque de désaffiliation, donc de marginalisation 49 .

La mise en perspective de deux exemples empiriques, ceux des pères de Nora et d'Assia, rend sensible l'hétérogénéité du monde de référence de l'«affilié» et de l'«émancipé», et met en lumière la transformation des types de contraintes, selon qu'elles enserrent les membres d'un groupe d'appartenance ou qu'elles passent par la médiation d'institutions. Le premier jeune homme s'apprête à rejoindre une petite communauté d'émigrés originaire du même village que lui, membrane vivante qui amortit les chocs avec le monde étranger de la société globale, tout en le ficelant dans le réseau d'obligations fondées sur l'appartenance. Le second fuit un espace vidé de signification par la mort des proches parents, et expérimente la première des libertés, la liberté de mouvements. Personne ne l'envoie en mission, il prend lui-même la décision de s'engager dans l'armée, sans se douter qu'il fera la guerre en Indochine.

‘— "A mon avis il ne pouvait pas comme ça arriver dans un pays, pas étranger parce que bon à l'époque on était... l'Algérie c'était la France, mais bon il fallait qu'il y ait un repère à l'avenir familial, et bon il y avait quand même pas mal de membres de la famille... éloignée ou pas hein qui étaient ici, des voisins bon habitant l'Algérie. Parce que c'est vrai qu'en Algérie ils vivaient plus ou moins en communautés, souvent bon ils disaient «telle personne fait partie de la famille», alors qu'en fait c'était un voisin du voisin de la mère du père bon qui se connaissaient depuis X années, et c'est comme ça que bon ils ont pu... se regrouper en fait sur Lyon ou Marseille ou Dijon parce qu'il y avait des gens du village où ils habitaient qui avaient émigré ici." (Nora)’ ‘— " Nous on a une famille très réduite. Mon père est orphelin et ma mère elle a uniquement un frère, donc la famille c'est ma grand-mère du côté de ma mère, j'ai que ma grand-mère en fait en Algérie hein, et puis c'est tout.’ ‘— Donc ton père s'est débrouillé tout seul?’ ‘— Oui il s'est toujours... En Algérie bon il n'y pas de... il n'y a pas la D.A.S.S. comme en France... donc déjà il s'est engagé lui à l'armée hein, donc il a toujours... il s'est toujours débrouillé tout seul puis l'armée c'était l'ouverture pour lui. Et bon après l'armée il n'avait pas de parents il n'avait rien à faire absolument en Algérie puis... puis il avait envie de rouler sa bosse hein, c'était un petit routard hein, c'est pour ça qu'avec nous ça n'a pas été très très difficile." (Assia)’

Les situations des deux migrants s'opposent doublement. Celui qui a ses parents en vie est issu d'une famille paysanne ordinaire, l'orphelin est issu d'une grande famille. Les récits que la mère de Nora faisait aux aîné(e)s de ses enfants évoquaient une communauté villageoise de gens pauvres, mais heureux parce qu'unis. Ceux des parents d'Assia, héritiers potentiels d'une montagne entière, revivifiaient le nom d'un groupe lignager berbère des Aurès, qui se réunissait régulièrement pour un pèlerinage au tombeau de l'ancêtre mythique. Est-ce la situation d'orphelin ou la situation d'héritier qui a propulsé le jeune berbère dans l'aventure de l'émigration?

