Les modifications institutionnelles du système scolaire se matérialisent dans les petits ensembles partiellement autonomisés que sont les établissements. Les directives centrales, modulées à l'échelle académique, ne sont pas appliquées mécaniquement à l'échelle locale. Les conflits qui secouaient les personnels du lycée Brossolette et animaient la routine quotidienne au début des années 70 prenaient une forme idéologique. Quelques leaders, qui se réclamaient de grandes organisations syndicales (SNES) ou politiques (PCF), s'efforçaient à la fois de canaliser les mouvements individuels anarchiques en proposant-imposant des grilles d'interprétation et de fédérer le plus grand nombre possible de personnels autour d'initiatives concrètes visant à réguler collectivement la vie de l'établissement, cela en concertation avec les autorités administratives. A cette forte pression résistaient des isolés et répondaient des concurrents idéologiques regroupés dans une autre organisation syndicale (SGEN), des alliances pouvant s'opérer sur des mesures concrètes. Mais sur le derrière de la scène, un autre enjeu mobilisait les énergies : l'établissement deviendrait-il un lycée technologique ou demeurerait-il un lycée d'enseignement général? Il divisait une partie du personnel tandis qu'une autre restait aveugle ou indifférente. Les enjeux de carrière inclinaient évidemment un enseignant de STE et un enseignant de physique dans des directions opposées et laissaient plus placide un enseignant de français. Mais il est probable que beaucoup des «professeurs» élevés dans le sérail des lettres classiques, à commencer par le chef d'établissement et le censeur, ont été souterrainement habités par un affect que le Ministre Hernu mettait au jour dans une lettre au Recteur : le sentiment qu'ils-elles valaient bien leurs collègues lyonnais et que leur lycée périphérique valait bien les lycées de centre-ville 139 .
" Villeurbanne, le 21 décembre 1982
‘Monsieur le Recteur,’ ‘J'ai l'honneur d'attirer une fois de plus votre attention sur l'intérêt qu'il y aurait à compléter les possibilités offertes par les deux lycées de Villeurbanne, et, particulièrement, le lycée Pierre Brossolette qui gagnerait à disposer de sections préparant au brevet de technicien supérieur du tertiaire. (...) Ces sections (...) permettraient, non seulement de répondre aux besoins qui sont considérables compte tenu de la population, mais également d'améliorer l'image de marque d'un Etablissement qui a fait beaucoup d'efforts pour se placer au même niveau que les Lycées lyonnais. (...) C.H. ’Construit en 1965 et promis à un destin de lycée municipal classique et moderne, touché de plein fouet par la mise en application des réformes Berthoin-Fouchet, l'établissement est devenu en 1972 un lycée polyvalent de banlieue.
En suivant du regard la répartition de sa population entre 1972 et 1992 140 , on peut bâtir un récit de forme canonique. La première année marque la fin de l'état initial de lycée secondaire et l'apparition d'une force transformationnelle : en 1e et en terminale la population est encore un peu plus nombreuse dans les filières A et CD que dans les filières B et G, mais ce n'est déjà plus vrai en 2de. Commence alors une période d'arbitrages délicats pour contenir un développement incontrôlé de la filière tertiaire et l'afflux de filles qu'il impliquait. La réforme Haby, appliquée pour la première fois de 1981-82 à 1983-84 dans les trois classes du second cycle, puis la création dans l'établissement d'une puis de plusieurs classes post-bac à partir de 1986, changent la donne. Les transformations provoquées aménagent progressivement un nouvel équilibrage à première vue homologue à l'équilibrage initial : en 1992, le poids proportionnel des effectifs scolarisés dans les filières générales et dans les filières tertiaires est redevenu équivalent à ce qu'il était en 1972. On remarque que la proportion de filles et de garçons tend à s'égaliser. Le ratio 70/30% au profit des filles s'est équilibré autour de 60/40% au fil des années 1980, il était de 54/46% en 1992? Faut-il en conclure que l'établissement repartait pour une destinée de «lycée de centre-ville»? C'est le point de vue d'un personnel enseignant imprégné par la formation qu'il a reçu lui-même autour de 1940-50 dans un lycée de ce type. Si on élargit la perspective, l'équilibrage de 1992 apparaît plutôt comme l'indice que le système scolaire a cessé d'être partiellement autonomisé et qu'il est désormais travaillé par des rapports de force homologues à ceux de la société globale. Décrivons ce processus de transformation. La périodisation Temps1/Temps2, utilisée pour distinguer deux générations de mères, est pertinente pour distinguer deux équilibrages du système scolaire.
L'école et le concours avaient été l'instrument d'une promotion sociale pour une proportion importante d'entre eux, cf. annexes, p. 33-34. Les 77 enseignants en poste en 1980 — 31 hommes, 46 femmes — étaient âgés en moyenne de 41 ans (40 pour les hommes, 42 pour les femmes), ils exerçaient dans l'établissement en moyenne depuis 8 ans, le maximum de 15 ans correspondant à l'ouverture de celui-ci; ils étaient certifiés à 74%, agrégés ou bi-admissibles à 22%, les AE ne représentant que 4%, et les femmes étant certifiées à 81% tandis que les hommes l'étaient à 70%. Ils étaient proportionnellement plus nombreux à être nés dans une autre ville que Lyon ou dans une commune rurale que dans l'agglomération lyonnaise, 36% et 32% contre 26%, le lieu de naissance modal des femmes étant une autre ville, et celui des hommes une commune rurale. On observe d'autre part que seulement 6% des hommes et 13% des femmes enseignaient dans une discipline tertiaire. Comparer la situation de 1985 avec celle de 1980 met d'abord en évidence le tassement et le vieillissement de la population. Quatre des enseignants partis à la retraite n'ont pas été remplacés, la moyenne d'âge est passée de 41 à 44 ans, la moyenne d'ancienneté de 8 à 12 ans, le maximum étant maintenant de 20 ans. On entrevoit la timide amorce d'un double changement dans les critères de hiérarchisation : la proportion des certifiés et des enseignants de disciplines générales diminue légérement, celle des agrégés et des enseignants de matières tertiaires augmente d'autant (3% et 1%). Ces indications proviennent des fiches personnelles remplies par les enseignants et conservées dans les archives de l'établissement.
Cf. annexes, p. 35. Le choix des dates n'est que partiellement arbitraire. Ces vingt ans peuvent jouer le rôle de référent auquel rapporter la scolarisation des enquêtées. Pour en baliser le cours on a choisi sept années dont seules la première 1972-73 (transformation en lycée polyvalent) et la dernière 1992-93 (entrée en vigueur de la réforme Jospin) excèdent les bornes temporelles de cette scolarité. Pour la période allant de 1972-73 à 1980-81 on a ajouté, notamment à propos des 2des, des informations sur presque toutes les années. Les résultats locaux de trois enquêtes nationales faites en 1973-74, 1976-77 et 1984-85 sur l'origine sociale des élèves de 2de ont été utilisés.