Si on connaissait avec certitude la taille des propriétés familiales des autres migrants, on aurait une trace de la corrélation, ou de l'absence de corrélation, entre émigration-aventure et origine familiale élevée. Faute de preuves matérielles, on admettra comme plausible que la propension des garçons du Maghreb à rêver d'aventure glorieuse et de liberté de mouvements peut s'allier avec une basse extraction. Deux indications au moins confortent le postulat. Une indication d'ordre juridique, l'inexistence dans le droit musulman d'une catégorisation rigide du statut des personnes, qui enfermerait dans des limites étroites les ambitions des pauvres 50 . Et une indication qui s'appuie sur les deux temps contrastés de la socialisation enfantine des garçons. Pendant la petite enfance, le garçon est le propriétaire exclusif du corps de sa mère jusqu'à l'arrivée du nouveau-né suivant; il voit ses désirs satisfaits et ses colères encouragées par sa mère et les autres femmes de la maison. Mais entre cinq et huit ans, le rite de la circoncision le fait entrer brutalement dans le monde des hommes où il occupe une place subordonnée. Désormais, il doit dominer ses pulsions et s'effacer de lui-même devant ses aînés, notamment devant son père — c'est ce qui est appelé le respect —, mais il a autorité sur les femmes quel que soit leur âge 51 . Les garçons disposent donc de deux postures contradictoires. Quand ils ne sont pas bridés par une autorité masculine, leurs premières expériences enfantines de liberté devraient les porter à oser. Dans au moins un cas, l'émancipation du père de Malika, fils choyé d'une veuve âgée, pourrait être mise en relation avec l'assurance communiquée à l'adolescent par l'amour immodéré d'une mère.

On se trouve renvoyé au point de départ. La situation d'orphelin est sans doute une situation favorisant l'émancipation, rien ne prouve qu'elle le soit immanquablement. L'attention portée aux rapports entre vie masculine célibataire dans l'émigration et type de mariage permet d'avancer. On donnera trois exemples.

  • Lors de son premier voyage, le père kabyle de Fadila part pour Saint-Etienne avec un autre villageois parce qu'ils ont entendu parler d'embauche à la mine. Quatre ans plus tard, le premier habite Lyon et travaille dans une grande entreprise, mais il se marie au village avec la femme choisie par la famille. Ce qui indiquerait que la mobilité d'une ville à une autre en quête d'un meilleur emploi, facilitée par l'ancienneté des traditions d'émigration et la préconnaissance du milieu, n'incite nullement les migrants à se mettre au ban de la communauté d'appartenance.
  • Le père d'Amel émigre en 1947 à 24 ans et vit en célibataire pendant onze ans. Au cours de cette période, il se marie une première fois avec la femme choisie par sa famille, et une seconde fois avec une femme choisie par lui. En 1958, il réunit en France ses deux femmes avec les enfants déjà nés, et les fait cohabiter. L'indication va dans le même sens que la précédente. Une longue durée d'émigration en célibataire incite à prendre des décisions personnelles, non à manquer aux obligations familiales.
  • Le père de Faïza, orphelin arrivé à 14 ans à Lyon où il ne connaît personne, passe par un temps de galère dans la rue, puis se fait embaucher dans une grande entreprise où il demeure jusqu'à la retraite. Il se marie une première fois en France avec une jeune fille d'origine algérienne vivant chez sa mère, mais divorce au bout de sept ans, pour une raison inconnue de Faïza, après avoir procréé deux enfants. En 1955, il épouse en Algérie une jeune fille de son village qui le rejoint en France dès l'année suivante avec un nouveau-né. L'assujettissement à la discipline salariale se combine avec l'émancipation des tutelles familiales quand il s'agit de choisir une épouse.

Le décalage entre les deux premières conduites et la troisième est net. Il se confirme que les migrants du deuxième «âge», pas plus que ceux du premier ne peuvent se soustraire au mariage prévu pour eux, qui s'inscrit dans des stratégies d'alliance à l'intérieur d'une communauté de voisinage ou d'un réseau lignager. Seule la mort du chef de famille, qui désaffilie potentiellement les orphelins, les libère des obligations familiales et leur laisse le loisir d'arranger leur mariage eux-mêmes.

Il est donc logique de partir de l'opposition «affilié» vs «émancipé» pour observer si elle correspond à des pratiques différenciées ou différentielles en Algérie ou en France. La question entre dans le champ de l'étude, dans la mesure où les conduites des pères risquent de se réfracter dans les représentations et les pratiques des filles. On ne considérera donc pas comme un manque de disposer seulement de fragments de récits et de commentaires provenant des enquêtées et non produits par les intéressés eux-mêmes. Les discours des filles sur leurs pères nous renseignent indirectement sur leur mode de socialisation primaire : pour qu'elles aient des informations sur les activités des pères avant la vie conjugale, il est nécessaire que ceux-ci en aient parlé en famille, donc qu'ils se définissent au moins partiellement comme des individus singuliers. On mobilisera les informations dont on dispose pour comprendre à quelles barrières incorporées se heurtent les adolescents ou les jeunes hommes qui s'extraient du groupe d'appartenance.

L'opposition entre itinéraire de réaffilié et itinéraire de désaffilié peut être illustrée par la comparaison entre les modes de sortie de la communauté de voisinage opérés par les (futurs) pères de Warda et de Naïma dans l'Algérie urbaine. L'engagement du premier dans l'armée lui ouvre une voie de promotion, tout en l'englobant dans une institution totale où la préorganisation minutieuse de toutes les activités, y compris du repos, dispense les individus d'improviser. Il n'a donc pas besoin de remanier ses dispositions. Le second ne les remanie pas non plus. Mais faute d'un cadre contraignant, il se perd à Alger dans une rêverie sans bornes entre alcool et compagnons de beuveries 52 , qui le fait échouer à l'hôpital. Le père d'Hayet oscille entre les deux pôles. Parti tout seul en France à 17 ans, en éclaireur, il réside chez son père remarié, une fois la famille rassemblée. Pendant des années, sa vie est rythmée par l'alternance entre la discipline corrélative à ses liens d'obligations à l'égard du père — il travaille régulièrement à vendre des légumes sur les marchés — et ses plaisirs entre alcool et copains, imbu de la certitude trompeuse que son père lui achètera un café-restaurant le jour venu. L'absence, chez les migrants jeunes ou vieux, de la capacité à s'extraire de l'ici et maintenant pour s'organiser individuellement dans un temps vectorisé, s'explique facilement. Elle est antinomique avec un ordre qui insère toutes les activités dans un rythme collectif, collant l'individu au groupe comme le nourrisson à sa mère.

‘" L'ordre social est avant toute chose un rythme, un tempo. Se conformer à l'ordre social, c'est primordialement respecter les rythmes, suivre la mesure, ne pas aller à contre-temps. Appartenir au groupe, c'est avoir au même moment du jour ou de l'année le même comportement que tous les autres membres du groupe. Adopter des rythmes insolites et des itinéraires propres, c'est déjà s'exclure du groupe. Travailler quand les autres se reposent, demeurer à la maison quand les autres travaillent aux champs, se promener dans les rues du village quand les autres dorment, aller par les routes quand elles sont désertes, traîner par les rues du village quand les autres sont au marché, autant de conduites suspectes. Le respect des rythmes temporels est en effet un des impératifs fondamentaux de cette éthique de la conformité." 53

Le réglage collectif de l'ensemble des activités, caractéristique des « réseaux d'intégration primaire», fournit néanmoins des occasions d'individuation. Ainsi Mauss a-t-il montré que des cérémonies festives, telles que les rites de figuration du clan, réunissent les conditions d'émergence de la notion d'individu singulier. Chez les Indiens Pueblo, par exemple, où existe par clan un nombre fini de noms correspondant chacun à une partie de l'ensemble hiérarchisé symbolisé par le corps totémique, chaque participant occupe dans la cérémonie le rang que son nom lui assigne. La théâtralisation ritualisée distancie des impératifs pratiques en appelant chacun à incarner, comme ses ancêtres et comme ses descendants, un rôle transgénérationnel de représentant, dans la temporalité sans limites ouverte par le nom 54 . Des cérémonies de même type ont dû produire des effets similaires dans des sociétés humaines spatialement et temporellement distantes mais structurellement voisines, puisque l'histoire sémantique des mots persona en latin et prosoponen grec indique qu'ils ont d'abord désigné "le masque" 55 . Prosaïquement, disons que le cinéma que le groupe se fait à lui-même donne l'occasion à chacun ou à quelques-uns de ses membres — mâles bien sûr — de prendre du champ par rapport aux nécessités de la vie quotidienne, et de corréler la place singulière qu'il occupe socialement à des marques qui transmuent magiquement la finitude de sa vie personnelle en pérennité de la lignée, et le hic et nunc de la perception sensible en espace-temps immémorial.

Le sentiment d'être socialement légitimé à occuper une place digne des ancêtres pourrait expliquer l'activité déployée en Algérie par le père de Leïla, jeune citadin héritier d'un grand nom, contraint de réaménager les bases économiques du pouvoir symbolique ancestral que le fruit des propriétés terriennes n'assure plus. Non seulement le jeune marié réalise des transactions commerciales fort lucratives en sillonnant l'Algérie en camion, mais il les conjugue avec des liaisons risquées entre patriotes et des liaisons amoureuses peut-être tout aussi risquées. Si l'on suit la distinction opérée par Pierre Bourdieu entre compétence sociale et compétence technique 56 , la première s'alimentant dans une concordance immédiate entre les dispositions intériorisées dans l'enfance et les conduites reconnues comme valides dans un milieu, et la seconde dans l'appropriation de savoirs par des apprentissages méthodiques de type scolaire, on attribuera une grande part de la réussite de l'héritier à sa compétence sociale, qu'il renforce par des compétences techniques — il a appris à conduire, il a été scolarisé à l'école française.

Les ajustements immédiats, les bonheurs de conduite, bonheurs corporels que l'héritier sait produire avec désinvolture dans le contexte de son pays natal, sont beaucoup plus incertains dans l'émigration. Plus la structure de la société d'accueil est éloignée de celle de la société originelle, plus les conduites spontanées des migrants risquent d'être tantôt accordées, tantôt désaccordées aux régulations implicites du nouveau milieu. Cette situation inconfortable est loin de concerner exclusivement les migrants. Elle est ordinaire dans les sociétés complexes, puisqu'elle est expérimentée chaque fois que les itinéraires des individus les font passer de leur milieu familial à un autre milieu social et culturel. Ces considérations amènent à distinguer deux difficultés hétérogènes sur la route des jeunes migrants. L'une est de s'individuer, de s'extraire du confort que procure l'intégration dans un groupe clos comme le groupe d'âge et du rêve éveillé dans lequel plonge l'alcool. L'autre est d'acquérir à la fois des compétences techniques et/ou des compétences sociales donnant des prises sur le nouveau milieu.

Les migrants qui échappent à la catégorisation d'OS disposent potentiellement soit des unes, soit des autres. D'un côté le régleur (Malika) et le peintre en lettres embauché comme magasinier (Naïma). De l'autre, le conducteur d'engins (Assia). Cette dernière qualification peut être évaluée de deux points de vue opposés, portant à percevoir soit que la compétence ne donne pas accès à un poste de responsabilité, soit que le poste ménage une marge de liberté supérieure à celle du manœuvre ou de l'OS 57 . L'orphelin héritier (Assia) ne l'aurait pas acquise sans une capacité à prendre des initiatives calculées, qu'on peut ranger au nombre des compétences sociales valorisées dans le nouveau milieu. Il ne s'est pas comme d'autres jeté dans l'aventure à l'aveuglette, il a commencé par s'engager dans l'armée française et par accumuler pendant le séjour un capital primitif, apprentissage bidimensionnel de conduite des camions et de lecture basique du français, permettant d'obtenir les permis de conduire.

Si l'un des ressorts de l'individuation est le sentiment des obligations que confère l'appartenance à une lignée aristocratique, son émergence tient aussi à des pratiques sociales telles que le dialogue interindividuel suivi, dans des conditions où l'entente infra-linguistique n'est pas d'emblée assurée. Trois des jeunes migrants ont noué des relations confiantes avec un Français plus âgé qu'eux, des relations homologues à celles d'un fils et d'un oncle, sans la distance habituellement creusée par la hiérarchie des âges et des générations. Mais les tuteurs n'ont pas obligatoirement eux-mêmes une compétence à la fois technique et sociale qu'ils puissent communiquer à leur filleul. Ils ne sont pas tous des passeurs. Un seul d'entre eux, celui qu'a rencontré le père d'Hacina, a pleinement joué ce rôle. A ses côtés le jeune homme a appris par imprégnation, comme les jeunes enfants apprennent dans le milieu familial. C'était un avocat homme d'affaires, qui avait eu l'idée de lancer à Lyon un journal gratuit d'annonces. Le travail confié au jeune homme l'obligeait à s'organiser dans le temps et l'espace urbain : il devait non seulement faire le ménage des différents bureaux de la ville où les annonces étaient déposées, mais aussi les centraliser pour permettre leur parution. Sur le modèle des parcours d'un bureau à l'autre, le garçon eut l'idée d'acheter une camionnette et des lots de tissu, et de faire le tour des foyers en proposant sa marchandise aux ouvriers émigrés. Ce fut le début de son activité de commerçant.

Bref, la pulsion de liberté ne suffit pas à configurer l'émigration en aventure individuelle. Des apprentissages sont indispensables. Dans le contexte temporel de l'émigration du deuxième «âge», quelques jeunes gens ont puisé, soit dans leur place de «représentant» de la lignée familiale, soit dans leur affiliation à l'armée, soit par le biais des interactions personnelles avec un tuteur de fortune, la force de s'individuer en acquérant de nouvelles compétences.

Notes
48.

Cf. annexes, p. 15. Le nombre important d'orphelins parmi les parents d'enquêtées n'est pas surprenant, puisqu'ils appartiennent pour la plupart aux générations nées dans les années 1930. Sur la multiplication des morts consécutive à la crise économique de 1931-35, aux difficultés de ravitaillement et aux vagues d'épidémies — typhus, fièvre récurrente, variole — pendant la seconde guerre mondiale, cf. A. Camus, "Misère de la Kabylie" (1939), "Crise en Algérie" (1945) in Actuelles III, Gallimard, Paris, 1958. Pendant les trois périodes 1921-25, 1941-45 et 1961-65, le taux moyen de mortalité en Algérie monte de 29,4 ‰ à 43,1‰, puis redescend à14,61‰. (Chiffres cités par L. Jarosz, Vieillesse et vieillissement en Algérie, OPU, Alger, 1983, p.109).

49.

"La désaffiliation telle que je l'entends est, en un premier sens une rupture (...) par rapport à ces réseaux d'intégration primaire; un premier décrochage à l'égard des régulations données à partir de l'encastrement dans la famille, le lignage, le système des interdépendances fondées sur l'appartenance communautaire.", R. Castel (1995), p.36.

50.

Maxime Rodinson signale que dans l'islam classique la hiérarchisation entre les groupes sociaux, est considérée comme fonctionnelle, relevant de la hiérarchie des occupations et non du statut acquis dès la naissance. "(...) Cela est bien reflété par le droit musulman. Alors que le droit romain ou les droits coutumiers européens du Moyen Age partent d'une théorie du statut des personnes, le droit musulman part d'une théorie de la capacité. La capacité normale légale, celle du musulman libre, adulte et sain d'esprit, peut être diminuée par certaines circonstances. Mais il n'y a pas à la base un classement des personnes en catégories rigides dont chacune est dotée de son propre système de capacités.", M. Rodinson, L'Islam : politique et croyance, Fayard, Paris, 1993, pp. 189-190.

51.

G. Tillion, Le harem et les cousins, Seuil, Paris, 1966, p. 115 et passim. "Le petit despote, le jeune chef de famille, est aussi, normalement, un être qui a été frustré. Dans le Maghreb, en effet, la mère appartient au dernier-né : il dispose d'elle en maître souverain, exclusif, incontesté, de jour comme de nuit. Le jour, le petit vit collé à elle, circulant sur son dos ou somnolant sur ses genoux; la nuit, il couche nu contre elle, peau contre peau. Il tète quand il veut, dort, s'éveille ou fait ses besoins à son gré. Au-delà de la mère, dans une brume bienveillante, circulent des êtres familiers — sœurs, tantes, grand'mères, pères, oncles —, l'enfant les distingue mal. Tous le caressent en passant et ne le contrarient guère. Lorsqu'une nouvelle naissance survient, en quelques heures il perd tout : la place au lit, le sein, la disposition totale et inoubliable d'un être". Cf. également C. Lacoste-Dujardin, Des mères contre les femmes, Maternité et patriarcat au Maghreb, La Découverte-poche, Paris, 1996, pp. 109-115, 143-152. Sur les difficultés, pour l'historien, de restituer "le régime des valeurs sensorielles", "la hiérarchie des représentations et des usages des sens au sein d'une culture" , cf. A. Corbin, "Histoire et anthropologie sensorielle" in Le temps, le désir, l'horreur, essais sur le dix-neuvième siècle, Aubier, Paris, 1991.

52.

Ces compagnons ne manquent pas. On lit, dans un article de J. Berque, publié pour la première fois en 1964 : "Une bande de désœuvrés encombrent la voie publique ou emplissent le «café maure». Un flot de durée humaine s'évanouit en jeux de cartes ou de jaquet. L'alcoolisme semble progresser dans les campagnes, malgré le rigorisme préconisé par la morale révolutionnaire (...).", Maghreb Histoires et sociétés, Duculot-SNED, Alger, 1974, p. 214.

53.

P. Bourdieu, Algérie 60, structures économiques et structures temporelles, Ed de Minuit, Paris, 1977, p. 41.

54.

"(...) Vous comprendrez que nous voyons déjà, chez les Pueblo, en somme une notion de la personne, de l'individu, confondu dans son clan, mais détaché déjà de lui dans le cérémonial, par le masque, par son titre, son rang, son rôle, sa propriété, sa survivance et sa réapparition sur terre dans un de ses descendants dotés des mêmes places, prénoms, titres, droits, et fonctions.", "Une catégorie de l'esprit humain : la notion de personne, celle de «moi»" in M. Mauss, Sociologie et anthropologie, 6e éd., Quadrige/PUF, Paris, 1995, p. 340. Cf. I. Meyerson, Les fonctions psychologiques et les œuvres, rééd. Albin Michel, Paris, 1995, pp. 164-167.

55.

On remarquera que chez les Pueblo ou dans la Grèce archaïque, les marques de l'individu sont les mêmes : "Perdre son identité, n'être plus personne, cela veut dire, pour un Grec de l'époque archaïque, que se sont effacés les repères conférant à un individu dans sa singularité le statut d'être humain : son nom, sa terre, ses parents, sa lignée, son passé, sa gloire éventuelle. Quand ces marques s'estompent ou se brouillent, tout mortel, si grand soit-il, cesse d'être lui-même. Sans lieu fixe où s'enraciner dans la vie présente, sans tradition d'autrefois où se rattacher, il n'y a plus de place qui lui soit assignable dans le monde des «mangeurs de pain»", J.P. Vernant, F. Frontisi-Ducroux, Dans l'œil du miroir, Odile Jacob, Paris, 1997, p. 40.

56.

Cf. P. Bourdieu, La distinction, Ed de Minuit, Paris, 1979, passim, notamment pp. 93-101.

57.

Cf. B. Coriat, L'atelier et le chronomètre, Christian Bourgois, Paris, 1979, relevant les métiers exercés par les "mutants agricoles" en 1966, note que 13,6% d'entre eux sont conducteurs d'engins de transport pour 5,6% dans la population active totale. C'est le secteur qui vient en troisième position après les emplois de manœuvres et les emplois de bâtiment. pp. 170-173. Quant aux intéressés eux-mêmes, ils établissent une frontière symbolique entre le métier de maçon et celui grutier. "L'accès aux engins constitue une promotion des plus appéciées « Moi je suis grutier, dit un Espagnol, je suis très content, ça gagne bien et c'est quand même plus évolué que maçon», et il mime longuement le mouvement qu'il imprime aux manettes. (...) Un grutier, au sol, commande le long bras à distance; suspendu entre ciel et terre, il devient pilote", C. Pétonnet, On est tous dans le brouillard, Ed. Galilée, Paris, 1985, p. 133.